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Rencontrer Plovdiv

Capitale européenne de la culture 2019

Après 2 jours de périple, mon dernier train entre doucement en gare de Plovdiv. J’emprunte le passage souterrain pour sortir du quai et de la gare, et déjà la vie locale se présente à moi : il y a des étals de fruits et légumes, de snacks sucrés aux couleurs criardes, des vitrines rythmées de cartons fluo jaunes et orange qui vendent des produits électroniques (avant) dernier cri…

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… Malgré la signalétique en cyrillique, je trouve sans difficulté le bus qui va me conduire à mon auberge de jeunesse.

« Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » : chère Europe de l’Est, à chaque fois, j’ai l’impression d’aller rendre visite à des cousins que je ne vois pas souvent et je joue au grand jeu des 7 différences dans tes paysages : qu’est-ce que je reconnais ? Qu’est-ce que je ne reconnais pas ? Qu’est-ce qui me semble être « de l’Ouest » ? Qu’est-ce qui me paraît être « de l’Est » ?

Je compte mentalement les arrêts tout en essayant de trier toutes les informations visuelles absorbées par mon regard depuis les vitres du véhicule. La ville semble aérée, la trame urbaine est lâche, les bâtiments sont de volume et de style disparates, même si leurs constructions semblent récentes pour la plupart. Ils ne sont pas tous alignés sur la rue, des arbres ponctuent densément l’ensemble. Le tout est assez agréable.
Évidemment, ces filtres sont entièrement subjectifs, forgés par mon parcours de vie. Quelqu’un d’autre verrait probablement quelque chose d’autre, vous raconterait un(e) autre Plovdiv.

4-5-6, ça y est, c’est mon arrêt, c’est là que je descends. Depuis le trottoir, je grimpe plusieurs marches, qui m’emmènent tout de suite dans un autre univers.

Je découvre de belles bâtisses aux façades colorées. Il y a beaucoup de bois : des poutres apparentes, les volets des fenêtres… l’embrasure des fenêtres ! 
Les couleurs des façades sont belles : crème, terre de Sienne, bleu indigo, bleu roi, orange, rose tirant sur le pourpre. Des motifs délicats viennent rehausser ces couleurs.
La trame serrée et sinueuse des ruelles, ainsi que le feuillage des arbres par endroit me protègent des rayons du soleil.

Il s’agit de la Plovdiv de la Renaissance nationale bulgare, qui a eu lieu entre le XVIIIe et le XIXe siècle, et qui correspond à la période où les populations bulgares ont affirmé leur identité face à l’Empire ottoman. Ce mouvement a conduit à la proclamation de l’autonomie de la Bulgarie, en 1878. La vieille ville de Plovdiv compte beaucoup de belles maisons bourgeoises de marchands construites à cette époque.

Ce décor de carte postale est superbe sauf qu’il n’est pas PMR, c’est-à-dire inadapté aux Personnes à Mobilité Réduite. Impossible de faire rouler ma valise sur cette mosaïque géante de roches qui constitue trottoirs et chaussée. Mais tout au long de mon voyage en Bulgarie, toujours une âme charitable il y aura pour m’aider.

De la vanité des valises à roulettes © Cécile Lesueur

Après avoir déposé mes affaires à l’hostel, je repars déambuler dans les rues à la recherche d’un restaurant où m’installer le temps d’une pause.  
La vitrine d’une boutique retient mon attention. Je me demande si elle est spécialisée en œufs, qui viendraient de différentes races de poules ? Ou peut-être qu’il y a aussi des œufs de canes ou encore d’autruche (peu probable) ?
Je n’ose rentrer trouver réponse à mes questions devant le regard légèrement inquisiteur du poussin (mais vendent-ils aussi des poussins ?) et le néon blafard qui donne une couleur verdâtre à l’intérieur du magasin.
Cette façon ostentatoire – voire criarde – d’annoncer le produit avec un visuel qui ne s’embarrasse pas de délicatesse ni de subtilité dans les détails a un petit côté kitsch qui ne manque pas d’humour. Un petit côté « capitaliste kitsch des campagnes ».

Un clin d’œil capitalistico-kitsch (© Cécile Lesueur)

Je finis par trouver refuge sous la tonnelle en bois d’un restaurant qui se présente comme « traditionnel ».

