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Sur les chemins de Saint-Goussaud

Ou comment prendre le temps de construire un projet ensemble.

« On veut un peu de participatif dans cette étude. » « Est-ce que vous avez pensé à faire une réunion publique ? » « Ne pourrait-on pas demander leur avis aux habitants ? » « Nous sommes élus, nous avons donc la légitimité de prendre les décisions ! »

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Ces phrases, et bien d’autres, de nombreux concepteurs les ont entendues. Que ce soit pour l’élaboration d’un document d’urbanisme ou la réalisation d’un espace public, il est demandé de plus en plus aux maîtres d’œuvre d’inclure la parole des citoyens dans le processus de conception.

Or prendre en compte la parole des habitants et être garant du respect de cette parole dans les différentes phases de projet demandent du temps et un savoir-faire.

Au début de l’année 2017, j’ai été amené, dans le cadre de mes missions au CAUE de la Creuse, en partenariat avec le Conservatoire d’Espaces Naturels du Limousin et la Communauté de Communes Monts et Vallées Ouest Creuse, de proposer un accompagnement spécifique à la municipalité de Saint-Goussaud, sous la forme d’une étude paysagère participative. Notre objectif était de guider les élus et les habitants pour qu’ils puissent se saisir des outils de la conception et trouvent les moyens de réaliser leurs idées.

Saint-Goussaud est une commune de 173 habitants aujourd’hui, où il demeure une forte volonté de vivre et de composer une nouvelle manière d’habiter la campagne. Victime de la déprise agricole, ses monts autrefois pâturés se sont couverts d’une forêt dense, désormais essentiellement résineuse. Boisée à 70 % environ, la fermeture de ses paysages et le maintien de son cadre de vie deviennent des enjeux forts.
Dans un pli du relief se glisse une tourbière classée Zone Naturelle d’Intérêt Faunistique et Floristique. Sur le Mont-Jouër, point culminant de la commune, se situent les vestiges d’un sanctuaire et d’un des plus petits théâtres gallo-romains de France.
Comme de nombreuses communes rurales, il est ici à noter la présence d’un fort potentiel d’accueil, doublé d’une qualité de vie, d’un patrimoine bâti, et d’une nature du quotidien préservés.

J’ai tout d’abord souhaité quitter quelque peu ma posture d’ingénieur-paysagiste pour concevoir ce dispositif dans lequel des habitants pourraient venir s’exprimer, sans jugement, et proposer des actions. C’est bien pour servir cet objectif que je ne souhaitais pas trop arpenter la commune au préalable. Je ne voulais pas porter, d’emblée, une analyse du site, savoir ce que j’aimais ou pas, ce que j’aimerais faire.

De plus, dès le commencement, nous avons décidé de travailler avec une vidéaste pour relater l’histoire de cette étude. De fil en aiguille, ce qui devait être une série de six courts métrages est devenu une webstory racontant non seulement les ateliers, mais aussi les habitants et les paysages de la commune.

Dans cette idée, avant les ateliers, la première étape a été d’aller à la rencontre des habitants et des acteurs du territoire afin de connaître et comprendre les enjeux entourant la commune, concernant les activités économiques qui s’y déroulent, avoir le regard des agriculteurs, du dernier commerçant de la commune, des professionnels du tourisme, de la sylviculture, des élus. Plus d’une trentaine d’entretiens individuels ont ainsi été menés.
Organiser de tels moments se fait de manière différente selon que ce soit avec un élu, un technicien ou un habitant.
Le technicien, salarié d’une association ou d’une collectivité, est rompu à ce genre d’exercice. Il le pratique au quotidien et acquiert une attitude particulière. La prise de rendez-vous est aisée et l’entretien demeure dans un cadre professionnel.
L’élu souhaite obtenir un certain consensus autour de lui et cherche pour cela à s’entourer et à rassembler un certain nombre de ses pairs. Il est coutumier du débat en groupe, davantage qu’en vis-à-vis. Il est possible, en fonction de ce qu’on cherche, d’obtenir de lui un avis personnel.
Pour l’habitant, l’exercice est souvent inhabituel. L’approche et les modalités du dialogue ne peuvent donc pas être tout à fait les mêmes. Il est souvent plus facile d’aller dans le champ des émotions et du rapport intime au territoire.
Ce fut à chaque fois une véritable rencontre. Pour chacun, j’ai souhaité leur laisser le temps de s’exprimer et d’échanger sur le contenu même de l’étude.

