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Au delà de l’image

Au-delà de l’image, lire entre les lignes
De prime abord, une image est la représentation d’une réalité. Mais de quelle réalité parle-t-on ?
Cet article cherche à montrer la face cachée de l’image, et à mettre à jour une autre réalité…
Il est possible de faire dire beaucoup de choses aux images, et de manipuler, en quelque sorte, la réalité. 
Parcourons ensemble quelques cas de figures pour lire entre les lignes…

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LABOUR

Doue, Seine & Marne, octobre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

Ici, à l’évidence, nous sommes face à la grande œuvre agricole de l’homme moderne : le labour !
Fantastique invention qui marque ostensiblement l’intervention de l’homme sur la terre, son travail est lisible de tous dans le paysage, il fait place nette pour de nouvelles cultures.
Les champs sont à l’homme ce que la maison serait à la femme, son domaine d’action, son lieu, sa propriété…

Mais ce labour, cette action, que représente t-elle à une autre échelle, selon un autre point de vue ?

Le labour, pour la vie du sol -si tant est qu’il en reste- est un génocide. Ni plus, ni moins.
L’exploitant agricole, en passant ses puissants socs dans la terre, la retourne, sur des profondeurs de plus en plus importantes, au fur et à mesure des « avancées » technologiques.
Une expression anglaise résume parfaitement ce qu’il se produit alors, tout est « upside-down », sens dessus-dessous.

Doue, Seine & Marne, octobre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

Ainsi, ce qui se cache derrière cette action, somme toute banale du labour, que ce soit au travers d’un flambant tracteur ou par l’action d’une bêche, c’est une désorganisation de la structure de la terre.

Un sol est organisé par horizon, à chaque horizon/strate/épaisseur, on trouve une faune inféodée.
Dans l’horizon supérieur, on trouve la faune épigée, qui vit aérobie, c’est-à-dire qu’elle a besoin, tout comme nous, d’oxygène pour son métabolisme.
L’horizon du « milieu » est celui de la faune anécique. Cette faune circule entre l’horizon supérieur et inférieur, elle brasse la terre et est impliquée dans la constitution du complexe argilo-humique (CAH : une molécule d’argile liée à une molécule d’humus par le biais d’un ion calcium).
Le dernier horizon est le domaine de la faune endogée, qui vit, elle, anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène et ne voit jamais la lumière du jour.

Aussi, lorsque griffes de bêche ou socs de tracteur mélangent et brassent la terre, ils font remonter à la surface la faune endogée, la mettant au contact de l’air et de la lumière, ce qui la décime.
De la même manière, vous l’aurez compris, la faune épigée, se retrouve « au fond du trou », sans oxygène, et tout comme un être humain, en l’absence d’oxygène, elle dépérit.
En plus de tout mettre sens dessus-dessous, ce génocide, détruisant la vie du sol, détruit aussi les artisans du sol, ceux-la même qui le bâtissent gratuitement jour après jour, sans faillir.

Un sol mort n’est plus apte à supporter la vie, il dépérit, il s’érode, il file à travers champ pour rejoindre rivières et fleuves, qui se chargent de cette précieuse matière qui a mis des milliers d’années à se constituer.
On dit qu’il faut un siècle pour faire un à deux centimètres de sol…
La révolution verte et ses brillantes idées a 60 ans…

Doue, Seine & Marne, octobre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

En guise de conclusion, labourer, c’est se comporter un peu comme… un serial-killer chaussé en bottes de caoutchouc !

CORDEAU

Doue, Seine & Marne, octobre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

Ici on aperçoit un « ruisseau », qui marque la limite entre deux champs labourés (encore eux).
Ce ruisseau est rectiligne, profond, ses rives sont enherbées, et une frange d’herbe le distance un peu des champs cultivés de part et d’autre.

Son aspect actuel, droit, tiré au cordeau résulte t-il d’une forme naturelle ?
Point du tout !

Nous avons sous les yeux, en vérité, un autre design, tout humain celui-ci.
Conception spatiale héritée de l’âge d’or de la réorganisation de nos campagnes suite à la « révolution verte », résultant d’une approche réductionniste du paysage.

Dans la Nature, le cheminement de l’eau ne se fait pas en ligne droite : il suffit pour s’en convaincre d’observer des photographies aériennes de fleuves qui n’ont pas été remaniés par l’homme.
Vous me direz que je cherche la petite bête et vous espérez qu’il n’y a pas -encore- une sombre histoire d’assassinat derrière cette image ?
Et bien… Oui et non.

Pour s’en persuader, nous pouvons nous interroger et prendre la question dans le sens inverse.
Pourquoi, dans la Nature, qui, rappelons-le, fait des essais concluants depuis 3,8 milliards d’années ; les cours d’eau cheminent-ils de façon sinueuse ?
Est-ce que l’homme est un véritable génie, lui qui « réorganise » le vivant à sa façon ?
Pas si sûr…

L’intérêt pour la vie, de faire cheminer l’eau tout en ondulation est multiple.

