Au sud de Nantes, les prairies de la Sèvre nantaise en présentent un exemple intéressant. Cette vallée constitue en effet l’un des axes majeurs de la trame verte et bleue au sud de l’agglomération, et son caractère péri-urbain en fait un site de loisirs important. De plus, le pâturage ne constitue pas ici une pratique nouvelle, mais un retour aux usages préexistants, qui ont contribué à la constitution progressive de ces milieux.
Ce sont les crues régulières de la Sèvre nantaise qui ont permis de préserver ce secteur de l’expansion urbaine : cette rivière étant fortement soumise aux marées de coefficient important – du moins jusqu’à la Chaussée des moines, à Vertou – une grande partie des prairies qui la bordent est régulièrement inondée. Le lit majeur constitue donc une large incursion verte qui s’immisce quasiment jusqu’à la Loire, au cœur de l’agglomération. Ces espaces ont aussi en grande partie échappé à l’assèchement qu’ont connu de nombreux marais, et leur vocation de prairies pâturées s’est bien maintenue jusqu’au début des années 1970, composant un paysage bocager alternant espaces ouverts et haies denses, installées notamment le long des étiers. Mais la déprise agricole et le déclin de l’élevage ont entrainé le développement de nouveaux modes de gestion, afin de protéger ces espaces de l’enfrichement.
Côté nantais, en rive droite, l’entretien par girobroyage a remplacé les ruminants dans un premier temps : fauchées et broyées mécaniquement, les herbes étaient ensuite laissées sur place. Si les milieux ouverts étaient ainsi maintenus, l’apport organique des déchets de tonte, trop important, entrainait un enrichissement excessif des sols. Rehaussées par ce complément, les prairies ne pouvaient alors plus accueillir certaines espèces et laissaient la place à des groupements végétaux moins riches. Pour faire face à cette dégradation du milieu, et après un temps initial d’expérimentation, ce sont aujourd’hui deux troupeaux (l’un de Highland cattle, l’autre de vaches Nantaises) qui ont repris leur rôle de gestionnaires des prairies, sous la tutelle du Service des espaces verts et de l’environnement de la ville de Nantes. Le choix des Nantaises, adaptées aux milieux humides et autrefois très présentes dans les marais de la côte atlantique, contribue à la préservation de cette race bovine, qui a failli disparaître dans le courant des années 1980.
Côté rezéen, en rive gauche, la disparition du pâturage a d’abord laissé la place à un espace de loisirs informel, ouvert aux promenades et pique-niques dominicaux. C’est en 1982 que ces terrains sont rachetés par la ville, qui en confie l’aménagement à l’ONF : les prairies sont transformées en parc urbain, avec plantation d’essences exogènes (saules pleureurs, chênes rouges) et gestion conventionnelle. Au début des années 2000, la commune initie un projet pour redévelopper un milieu de prairie humide, en partenariat avec des associations naturalistes. Un plan de gestion différenciée est alors mis en place, de même que des projets de replantations d’essences locales et de haies, ou encore une reprise de la taille en têtards des frênes existants. La nouvelle gestion se traduit par des fauches annuelles à des périodes différentes selon les secteurs, avec exportation du fourrage, et la mise en place de pâturage sur une vaste parcelle, occupée par un troupeau de vaches Prim’holstein de juin à octobre grâce à un partenariat avec un agriculteur.
Dans ces deux cas, après une période d’abandon de la gestion traditionnelle, le retour au pâturage a constitué une solution évidente pour retrouver la qualité et l’équilibre environnemental des prairies de Sèvre. En évitant l’enfrichement – que l’on peut observer sur certaines parcelles non gérées – les vaches maintiennent ces milieux ouverts, et tandis que l’entretien mécanisé produisait des milieux uniformes et appauvris, le pâturage par les bovins est sélectif, et compose une plus grande diversité. La préférence des animaux pour certains types de plantes entraine en effet des pressions différentes selon les secteurs, et crée une mosaïque de communautés végétales. Ainsi, les vaches Nantaises sont connues pour accepter des fourrages grossiers (voire de la végétation ligneuse), mais aussi pour créer en broutant des zones herbues et des prairies rases, susceptibles d’accueillir diverses espèces végétales et animales. Le piétinement du bétail crée également des ouvertures dans la strate herbacée, où d’autres espèces peuvent alors s’installer. Une pression équilibrée doit cependant être maintenue pour optimiser ces effets : en cas de surpâturage, la biodiversité sera réduite. Les animaux constituent ainsi un réel outil de gestion de l’environnement : sur le secteur de Rezé, la Baldingère était autrefois dominante, et limitait le développement d’autres espèces. La pâture et la gestion différenciée ont permis de la faire régresser, et les inventaires floristiques ont identifié depuis une réelle diversification.
Mais la présence des bovins participe aussi du charme de ces prairies pour les citadins qui les fréquentent. Les bords de Sèvre nantaise constituent en effet un site particulier : bien qu’englobés par l’urbanisation du sud de l’agglomération, ils restent caractérisés avant tout par leur image rurale. Cette vallée compose ainsi une véritable lisière agri-urbaine, où les bâtiments les plus proches du lit majeur surplombent directement les prairies inondables. Les étiers, les haies et les boisements complètent ce paysage pour offrir aux nombreux promeneurs, pêcheurs, joggers et cyclistes des espaces très qualitatifs, parcourus de chemins accessibles et confortables, et équipés de bancs ou de jeux pour enfants. En proposant une rencontre entre ces usages urbains et les pratiques traditionnelles, la présence des troupeaux constitue un atout supplémentaire, et confère aux bords de Sèvre leur identité particulière au sein de l’agglomération
Mais il s’agit finalement d’un espace encore mal défini : occupé par des animaux de ferme, mais sans but productif, il n’est donc pas vraiment la campagne. Dédié à la biodiversité, mais soigneusement entretenu par l’homme (grâce au concours des vaches), il n’est pas vraiment la nature non plus. Enfin, destiné aux loisirs, mais inaccessible aux usagers sur la majeure partie de sa surface, il n’est pas vraiment un parc. Si le retour au pâturage rappelle les usages anciens de la vallée, le statut de ces prairies est aujourd’hui radicalement différent.
On pourrait y voir une forme de campagne idéalisée, dédiée uniquement à la promenade et aux loisirs, à l’image du hameau de Marie-Antoinette. Sans recherche de production, elle n’engendre ni exploitation, ni souffrance animale ; et sans pratiques intensives, elle ne nécessite pas d’engrais ou de pesticides et ne menace pas la biodiversité, au contraire ! Mais elle apparaît surtout – notamment lorsque des prestataires extérieurs ou les services espaces verts s’occupent des animaux – comme une campagne sans agriculteurs. Au sein de cet espace, un rapport nouveau entre l’homme et l’animal se dessine et mérite d’être questionné.