Avec le recul, cela me semble indispensable : en effet, il est avéré que les informations recueillies ne seront pas les mêmes si elles émanent d’un groupe ou d’une personne seule. La gestion d’un groupe de personnes, quelle que soit sa taille, implique un travail important de l’animateur pour faire circuler la parole afin que chacun puisse s’exprimer comme il l’entend, sans sortir frustré de la réunion. Toutefois, on ne peut pas obliger une personne à s’exprimer et nous pouvons alors perdre certaines informations. Cela implique donc des règles d’écoute et de bienveillance qui ne sont pas toujours respectées par tous. Le débat public peut être l’occasion, pour certaines personnes, d’imposer leurs discours, monopoliser la parole et l’attention.

L’entretien individuel, lorsqu’il est possible de l’organiser, permet donc de protéger la parole de chaque personne et lui donner l’opportunité de donner son point de vue, sans jugements ni filtres. Le travail de l’animateur est alors davantage basé sur l’écoute et la prise de note. Charge à lui également de compiler par la suite ces interviews afin d’en retirer des lignes directrices.

Ce n’est qu’à l’issue de ces entretiens que j’ai été en mesure de formaliser le cadre général de l’étude et surtout le contenu des ateliers. Ceux-ci se sont réparti autour de trois grands thèmes : FORÊTS ET AGRICULTURES, TOURISME ET SPORTS DE PLEINE NATURE, PATRIMOINE NATUREL ET PATRIMOINE BÂTI.

La conception d’un dispositif participatif peut être proche de celle d’un espace public. Là aussi, il s’agit d’imaginer des usages, la manière dont les personnes vont se mouvoir et interagir les uns avec les autres, anticiper les zones de tension et trouver des moyens qui permettront d’accompagner la parole et la co-construction du projet.

J’ai tout d’abord souhaité créer un cadre, organiser un lieu dans lequel pourraient évoluer les participants, se référer à des documents, apprendre, collecter, partager.

Dès la soirée de lancement de l’étude, en mai dernier, nous avons donc installé aux murs de la salle des fêtes des cartes, des photographies anciennes et actuelles afin de susciter les réactions et les commentaires des habitants. De plus, avec l’aide d’une stagiaire-paysagiste du CAUE, nous avons installé, la veille, dans le bourg, ce que nous avons appelé des « paroles d’habitants », issues des entretiens préalables. Sur les murs, les barrières, les poteaux de signalisation et les bancs s’est ainsi affiché le point de vue des habitants : « Il est important de communiquer sur l’idée de nature, du sauvage ». « C’est un beau pays. Il y a les oiseaux. C’est calme le soir. Il n’y a pas de bruit ». « Si on vient là, c’est pas pour qu’on vienne nous emmerder ». « Il faut casser l’image d’une campagne vide où il n’y a rien à faire ». « C’est un territoire attractif. À côté de rien, mais pas loin de tout ». « Au bout d’un moment, on s’essouffle ». « Est-on capable de proposer une sylviculture respectueuse d’un territoire ? » « Y a de la place pour tout le monde ». « Ça veut dire quoi habiter ensemble ? »

La quarantaine de paroles, ainsi disséminées dans les rues jusque dans la salle des fêtes, a permis de cadrer le débat, soulevant déjà les thèmes traités, donnant la possibilité aux habitants de réagir à leurs propres propos, par un effet-miroir.

Paroles d’habitants ©Marin Baudin

Pour chaque atelier, l’installation de la salle a évolué en fonction des thèmes abordés. Au fil du temps, le premier accrochage a ainsi laissé la place aux éléments de diagnostic, aux comptes-rendus des ateliers puis aux premières propositions d’actions. De même, pour chaque temps de rencontre, un espace de lecture était mis à disposition. Il s’agissait de participer à la montée en compétence de chacun et favoriser l’émulation du groupe.

La population de Saint-Goussaud a accueilli d’un œil bienveillant cette étude. Et les ateliers ont connu une fréquentation soutenue et fidèle. J’ai souhaité donner un caractère réellement convivial à chaque temps de rencontre. L’étude étant basée sur le volontariat, il était important que chacun se sente bien et ait envie de revenir.

Soirée de lancement © Marin Baudin

Ceci a été notamment possible du fait de la taille même de la commune et de la capacité qu’ont les habitants à se mobiliser sur un sujet qui les touche. Cette taille, bien que cela puisse également s’observer dans des communes plus importantes, permet une démocratie plus directe, sans filtres entre les élus et les habitants. Cette étude a aussi permis aux personnes de se connaître. Entre personnes natives ayant toujours vécu ici, celles qui sont parties puis sont revenues et celles qui viennent d’arriver, chacun transporte ses représentations, son imaginaire et son idée sur les paysages du quotidien. C’est bien cette convergence que nous avons cherché à trouver, ne pas vouloir le consensus à tout prix, mais retirer, du point de vue de chacun, ce qui peut faire sens pour tous.

