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Une montagne dans ma cour

Les « hòn non bộ », un paysage rêvé, domestique

Dans les cours de maisons anciennes figurent bien souvent des compositions rocailleuses, sortes de stalagmites émergeant de pots ou de bassins, parfois colonisées de petits arbustes et peuplées de petites figurines de personnages, de statues, de ponts, ou de pagodons. Ces paysages miniatures sont nommés en vietnamien, les « Hòn non bộ ». Ils appellent à la méditation de leurs spectateurs, qui en se plongeant dans leurs détails et leurs scènes, s’évadent dans des contrées mystiques et des récits plus vastes.

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Les typologies traditionnelles vietnamiennes des pagodes, temples, palais, habitations de notables… s’organisent en fonction d’un axe. Les bâtiments, leurs ailes et leurs dépendances, sont placés en symétrie ou perpendiculaire le long de cet axe. Ces différents édifices créent avec d’autres éléments : bassins, paravents (écrans), cours… un enchainement de dispositifs spatiaux, une succession de seuils, de périboles, qui permettent d’arriver graduellement au cœur du bâtiment, l’autel, tout en se prémunissant de l’entrée de mauvais génies.
Parmi les éléments qui participent de cette organisation spatiale, on trouve parfois ces bassins qui logent à leur centre, une rocaille humide, assortie de plantes et de figurines : les « Hòn non bộ ». Son rôle spatial est divers mais sa présence tient des raisons géomantiques de l’organisation générale du bâti. Il peut s’agir autant de clore un axe tout en lui offrant une échappée dans un paysage infini miniature. De pallier les lacunes géomantiques environnant du site en ajoutant un élément, eau, ile, montagne dans la composition d’ensemble. Ou à une échelle plus réduite, elles sont aussi utilisées pour servir de fond sur lequel s’appuie un petit autel au-devant, ou un pot d’encens.

 

 

Images : Emplacement de HNB en relation avec l’organisation spatiale de l’ensemble bâti. © Martin Jaillais Neliaz, d’après certains plans de Louis Bezacier

Les jardins en bassin et la notion de paysage

Composé des trois idéogrammes sino-annamite Hòn non bộ, pour : ile, : montagne, 部 : ensemble, cet art se nomme également « Núi non bộ » : Montagne en miniature, ou « Giả sơn » : Montagne artificielle. Les orientalistes du 20e siècle qui ont écrits à leurs sujets, les nomment « Jardin en bassins », « Paysages en bassin », « Pierres en bassins », voire parfois « Tableaux en Bassin ». Cette dénomination varie selon les époques et les traductions des ouvrages qu’ils collectent1. N’ayant cette culture et par nécessite de simplification pour cet article, le terme utilisé restera celui du vietnamien actuel Hòn non bộ (HNB), qui couvre sans doute le large spectre de typologies et de styles, dans le cadre circonscrit du Viet Nam.

Si la pratique contemporaine du paysage utilise le mot « Cảnh quan », une étendue observable depuis une position, le rapprochant de sa définition occidentale ; son style artistique « Sơn Thủy », utilise-lui, des idéogrammes sino-annamites2: « 山水 », « Montagne, et eaux » qui définissent une typologie de représentations mêlant pics rocheux et cours d’eau, intégrant parfois des constructions « Sơn Đình », « 山亭 », et/ou des personnages : des guerriers solitaires, des lettrés, des ermites philosophes, mais aussi des activités rurales : bûcheronnage, pêche, labour.3
Ce style concerne autant la peinture, que la sculpture de bas-reliefs et la constitution des « Hòn non bộ ». Les mots Sơn (montagne) et Thủy (eau), même s’ils sont peu utilisés aujourd’hui dans le vietnamien quotidien, remplacés par des mots d’usages plus ordinaires, restent très présents dans la toponymie des lieux, en particulier Sơn, dans un pays où le relief est omniprésent, et où il dénomme autant une région montagneuse, qu’un ensemble de montagnes bien identifiées.
Enfin, le mot « Cảnh », qui sert aujourd’hui à composer la notion de paysage contemporaine, définit un objet ou une scène observable qui nous traverse d’émotions : la contemplation. Il n’est donc pas complètement absent des HNB, puisqu’il est utilisé comme adjectif qualificatif pour définir chacun des éléments d’une composition : « đá cảnh » les pierres élégantes, « cây cảnh » les arbres miniaturisés et tortueux, « cá cảnh » les carpes argentées qui ornementent les bassins…