Autant vous l’avouer tout de suite, nous avons tout à (ré)apprendre de la Nature, car si les formes et motifs qu’elle déploie ont perduré, c’est qu’ils fonctionnaient : l’évolution du vivant faisant sa sélection au fur et à mesure du temps, en ne retenant que ce qui était viable.
Aussi, un cours d’eau flexueux permet de réduire la vitesse de l’eau qui y circule, et donc, de réduire l’érosion.
En effet, qui dit ligne droite dit vitesse (ce n’est pas pour rien que voies romaines et routes d’aujourd’hui sont rectilignes).
Qui dit courbe, dit ralentissement.
Mais ce qui est perçu par certains comme un défaut est, dans la Nature, un atout : avec les courbes, l’eau ralentit et dépose son butin alluvionnaire. Chaque changement de direction, engendre un dépôt, qui engendre…de la vie !
Ce substrat fertile offre un habitat pour toute une faune et une flore spécifique, inféodée au milieu.

La sinuosité engendre donc vie et richesse.
Tandis que l’homme a souhaité réorganiser cela pour pouvoir « optimiser » l’espace, gagner du terrain pour cultiver, n’engendrant que des problèmes érosifs sans fin.

Une morale à cette histoire ?
Aujourd’hui, l’homme a inventé un nouveau domaine d’activité, dans lequel les paysagistes interviennent parfois : la renaturation.
L’homme ayant démoli l’existant pour le façonner comme il le souhaitait, aujourd’hui l’homme nouveau, celui du XXIème siècle, repasse pour « renaturer » tout cela et refaire de la nature.

Ceci m’évoque une expression : le serpent qui se mord la queue, ou comment se croire calife à la place du calife…

L’ARBRE QUI CACHE LA FORET

Cavarc, Tarn & Garonne, novembre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

Un chêne majestueux, coincé entre deux champs.
Un chêne rescapé de l’agriculture moderne.
Un chêne, figure tutélaire du paysage, qui marque le passage des saisons, la limite d’une propriété.
Une présence remarquable, qui interroge sur l’avant. A-t-il toujours été seul ?
Au delà de cette présence rassurante, que fait-il ? Qu’apporte t-il ?
Un arbre n’est pas seulement là pour le plaisir de nos yeux.
L’arbre accueille la faune, lui fournit habitat et nourriture, mais l’arbre et plus largement la forêt jouent un rôle très négligé par l’agriculture actuelle.

Les forêts sont les «usines » qui fabriquent les sols. Ces mêmes sols que nos agriculteurs maltraitent aujourd’hui par perte de proximité et manque de connaissance.
Les arbres transforment la matière minérale en matière organique, ils fertilisent les sols, les rendent perméables et contribuent à leur vitalité.
La présence d’arbres lutte également contre l’érosion : les arbres retiennent le sol autant qu’ils le créent. Ainsi l’on peut s’interroger sur les images du printemps dernier, où l’on voyait la capitale française inondée d’une eau boueuse, ou encore les terribles dégâts engendrés par les pluies méditerranéennes : en aurait-il été ainsi si les flans des montagnes et les campagnes n’avaient pas été massivement déboisés (voir désertifiés) ?
Sans les forêts, il n’y aurait jamais eu de sol, et sans sol, l’agriculture n’aurait jamais pu s’établir.

De nos jours, la société a trop tendance à oublier à quel point elle est liée à la Nature.
L’homme a besoin de la Nature, l’inverse n’est pas vrai.
L’homme a besoin des arbres. Ces modestes êtres vivants sont de véritables usines biochimiques.
Les arbres, et plus largement les forêts, nous sont vitales et cela ne relève absolument pas d’une vision mystique.

Au-delà de cette image d’Épinal, penchons nous sur ce que les forêts font encore discrètement pour nous.

Les forêts font la pluie et le beau au-dessus de nos têtes. En effet, il est aisé de constater qu’un micro-climat s’installe aux abords des bois.
Plus de vent sous la canopée, pas d’inondation, le sol est vivant et joue son rôle de filtre et de percolateur.
Il a été prouvé que les arbres, notamment ceux des belles forêts tropicales, génèrent eux-mêmes la pluie lorsqu’ils en ont besoin (voir à ce sujet les écrits de Francis Hallé, ou encore le documentaire « Il était une forêt »). En conséquence, la présence des forêts contribue à rafraîchir le climat.

A l’heure où nous nous agitons face au réchauffement climatique, un geste simple et efficace s’impose : planter des arbres !

Mais les prouesses des forêts ne s’arrêtent pas là !
Elles participent aussi à donner une eau de qualité, par filtration. Leur présence permet de recharger les nappes phréatiques : elles sont donc un des maillons de la chaîne de régulation de l’eau.

Elles séquestrent également le dioxyde de carbone que nos folles sociétés rejettent en masse.
Et il va sans dire que les boisements abritent également une faune et une flore importante.

Aussi, la prochaine fois que vous croiserez, un arbre ou une forêt, prêtez-y un œil différent, et prenez conscience que sans leur présence vous ne pourriez survivre.
Comme le résume si bien René de Chateaubriand :
« La forêt précède les peuples, le désert les suit. »

Butte de Doue, une forêt en devenir, Seine & Marne, octobre 2016 ©Anaïs Jeunehomme

 

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Pour référencer cet article :

Anaïs JEUNEHOMME, Au delà de l’image, Openfield numéro 8, Février 2017