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Léna Soffer

Deux ans après le premier échange avec Lena Soffer publié dans le cadre de notre numéro 6, Guillaume Portero s’entretient à nouveau avec la paysagiste et revient sur les résultats de son travail de résidence à la Villa Le Nôtre.

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Pouvez-vous nous rappeler en quoi a consisté votre travail en résidence à la Villa Le Nôtre et notamment cet accent sur les sols à Paris ?

Je suis partie de l’idée que la ville s’étend sans limites et que l’on oublie le sol qui la porte. Je suis parti à la recherche du socle urbain et de ses fondamentaux tel que le relief, la présence de l’eau et le sol. L’espace public urbain est un espace technique et c’est au cœur des îlots où il est possible de planter et créer un « paysage intime » urbain qui réponde au génie du lieu des villes denses.

Paris s’installe dans un méandre de la Seine ©Lena Soffer
Alluvions anciens et modernes déterminent les zones de champs et pâturages ©Lena Soffer

Ma démarche est celle d’une paysagiste et va dans le sens inverse du « greenwashing » actuel qui prétend faire du vert à tout prix partout dans la ville : Faire l’effet « déco » sans lien avec une réflexion paysagère.

Il est évident que plusieurs urbanismes se dégagent dans la capitale. Comment avez-vous appréhendé cette diversité dans votre travail sur les cours d’îlots ?

Le choix n’a pas été fait sur la base des formations urbaines, mais plutôt par la situation des cours d’îlots dans le territoire de la ville, car la nature du territoire est préalable, c’est le sol le socle de la ville et c’est à partir de ses particularités que j’ai fait le choix des territoires d’étude. Par exemple, que se passe-t-il dans la plaine de Grenelle ? Si dans le même îlot un bâtiment date des années 50, un autre du 18e siècle ou est un immeuble Haussmannien l’important est surtout de savoir à quelle profondeur se trouve la nappe, car cela déterminera si le sol est frais ou pas. Cela pourra déterminer les types de plantations.

Les cours d’îlots retenues pour l’étude ont été choisies dans trois identités géographiques de Paris que j’ai associé à des arrondissements :

La plaine de Grenelle (Paris 7e) , le piémont de Montmartre (Paris 9e ) et le centre historique de Paris, entre la Seine et son bras mort ( 1, 2, 3 et 4e arrondissement).

Dans chaque identité géographique j’ai identifié une première palette végétale qui parle de la nature du sol, de la présence ou pas de la nappe phréatique, ou la présence des carrières ou des remblais.

Zonage des risques d’inondations ©Lena Soffer

Après une diversité urbanistique, avez-vous été en mesure de distinguer des typologies de sol et/ou sous-sol sur vos aires de travail ? Quels liens ont pu être établis avec l’historique de ces morceaux de ville ?

C’était l’inverse : je suis partie du territoire pour choisir la cour d’ilôt. Parce que même si les différentes cours répondent à des typologies et des temps urbains différents, la continuité du sol est la même. La ville est un collage et dans la même rue on peut trouver des typologies différentes, mais c’est le sous-sol qui va caractériser le site et il est possible et souhaitable de caractériser l’espace à partir des couches sédimentaires. Ce que dévoile la recherche ce sont les usages des différents sols et la présence des remblais dans chaque cas d’étude.

Les services écosystémiques des sols sont de plus en plus reconnus, mais les contraintes inhérentes au milieu urbain et les conflits d’intérêts font obstacle au changement d’un certain nombre de pratiques. Quels sont selon vous les leviers conduisant à ce changement ? Quels acteurs impliquer ?

J’ai travaillé sur la nature des sols et les fondamentaux du territoire et j’ai découvert l’épaisseur de l’Anthropocène dans le milieu urbain : des siècles d’accumulation des remblais, ou les collines de « poubellien », les sols pollués, mais aussi les jardins anciens où il y a eu des très peu des changements. Cela dit, la plantation des arbres et arbustes dans les cours d’îlots peut contribuer au changement de la nature des sols, les recycler, les enrichir. Le monde végétal est le grand recycleur de l’air et de la terre. Je m’intéresse à la ville dense, avec ses cours anciennes, car c’est là où l’on doit planter et végétaliser. Le nouveau Plan Local d’Urbanisme prévoit pour les nouvelles constructions un pourcentage de sols perméables et même la plantation de jardins. Mais rien n’existe pour les bâtiments existants de la ville dense. C’est là où le problème se pose, et c’est pour cette raison que j’ai envisagé que le levier conduisant au changement soit d’une part la sensibilisation des habitants et d’autre part la mise en place d’un règlement du type de la Loi Malraux pour les cours intérieures, pour inciter à leur plantation et perméabiliser les sols au bénéfice du bien commun assorti d’incitations au travers des impôts fonciers ou de l’ancienne taxe d’habitation. Il faut inscrire cette perspective au bénéfice du climat, de la biodiversité et pour une ville plus naturelle et plus saine.

