Premièrement, la ténacité des aménageurs à vouloir planter des arbres trop vieux reste aujourd’hui l’une des principales causes des échecs de plantation auquel s’ajoute le non-respect des règles de suivi post-transplantation (Struve, 2009). Les étapes de développement des végétaux (Raimbault et Tanguy, 1993) – pourtant fondamentales pour assurer leur pérennité – ne sont peu ou pas intégrées.
Deuxièmement, les conditions de croissance sont trop souvent instables, quand bien même des moyens suffisants pour mettre en place un système racinaire décent leur seraient donnés. Ainsi, des racines structurantes sont mutilées, des ancrages mécaniques rendus douteux et des chevelus racinaires arrachés.
Troisièmement, les conséquences du changement climatique ont déjà atteint nos arbres qui auront des difficultés à surmonter ces bouleversements sur le long terme (Allen et al., 2010).
Pourtant, d’innombrables solutions techniques existent déjà pour améliorer les conditions environnementales urbaines. Je ne prétends donc pas révolutionner ce que des générations d’horticulteurs, ingénieurs et paysagistes ont déjà mis en place. Au contraire, il s’agit d’une base solide et précieuse qui ne peut que nous servir. De plus, de nombreuses collectivités, paysagistes et autres acteurs ont déjà mis le pied à l’étrier pour changer leurs méthodes.
Nous devons cependant poursuivre la réflexion et notamment creuser la question de la pérennité de nos forêts urbaines, de leur résilience. Comment pouvons-nous mettre en place une couverture végétale durable, facile d’entretien, adaptée aux usages et abordable économiquement tout en réglant les trois problèmes abordés précédemment ? Existe-t-il des approches de domaines connexes ou des aménagements existants desquels nous pouvons nous inspirer ?
Je développerai donc ici plusieurs éléments qui peuvent servir de piste de réflexion pour répondre à ces questions. Mon premier point constituera un bref argumentaire pour l’adoption d’une approche plus dynamique du couvert végétal en milieu urbain. Puis, j’aborderai la question d’une gestion créative et réactive qui devrait être incluse dès les prémisses d’un projet. Plus tard, je détaillerai les concepts de gestion de deux systèmes sylvicoles à un espace boisé quelconque. Enfin, une typologie intéressante d’espace public (les rues jardinées) sera évoquée et mise en parallèle avec les outils précédemment présentés.
Une approche dynamique
Une piste de réflexion pour répondre aux questions soulevées précédemment consiste à adopter une approche dynamique à l’échelle d’un peuplement ou d’un territoire. Des communautés végétales artificielles, se multipliant et se développant avec l’application d’une gestion plus légère peuvent être créées. Les essences sont adaptées à leur milieu et ont déjà subi une pression de sélection pour arriver au terme de leur développement. Les systèmes racinaires sont peu perturbés grâce au développement de nouveaux usages et d’un environnement plus sain.
Sans laisser la nature reconquérir les villes sans contrôle, nous devons admettre qu’une autre perspective est nécessaire. Une approche holistique, prenant en compte non seulement l’arbre dans son ensemble mais également les conditions stationnaires, le tissu urbain dans son ensemble (bâti et réseaux, revêtements), les usages, l’histoire du site, etc.
L’objectif est d’imiter, autant que faire se peut, la dynamique d’un peuplement forestier irrégulier, à une échelle ultra-locale (de l’ordre de quelques dizaines de mètres carrés ou linéaires à quelques hectares). Les adultes peuvent être issus de semis spontanés ou de plantations, vieillir et faire place à des individus jeunes et pleins d’avenir. Le gestionnaire peut sélectionner des essences « objectif » adaptées à leur environnement (au sens large), qu’il favorise sur le long terme au sein de micro-parcelles prédéfinies : au fond d’un jardin, au milieu d’un parc, dans une encoche sur une rue, sur un terrain vague. De nouvelles essences peuvent venir enrichir la trame et répondre aux enjeux du changement climatique. La ville est riche d’une multitude de strates végétales en constant changement, et, au fer et à mesure des années, les communautés évoluent laissant place à de nouvelles espèces, arrivées de façon spontanée ou artificielle.