Il est 17 h. H-1 à Paris.
Je pense à Plovdiv la Bulgare.
J’ai l’impression d’être devant le mystère d’une ville. J’essaie de prendre la mesure de celle-ci. De tâter son pouls pour évaluer comment construire une relation avec elle, même si elle ne peut être que furtive.
Je cherche à la rapprocher de formes connues, de la contenir. Comment vivent les gens ici ?
Bref, si mon estomac est vide, ma tête est pleine, et il est temps de rééquilibrer tout ça !
Je reprendrai mes explorations demain.

Petit déjeuner dans la cour de l’hostel. Tables en fer forgé un peu rouillé, des arbres bas, un figuier, des platanes dont le feuillage protège les invités du soleil estival et continental qui chauffe déjà bien.
Je repars « élargir » de mes pas ma « carte » de la ville. Ils me guident vers la rivière, la Maritsa, qui traverse la ville et fait limite entre la ville historique et des quartiers plus récents.
J’ai un peu de mal à trouver mon chemin et je me retrouve à devoir emprunter un passage souterrain pour franchir une des 2×2 voies qui fendent la ville. Je découvre une mini-ville souterraine avec des boutiques et du street art.

Je finis par atteindre le pont du « bul. Tsar Boris III Obedinitel ».
La Maritsa ne manque pas de charme. Un débit soutenu mais tranquille, des îlots verdoyants, des berges arborées et couvertes d’herbe et de roseaux à certains endroits, la rivière est accessible et semble bien dialoguer avec la ville. Elle me rappelle un peu la Loire.
J’aperçois ensuite un curieux « Ponte Vecchio », constitué de préfabriqués (avec fenêtres) de couleurs rouge, grise et blanche. Il s’agit de « Ul. Brezovska », une passerelle piétonne autour de laquelle s’organisent les boutiques d’une galerie commerciale, comme je le découvrirai un peu plus tard.

Le « Ponte Vecchio » de Plovdiv (© Cécile Lesueur)

De l’autre côté du pont, quelques signes ponctuels de ce qui pourrait être un urbanisme tertiaire des années 80 : ici, un épais parallélépipède troué de fenêtres à la façade « habillée » de lignes horizontales formées d’une succession d’ovales blancs. Là, deux bâtiments dont les façades rappellent d’immenses miroirs aux teintes bleu gris. Je me rapproche d’eux : le premier est un hôtel et le second, une tour de bureaux vraisemblablement à l’abandon. Enfin, « tour » n’est pas tout à fait exact pour décrire ce dernier, car il comporte aussi une « sphère » alternant en façade des fenêtres tour à tour concaves ou convexes et une pyramide qui n’est pas sans rappeler celle du Louvre.
En face, c’est le choc des architectures : se dressent le bâtiment de l’International Plovdiv Fair et l’entrée des lieux d’exposition, dont le style architectural me rappelle celui du Palais de Tokyo à Paris.

Un drôle d’objet architectural / L’entrée de l’International Plovdiv Fair (© Cécile Lesueur)

J’emprunte le large passage souterrain aménagé pour traverser la 2×3 voies et remarque des escaliers métalliques posés perpendiculairement aux marches du passage. Curieux. En me rapprochant, je découvre le logo de la foire internationale.

Je repars dans la direction opposée pour m’aventurer dans le quartier de Karshiaka. Je passe quelques immeubles bien entretenus, avec des boutiques en rez-de-chaussée. « Plaplalplaplaplaplapla » : le quartier est plutôt calme, seuls résonnent le frottement des pneus des voitures sur les pavés et les cris des enfants qui jouent dans un square à proximité. L’espace urbain est généreux et fait la part belle à la rivière et à la végétation : les berges, une bande d’espace vert en surplomb, lieu de balade pour les promeneurs de chiens ou les sportifs de plein air, le trottoir avec ses carrés de ciment dont certains ploient avec le temps, le calepinage en éventail des pavés, puis le trottoir opposé.

Équipements sportifs d’extérieur en bordure de Maritsa (© Cécile Lesueur)

Et là, un petit quelque chose « en plus » : ce « trottoir » s’organise sur 2 niveaux, quelques marches distinguent en effet un trottoir « bas » d’un trottoir « haut », voire un trottoir « public » d’un trottoir « privé » ?