Description et typologies des HNB

Les HNB, sont donc un art traditionnel et ancien, dont l’emplacement est savamment étudié dans l’organisation générale du bâti : le « Phong thủy », « 風水 » la géomancie, et fait donc appel à des savants : les géomanciens. Expertise oblige, les HNB sont initialement réservés à une élite, suffisamment instruite pour en apprécier les logiques et qualités, et suffisamment privilégiée pour avoir le loisir de les contempler et méditer. On retrouve donc principalement ces HNB dans les pagodes, certaines maisons communales de villages florissants, temples, palais et maisons de la bourgeoisie (aristocrates, lettrés, et mandarins). Leur disposition joue autant le rôle d’obstacle à une perspective (écran protecteur), qu’à définir un horizon lointain (paysage à contempler).

Par observation 3 typologies peuvent se rencontrer dans les cours et jardins :

– Les HNB en pots. Il s’agit de bassins sur pieds, souvent rectangulaires, ovaliques, ou aux formes plus complexes, toujours plus longs que larges. Principalement dans les cours, ils sont placés sur l’axe, perpendiculairement, faisant face au bâtiment. Bien qu’ils possèdent un devant et un arrière (Les figurines sont placées côté façade), leur pourtour est souvent dégagé, et l’on peut tourner autour et en apprécier toutes les faces. Les pots sont faits en pierre massive, parfois en céramique ou en fonte, peu profonds, les pieds et les faces du pot sont sculptés. Si l’on fait abstraction du poids et du volume (plusieurs mètres de large et de haut en pierre), il s’agit-là de mobiliers qui peuvent être « déplaçables ».

– Les HNB maçonnées sont, elles, placées au niveau du sol. Un muret dessine le contour du bassin, tandis que les pierres peuvent être légèrement surélevées pour des questions d’élégance. Le muret-parapet peut être construit en briques recouvertes de carreaux de céramique, ou assemblé de larges pierres. Il est souvent assez large, ce qui permet de l’utiliser comme une assise (dans les habitations particulièrement), ou comme autel pour y déposer des éléments de cultes : fleurs, bouquets d’encens, statues, offrandes. Cette typologie se retrouve parfois adossée au mur ou à un paravent, s’il est dans l’axe d’organisation du bâtiment. Il n’est alors observable que d’un côté. Et les pierres se démarquent d’un fond recouvert de carreaux ou de mosaïque de céramique.

– Les HNB placées en creux, dans la topographie du sol. Elles peuvent venir orner les « Giếng » sortes de puits à degrés, aux propriétés autant mystiques que pratiques, et qui accompagnent parfois, les édifices spirituels. Il s’agit dans ce cas, d’un bassin bien plus grand, encaissé dans le sol, parfois surmonté de parapets. L’eau peut avoir un marnage diffèrent selon les saisons et les pluies. La hauteur des pierres est plus conséquente et leur effet plus impressionnant. Des escaliers pour descendre ou des petites passerelles de pierre peuvent être ménagés pour accéder à l’ilot.

 

 

Images : Différentes typologies de HNB observées. ©Martin Jaillais Neliaz, 2024

Enfin ces compositions sont généralement dotées de petits éléments de céramique : figurines de personnages : des vieillards en pleine partie de go, des ermites, des pécheurs, des aigrettes ou des buffles ; des éléments de décor : barques, ponts, pagodons, stupas, portes à trois travées, statues bouddhiques… Ces éléments individuels n’ont pas d’échelles cohérentes entre eux, il ne s’agit pas en effet d’une « maquette » à la manière d’une perception occidentale, mais plutôt d’un ensemble de petites scènes, d’anecdotes indépendantes. Un monde à part dans lequel l’espace et le temps ne sont plus ceux des mortels4.. Une retraite dont certains éléments sont là pour illustrer le récit d’une procession empreint de taoïsme et du retour à l’état de nature : le débarcadère, l’entrée, l’ascension, la grotte…
Les différentes qualités de la roche en elle-même permettent ainsi de transcender les échelles : l’aspect d’une face d’un rocher qui produit la même apparence qu’une falaise, un éclat profond de la surface qui devient une niche votive ou une grotte, un saillant du rocher qui donne une autre échelle, l’éperon d’une montagne…

« Núi non bộ de la pagode du « GrandBouddha », Hanoi »
« Dans la cour de la pagode dite du Grand Bouddha à Hanoi (dédiée à Trấn-Vũ), on voit devant la pagode principale, deux rochers placés dans un bassin d’eau rectangulaire. Un pont relie les deux rochers, des arbres nains y poussent. Un nombre assez grand de figurines les peuple : un tigre, un Lao-tseu couché sur un bœuf gris, plusieurs personnages au crane élevé, à la barbe longue, tenant en main un bâton noueux (signes caractéristiques du vieillard de la longévité), une tour à cinq étages, de petites maisons, une grue et, dans une anfractuosité, une pagode munie d’un écriteau qui porte les caractères « Grotte de la retraite des immortels »… » © R. Stein, 1942

Un échantillon des paysages vietnamiens.