Certes, les conditions de développement sont radicalement différentes du milieu forestier (2) (Sieghardt et al., 2005) mais si l’on considère le rythme de transformation des villes, de nombreux changements, devant s’opérer dans la durée, sont possibles et nécessaires pour atteindre l’objectif fixé au paragraphe précédent. Par exemple, des revêtements perméables ou semi-perméables ainsi que des installations limitant la compaction du sol sur l’entière surface de zones définies par le projet pourraient être installés dès que possible.
Cette vision est adaptée dans différents contextes en fonction du degré de naturalité de l’aménagement et va de pair avec un travail pédagogique et d’implication de la population. Bien que la fréquence de suivi soit presque aussi importante, la qualité sur le long terme et le coût d’implantation de la strate arborée constituent des avantages non négligeables. Des semis directs ou de très jeunes plantations présentent un coût dérisoire si on les compare à des sujets transplantés de multiples fois et présentant des forces bien supérieures. Les individus ne développeront que bien plus tard leur structure finale et ne subiront que des interventions d’élagage mineures. Les abattages peuvent être fréquents et se font au profit d’individus mieux adaptés.
Une gestion créative
La création de nouvelles communautés végétales pour des aménagements durables est donc possible. Il s’agit de trouver le meilleur couple conception-gestion qui permet d’aboutir à des espaces nouveaux. Cette gestion adaptée doit suivre les développements réels des peuplements végétaux en place, i.e. leur vitesse de croissance, le choix des individus les mieux adaptés ou la correction de leur défaut, autant que des principes théoriques flexibles par nature (Koningen, 2004). Cette créativité s’exprime ainsi par un suivi régulier et une connaissance approfondie des communautés installées. Une projection dans le temps est indispensable pour la réussite du projet.
Ce principe induit le rejet de tout dogme (ou presque(3)). Chaque situation est différente et peut nécessiter l’application, l’imbrication, l’adaptation, le développement ou l’évolution de techniques adaptées au site. Il est par ailleurs probable qu’aucune plantation ne soit possible pour différentes raisons : présence de réseaux souterrains, motifs historiques, conditions agronomiques médiocres, etc.
Cette optique permet d’adapter la composition ou la structure d’aménagements (et notamment la strate végétale) à des usages ou des conditions de développement difficiles ou instables. En ce sens, elle s’inspire de systèmes sylvicoles dont la dynamique peut être reproduite en milieu urbain ou périurbain.
Systèmes sylvicoles appliqués en milieu urbain (4)
Applied nucleation (Corbin et Holl, 2012)
Ce système sylvicole consiste à reboiser une aire géographique donnée à partir d’ilots semés ou plantés. Ces noyaux de végétation se développent, et participent autour d’eux à la remise en place d’un processus de colonisation naturelle (Cf. diagrammes) qui aurait, sans intervention, mis bien plus de temps à s’installer. Ceci va dans le sens de la formation d’un peuplement inéquienne caractéristique de ce mode de reboisement.
Le processus de régénération naturelle est favorisé par la création d’un microclimat forestier et une amélioration des propriétés édaphiques. Les noyaux permettent, par ailleurs, de réaliser des économies quant au coût d’implantation (moins de surface à reboiser artificiellement).
La composition des noyaux peut influencer leur capacité d’extension (mode de dispersion des graines) même si le facteur déterminant reste le degré de perturbation du milieu environnant. En milieu urbain, cette méthode de reboisement ne peut donc qu’être utilisée dans un contexte favorable à la régénération naturelle. On pense à des espaces tels que les parcs à gestion différenciée, friches et autres délaissés destinés, un jour, à devenir des zones boisées.
Pour favoriser l’extension de ces noyaux et si le gestionnaire fait face à une fréquentation trop élevée, des protections physiques peuvent être nécessaires (enclos, plessage ou autre). L’aire de protection de ces barrières prend en compte une zone tampon autour des noyaux pour que les semis naturels se développent. Autour de l’enclos, une autre bande enherbée doit être laissée libre de tout entretien afin de tenir à distance de la première zone tampon les usagers.