Un autre facteur qui, à mon sens, a permis à cette étude une réussite certaine est le temps dans lequel se sont déroulés les ateliers. En deux mois et demi, de mai à juillet, sept ateliers ont été organisés, soit environ un toutes les semaines et demie, sans compter le contact maintenu avec l’ensemble des participants par mail.

Si six ateliers étaient consacrés aux thèmes énoncés précédemment, le septième et premier d’entre eux s’est déroulé durant toute une journée, en deux temps, au travers d’un diagnostic en marchant et un atelier de cartographie sensible. Ces deux dispositifs auraient pu prendre un temps plus long. Et je me rends compte avec le recul qu’ils auraient dû, notamment le second. En effet, le diagnostic en marchant demande un travail important de préparation afin de permettre la collecte de données précises des participants. Crayon en main, ils doivent être en capacité d’analyser ce qui les entoure, décrivant leurs habitudes et leur rapport au territoire. Cela ne se décrète pas, mais s’accompagne réellement afin que chacun se sente à l’aise avec l’exercice. De même, la cartographie sensible demande un certain temps d’appropriation de l’outil. Ici, pour faciliter la prise en main, nous avions réalisé un fond de plan, sur le modèle des cartes de l’IGN. Malgré le temps court imparti, les participants ont réussi à produire une analyse individuelle fine de leur territoire, en relevant les atouts comme les faiblesses.

Diagnostic en marchant. ©Jean-Jacques Simon et Marin Baudin
Atelier de cartographie sensible ©Marin Baudin

Au cours des ateliers suivants, dix propositions d’actions ont émergé. La première, transversale, reflète l’envie des habitants de se rassembler pour constituer ensemble une seule voix, forte, face aux propriétaires et exploitants forestiers. Face à ce sentiment de dépossession de son territoire, qu’on retrouve sur le Plateau de Millevaches, au sud du département, en Dordogne ou ailleurs, les habitants de Saint-Goussaud veulent informer les petits propriétaires forestiers des pratiques de certains exploitants, entrer en contact avec les plus grands propriétaires afin de maintenir le maillage des chemins ruraux, éviter la constitution de grands domaines fermés et les sensibiliser sur le fait qu’ici, des gens ont envie de vivre et d’apprécier encore les monts et leurs points de vue.

Il s’agit également de favoriser l’accueil de nouveaux habitants, porteurs de projets en agriculture, dans le tourisme ou le développement des sports de pleine nature. Des propositions ont également été faites pour valoriser les abords des éléments de patrimoine bâti ainsi que ceux des sites emblématiques de la commune, respecter et faire connaître la mosaïque de milieux naturels, ou encore favoriser la randonnée, sous toutes ses formes, comme principale médium de découverte du territoire.

Durant ces deux mois, les idées qui pouvaient paraître cloisonnées se sont vite mêlées aux autres, faisant émerger une riche carte d’actions possibles.

Une fois la formalisation définitive de ces propositions validée par les habitants, il s’agira alors pour nous de poursuivre l’accompagnement de la commune afin d’aider à la réalisation de ses choix. Au-delà de Saint-Goussaud même, il s’agira également de démontrer, comme cela peut se faire ailleurs, qu’il est possible de construire une ruralité contemporaine, capable d’apporter un cadre de vie respectueux de l’environnement et de ses habitants.

Cette étude a été réalisée avec le concours de Vincent Guérard (ENSAP Bx), Manon Frébet (ENSNP-INSA Centre Val de Loire), Perrine Nouvier (Vu Prod.), Juliette Tranchant (Communauté de Communes Monts et Vallées Ouest Creuse), Erwan Hennequin (CEN du Limousin), Bernard Leroudier, Patrick Dourdy, Henri Dauny, Jean-Jacques Simon et l’ensemble des élus, ainsi que les habitants de Saint-Goussaud.

Cette étude paysagère participative a fait l’objet d’une webstory :

Cette étude est soutenue par l’Union Européenne, programme LEADER SOCLe

 

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Pour référencer cet article :

Marin Baudin, Sur les chemins de Saint-Goussaud, Openfield numéro 10, Décembre 2017