La France compte environ 36 000 communes, ces entités administratives ont des tailles très variables. Celle où je réside comptait, lors du recensement de 2010, lorsque j’ai commencé ce travail photographique, 2839 habitants. Je voulais alors photographier mon village que je parcours chaque jour un peu, et d’autres beaucoup plus. Néanmoins, je ne suis toujours pas sûr de le connaître complètement, mais ce qui m’intéressait, c’était de prendre le temps et de le regarder avec lenteur. Deux ouvrages m’ont servi de référence pour appréhender ce travail photographique.
Le premier, c’est « La métamorphose de Plozévet, commune en France ». En 1965, Edgar Morin débarque dans une petite commune du Finistère qu’il va passer au crible de l’analyse sociologique pour y observer le passage d’une commune rurale vers la modernité. Il me semblait intéressant, quelques 50 ans plus tard, d’inverser la proposition pour retourner voir dans une commune rurale quels avaient été les effets de cette modernité, ses échecs et ses bénéfices !
Ma seconde clé d’entrée fut « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » de Georges Perec, surtout pour cette incroyable capacité dont l’auteur fait preuve de s’asseoir dans un lieu commun pour l’observer sans relâche, jusqu’à faire émerger l’épaisseur qui le caractérise. A force d’observer, l’anecdote et le superflu disparaissent et il ne reste que l’esprit du lieu, qui se révèle couche après couche. La force de l’habitude qui devient motrice et qui nous force à regarder les choses, les lieux différemment. Une accumulation qui permet de comprendre des usages.
Voilà pour le cadre qu’il me restait à remplir de ma propre sensibilité. Je dois bien reconnaître que ce type de photographies m’était complètement étranger il y a une vingtaine d’années et ma façon de regarder autour de moi, le territoire que j’habite, les paysages qui m’entourent à considérablement évolué. Je le dois en partie à mes amis enseignants et étudiants de l’Ecole du Paysage de Blois que je côtoie depuis 20 ans. A leur contact, j’ai réappris à regarder ce qui m’entoure et je leur en sais gré car, pour un photographe, il est nécessaire de toujours réapprendre à voir. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible de remplir ce fameux cadre.
Alors je me suis mis en route, pendant un an, à la recherche de ces éléments qui constituent la forme d’un village, cet assemblage de végétal, de pierre, de terre, d’eau… Ces petits espaces singuliers qui, mis bout à bout fabriquent notre quotidien. Nous avons perdu l’habitude de nous émerveiller sur ces petits lieux que pourtant nous passons beaucoup de temps à parcourir. La lenteur de mon travail permet de déceler la poésie qui se cache dans les recoins de béton, derrière des clôtures ou le long des routes. La photographie argentique de moyen format privilégie le regard. Il faut choisir avant de faire la photo. Le sujet se révèle lentement alors que le cadre se met en place. Des Eléments d’une typologie de l’urbanisation contemporaine d’un village français de deux mille huit cent trente neuf habitants apparaissent et, s’ils me sont personnels, libre à chacun de s’y perdre, de s’y retrouver, ou d’y exercer son propre sentiment de reconnaissance ou de « déjà-vu ».
Crédit photographique © Christophe Le Toquin