Nurse trees (Pommerening et Murphy, 2004)
Cette méthode de reboisement est particulièrement utilisée dans des contextes climatiques difficiles, notamment sur les zones côtières. On distingue deux scénarii :
– implantation au même moment d’un peuplement constitué de plusieurs essences dont une (pionnière) se développera plus vite que les autres car elle présente une certaine tolérance aux conditions climatiques difficiles,
– implantation au sein d’un jeune peuplement d’espèces pionnières (bouleau, saule, tremble, etc.) d’une ou plusieurs essences que l’on cherchera à favoriser par la suite.
Le couvert continu constitué par les essences à développement rapide favorisera la création d’un climat forestier propice à la croissance des autres espèces « objectif ». Ces dernières ne pourraient, dans un contexte difficile se développer autrement et nécessitent donc cet environnement protégé.
La dynamique de cette approche peut, dans certains environnements, faciliter la gestion du sous-étage « objectif » : les sujets développent leur structure finale plus tardivement et le besoin d’élagage est moins important en qualité et quantité. Il est applicable dans tout contexte et implique, d’une part, de prendre rigoureusement en compte les caractéristiques autoécologiques de chaque espèce, et d’autre part, d’accompagner régulièrement la strate « objectif » afin de déceler et de corriger toute anomalie de développement (écorce incluse par exemple).
L’élément majeur à prendre en compte dans l’application de ce système sylvicole est la gestion des ressources (lumière, eau, volume disponible) par les deux ou plusieurs essences au même moment et sur le long terme. On veillera, entre autres, à assurer un rayonnement approprié au sous-étage.
Les rues jardinées
Ces concepts sont intéressants à appliquer à différents espaces publics. Nous pouvons évoquer la typologie des rues jardinées où les processus de succession naturelle n’ont que peu d’emprise, bien que toutes les interactions écologiques que l’on connaît (répartition du rayonnement, interception des précipitations, développement des systèmes racinaires) ont bien plus d’importance que dans un milieu urbain classique.
Ces rues que l’on trouve inopinément dans de vieux quartiers résidentiels ou certains écoquartiers sont souvent le fait de l’action d’habitants qui s’approprient quelques mètres carré du domaine public en accord avec les gestionnaires. Ces carrés sont plantés de nombreuses espèces ligneuses et entretenus comme il se doit. Ce sont des jardins.
Rue jardinée à Haarlem, Pays-Bas ©Guillaume Portero
Le choix des essences se fait autant par les préférences en ornement des jardiniers que par les contraintes du site (gélivité, limite d’apport en eau, volume disponible pour les plantations et relation aux bâti). L’espace disponible pour les houppiers étant limité, jardiner les rues correspond souvent à l’art de végétaliser le moindre bout de terrain disponible par des moyens simples et efficaces.
Ce type de végétalisation du tissu urbain peut se faire sur le domaine privé, sur ce que Soulier (2012) appelle les frontages, espace disponible entre l’alignement et le bâti, ou sur le domaine public. Dans ce cas-ci, le rôle du gestionnaire consiste à concevoir un espace « cadre » sujet à évolution et aux diverses appropriations des habitants.
Le corps végétal implanté depuis le domaine privé participe souvent, dans ce cadre, autant à l’ambiance jardinée du site que celui du domaine public (Jacobs, 1995). Les frondaisons ou plantes grimpantes dépassent les murs ou les toitures et s’installent à la faveur d’interstices ou de rayons de lumière suffisants pour croître.
Remarques et ouverture
Des limites existent à cette approche qui mérite d’être développée de façon théorique et pratique. Elle n’est en effet valable que dans des contextes historiques adaptées et évolutifs. Elle nécessite en outre des mentalités prêtes à accepter des phases de développement relativement longues à l’échelle d’une vie humaine. Pour cela, le gestionnaire peut faire appel à de nombreuses essences dont les dynamiques de croissance peuvent répondre aux attentes des maîtres d’ouvrage.
Il ne s’agit pas de planter systématiquement le moindre espace disponible mais d’intégrer, si on décide d’agir, les notions de temps et d’espace, indispensables au projet urbain, dans la recherche d’une forêt urbaine plus résiliente. L’application de systèmes sylvicoles devient alors aussi bien intéressante qu’utile tout en se gardant d’une vision dogmatique.
Des phases d’expérimentation sont nécessaires et des retours d’expériences déjà menées à ce propos devraient être partagés. En outre, des analyses détaillant aussi bien la dynamique du peuplement lui-même que la méthode d’implantation et de gestion pourraient donc nous éclaircir. Les outils de visualisation et de modélisation classiques devraient rester honnêtes tout en sachant capturer la magie de l’évolution d’un boisement.