L’espace public et ses variations (© Cécile Lesueur)

Sur le « trottoir du haut », on trouve une série de bancs tournés vers le boulevard et… surtout une machine à café comme on en trouve dans les bureaux… une machine à café d’extérieur ! Chose que je n’avais jamais vue auparavant et qui semble être assez courante à Plovdiv ! En voilà qui en dit long sur la manière dont les habitants investissent l’espace public.

Le bâtiment autour duquel sont organisés ces espaces a quelque chose de particulier : si le matériau de sa façade n’est pas des plus élégants, son dessin est généreux et soigné : beaucoup de fenêtres, celles du rez-de-chaussée ont même la forme d’arcade. Certaines portes sont en bois délicatement travaillées. Et, surprise, je découvre, collées sur ces portes, une dizaine de feuilles format A4 : des photos de portraits plus ou moins belles, certaines en noir et blanc, d’autres verdâtres. Je vois des mots que je devine être des noms et prénoms, des séries de chiffres : dates de naissance et dates de décès. Bizarre de se voir confrontée sans prévenir aux « départs » de personnes inconnues. J’ai l’impression de m’être immiscée dans l’intimité de la vie du quartier et je me sens un peu mal à l’aise.

 

Machine à café d’extérieur / L’intime et le public (© Cécile Lesueur)

Retour au point de départ : l’hostel. Je repars en compagnie de P. pour un deuxième regard sur le centre historique de Plovdiv. Nous nous dirigeons vers « Nebet Tepe », une des 7 collines qui font la réputation de la ville. Effectivement, ça grimpe, le terrain est sec, le sentier caillouteux, quelques arbres çà et là qui fournissent une fraîcheur appréciable : le tout est très minéral avec beaucoup de rochers à escalader parfois. La vue au sommet vaut le détour : on aperçoit les rondeurs surprenantes des autres collines qui affichent leur manteau vert à l’horizon.
Nous repartons. Nous passons devant le théâtre antique de Plovdiv, témoignage de l’époque romaine de la ville. Il est toujours utilisé pour des représentations théâtrales ou d’opéra. Ce que je trouve le plus surprenant c’est la vue en arrière-plan sur une des « autoroutes urbaines » de Plovdiv.

Le théâtre antique de Plovdiv (© Cécile Lesueur)

Un peu plus loin, autre contraste de genres : dans la zone piétonne commerçante, l’ancien stade romain jouxte la mosquée Djoumaya, qui elle date du XVe siècle. Si l’ancien stade me laisse indifférente – je trouve décidément difficile d’intégrer de manière vivante des vestiges de l’époque romaine dans la vie contemporaine (peut-être une histoire de matériaux et le caractère « ouvert » de ces équipements), je suis touchée par la délicatesse de l’architecture de la mosquée Djoumaya. Trace de la période ottomane de Plovdiv, les motifs simples et élégants du fin minaret, le dessin des agencements de briques et de pierres de la façade, la terrasse attenante… je tombe sous le charme.
 

Plovdiv, ville palimpseste / La mosquée Djoumaya (© Cécile Lesueur)

Un peu plus tard, une double-porte, dont l’un des battants est entrebâillé. L’instant est spécial, je ne saurai dire pourquoi : une « énergie » m’attire et j’entre. P. me suit.
Une cour intérieure se présente à nos yeux : quelques arbres, des fleurs et, au fond, l’entrée d’une église orthodoxe.
Une petite Babouchka, gardienne des lieux, nous salue silencieusement.
Et là.
J’ai le souffle coupé.
Je sens comme une grande chaleur, des picotements, quelque chose qui circule dans la région du cœur.
Une iconostase. Somptueuse.
La belle teinte sombre du bois qui rehausse les couleurs intenses des icônes, les ornementations finement ciselées, toute cette Beauté condensée en un seul lieu… c’est presque… trop, mais ça ne l’est pas. Le reste de l’église est d’une simplicité déconcertante : les murs sont blancs.
Mes yeux se lèvent vers la lumière claire qui descend des fenêtres d’une « tourette » octogonale.

Je respire à nouveau.
La Babouchka arrive. Elle tire sur de longues chaînes à larges mailles pour descendre cérémonieusement les bougies qui veillent sur les icônes. Elle utilise un long bâton pour moucher les bougies.
Le moment était exquis.
 

 

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Pour référencer cet article :

Cécile Lesueur, Rencontrer Plovdiv, Openfield numéro 12, Janvier 2019