Comptabiliser les cours comme espaces verts de la ville ©Lena Soffer

Ces services sont la base d’autres phénomènes encore peu pris en compte aujourd’hui notamment sur la gestion du cycle de l’eau en ville. Qu’est-ce que vos travaux pourraient apporter pour exploiter et respecter les spécificités édaphiques de chaque aire de travail ?

La gestion du cycle de l’eau en ville commence à être traitée dans l’espace public qui est un espace technique, ensuite il y a le développement des plantations des toitures pour retenir une partie des eaux des pluviales. En ce qui concerne la cour, c’est le lieu idéal pour rendre perméable un pourcentage du sol dans les zones hors risques d’effondrement dû à la présence des carrières. Dans le cas de quartiers avec ces risques, gérer l’eau veut dire imperméabiliser et récupérer l’eau d’arrosage pour les jardinières ou bacs présents sur place.

Ces résultats ont-ils pu faire émerger des paysages potentiels, au-delà de la réalité physique de l’urbain et du bâti ? Réalité anthropique pouvant être effacée ou atténuée in fine par une nouvelle multiplicité végétale vernaculaire en retrouvant le trio sol/plante/climat ?

Il y a la possibilité de faire émerger des paysages potentiels, non pas au-delà de la réalité physique de l’urbain, mais au-delà de la réalité physique du sol qui a changé par l’action anthropique de l’exploitation des ressources du territoire.

La caractérisation des essences déterminées en fonction de la nature des sous-sols même profonds va créer des identités végétales donc des paysages potentiels différents dans chaque territoire.

Il a été important d’approfondir la question de la nature du sol dans le territoire de la ville. La réalité anthropique de la ville va au-delà de la construction urbaine. Ce que nous trouvons aujourd’hui c’est le résultat de l’exploitation du sol et ses conséquences. La carte que nous appelons la carte de risques est en réalité la carte qui reflète ce que est devenu le sol de la ville, résultat de l’action de l’homme sur le territoire et c’est la carte des risques qui révèle la nature des sols exploités par l’homme. La nature du territoire n’a pas été prise en compte et la carte des risques est le retour du refoulé ! Elle représente essentiellement la présence des carrières et les zones inondables qui persistent. Dans une partie du territoire, il y a des risques d’effondrement produits par l’exploitation des carrières. Le paysage des cours d’îlots dans la zone des risques de Montmartre sera un paysage basé sur ce trio sol/plante/climat, mais où il ne sera pas possible de laisser le sol perméable, ce seront donc des plantations en bac. Cependant dans la plaine de Grenelle où la nappe phréatique se trouve par endroit entre 3 à 5 mètres de profondeur sous le sol, une zone à risque d’inondations, les plantations peuvent jouer un rôle tant paysager que pour assainir les sols.

Résurgence du sol et palette végétale ©Lena Soffer

À travers des concepts qui peuvent parfois sembler galvaudés comme l’économie circulaire, quels rôles les sols peuvent-ils jouer dans un réel retour à des processus naturels en milieu urbain ?

Le sujet n’est pas galvaudé ! Il est essentiel. D’une part en ce qui concerne les sols, il est important de planter pour restaurer la nature les sols urbains et recycler l’air pollué et contribuer à l’augmentation de la canopée urbaine, essentielle pour la lutte contre le changement climatique. D’autre part, une économie circulaire peut surgir du moment où le compost organisé par le voisinage peut nourrir la terre des arbres des cours du quartier qui vont pousser et qui un jour pourront être coupés pour utiliser le bois. Replanter ensuite un autre arbre qui va continuer à enrichir le sol, dépolluer l’air, devenir puits de carbone, recevoir le compost, devenir le lieu du mouvement de citoyens engagés.

Ce dernier point répond à ma première intuition exposée à l’exposition « Jardin Demain » à l’Hôtel de Ville en 2007 : les cours des villes peuvent non seulement devenir le lieu de l’engagement citoyen contre le réchauffement climatique, mais être la matrice de la plantation de la canopée urbaine, un territoire planté au cœur de la ville à partir d’une action locale.

 

Note / Bibliographie :

Léna Soffer est architecte et paysagiste concepteur franco-venezuelienne, lauréate de la Villa Le Nôtre. Elle travaille à diverses échelles entre le territoire et la parcelle.
Lien vers la Villa Le Nôtre : http://www.ecole-paysage.fr/site/ensp_fr/Residence-internationale-de-paysagistes.htm

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Pour référencer cet article :

Guillaume Portero , Léna Soffer, Openfield numéro 11, Juillet 2018