(1) Konijnendijk et al. (2006) précise que le terme ne fait pas toujours l’unanimité mais que Helms (1998) a donné une définition largement utilisée et relativement intégrative : ‘The art, science, and technology of managing trees and forest resources in and around urban community ecosystems for the physiological, sociological, economic, and aesthetic benefits tree provide society’. On notera l’absence dans la définition du concept de service environnemental fréquemment repris dans d’autres publications.
(2) Répartition des contraintes mécaniques, niveaux et variations de températures, d’humidité et de précipitation, conditions édaphiques, présence et relations des différents agents de l’écosystème (ravageurs, prédateurs, parasitoïdes, etc.).
(3) La plantation d’espèces répertoriées comme invasives devrait être évitée.
(4) Les termes anglais ont été conservés à défaut de traductions exactes en français.
Allen (Craig D.), Macalady (Alison K.), Chenchouni (Haroun), Bachelet (Dominique), McDowell (Nate), Vennetier (Michel), Kitzberger (Thomas), Rigling (Andreas), Breshears (David D.), Hogg (E.H. Ted), Gonzalez (Patrick), Fensham (Rod), Zhangm (Zhen), Castro (Jorge), Demidova (Natalia), Lim (Jong-Hwan), Allard (Gillian), Running (Steven W.), Semerci (Akkin), Cobb (Neil). 2010 – A global overview of drought and heat-induced tree mortality reveals emerging climate change risks for forests. Forest ecology and management. N° 259. – pp. 660-684
Corbin (Jeffrey D.), Holl (Karen D.). 2012 – Applied nucleation as a forest restoration strategy. Forest ecology and management. N° 265. – pp. 37-36
Helms (J.). 1998 – The Dictionary of Forestry. Bethesda : society of American Foresters. – 210 p.
Jacobs (Allan B.). 1995 – Great streets. Cambridge : MIT press. – 341 p.
Koningen (Hein). 2004. Creative management. – Dans : The dynamic landscape : design, ecology and management of naturalistic urban planting. – Abingdon : Taylor and Francis. – pp. 184-214
Konijnendijk (Cecil C.), Ricard (Robert M.), Kenney (Andy), Randrup (Thomas B.). 2006 – Defining urban forestry – A comparative perspective of North America and Europe. Urban forestry and urban greening. Vol. 3. – pp. 93-103
Pommerening (Arne), Murphy (S.T.). 2004 – A review of the history, definitions and methods of continuous cover forestry with special attention to afforestation and restocking. Forestry. Vol. 77, N°1. – pp. 27-44
Raimbault (Pierre), Tanguy (Marc). 1993 – La gestion des arbres d’ornement. 1ère partie : une méthode d’analyse et de diagnostic de la partie aérienne. – Revue Forestière Française. Vol. 45, N° 2. – pp. 97-117
Sieghardt (Monika), Mursch-Radlgruber (Erich), Paoletti (Elena), Couenberg (Els), Dimitrakopoulus (Alexandros), Rego (Francisco), Hatzistathis (Athanassios), Randrup (Thomas Barfoed). 2005 – The abiotic urban environment: impact of urban growing conditions on urban vegetation. – Dans : Konijnendijk, (Cecil C.), Nilsson (Kjell), Randrup (Thomas Barfoed), Schipperijn (Jasper) – Urban forests and Trees. – Berlin : Springer. – pp. 281-323
Soulier (Nicolas). 2012 – Reconquérir les rues. Paris : Editions Ulmer. – 256 p.
Struve (Daniel K.). 2009 – Tree establishment: a review of some of the factors affecting transplant survival and establishment. Arboriculture and Urban Forestry. Vol. 35, N°1. – pp. 10–13
Tyrväinen (Liisa), Pauleit (Stephan), Seeland (Klaus), De Vries (Sjerp). 2005 – Benefits and Uses of Urban Forests and Trees. – Dans : Konijnendijk, (Cecil C.), Nilsson (Kjell), Randrup (Thomas Barfoed), Schipperijn (Jasper) – Urban forests and Trees. – Berlin : Springer. – pp. 81 – 114