À la contemplation de ces rocailles humides, ces montagnes en bassins, il est difficile de ne pas y voir une évocation de paysages plus vastes, une réminiscence domestique des reliefs les plus emblématiques du Vietnam : les pics karstiques de la baie d’Ha Long ; les cirques rocheux de Ninh Bình, Bắc Sơn ou Cao Bằng ; les vallées étroites des passes de Chi Lăng ou de Mã Pí Lèn ; les éminences rocheuses et isolées comme dans les plaines de Thanh Hóa, ou les cinq montagnes de marbre de Đà Nẵng ; les « rochers » qui émergent de l’horizon urbain de Lạng Sơn ; les grottes immenses à même la falaise de Nàng Màn, Hương Sơn
Ces masses intrigantes ont été sublimées dans les photographies du début du XIX siècle : on y voit des volumes sombres se détacher d’une perspective atmosphérique.
Inquiétantes, elles s’extraient de l’horizontalité de la plaine ou de l’eau, une aberration géologique presque, silencieuse, menaçante, se reflétant dans les rizières et étangs à leurs pieds. Ces photographies montrent également ces pitons rocheux, colonisés par une végétation luxuriante, épiphyte, logée dans les infructuosités et les cavités de la roche. Ce sont de grands pans de pierre nue, tantôt lavés du ruissèlement de la pluie, tantôt moisis de l’humidité ambiante. Des arbres en porte à faux, nanifiés par les intempéries, cherchent à s’extraire de la paroi noire, étirant leurs branches aussi loin que leur équilibre le permet.

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Images : carte postale ancienne et photos aériennes de massifs montagneux emblématiques. Source : Escadron de Reconnaissance d’Outre-Mer 80 (EROM80), années 1950

 

Comme les HNB des pagodes, ces paysages grandeur nature sont aussi les lieux de la superstition et des pratiques ancestrales. Mystérieux et mystiques, ils abritent des édifices spirituels ou religieux. Temples, stupas et pagodons sont accrochés à la falaise et dominent la plaine. Ils sont accessibles par de longs escaliers serpentant sur des flancs abrupts et menant à des autels aux pieds de stalagmites majestueux. Parfois nichés à l’intérieur de grottes cachées, humides, saturées de brumes et d’encens. Ils sont peuplés de silhouettes discrètes, presque fantomatiques, en toges traditionnelles de bonzes, d’auxiliaires, ou de pèlerins, disparaissant soudainement au détour de quelques rochers, d’un accès dissimulé, ou du serpentement d’un sentier. Suivant un calendrier lunaire, chaque pagode et temple accueille un festival qui leur est dédié. Une longue procession de pèlerins, fidèles et locaux, vient honorer une fierté, un héros, un génie ou une divinité locale. Ces festivités peuvent parfois s’étirer sur plusieurs semaines.

Le festival de la Pagode des parfums Lễ hội Chùa Hương, au sud de la région métropolitaine de Hà Nội, est réputé pour être le plus long et le plus visité du Vietnam. Son déroulé pour les pèlerins de passage n’est pas sans rappeler le parcours initiatique d’un contemplateur devant les éléments traditionnels qui composent une HNB. Le voyageur commence par remonter une rivière sur une barque, puis il glisse sous un pont qui sert aussi de porte d’entrée dans le massif, accédant finalement au pied de la montagne. Laissant sa barque à son mouillage, il commence alors l’ascension vers un premier temple, où il pourra se rafraichir et honorer les divinités bouddhiques. Une fois reposé, une seconde ascension plus longue, se fait sur un chemin sinueux sur les flancs escarpés et luxuriants de la montagne. Au détour de quelques bifurcations, il pourra en chemin, déposer de petites offrandes sur les temples et pagodons plus modestes qu’il croisera, avant d’arriver à l’immense voûte de la grotte Động Hương Tích. Celle-ci abrite un autel, des reliques et quelques tapis de prière au pied d’une imposante stalagmite. Les jours suivants le pèlerinage se répète pour chacune des grottes-pagodes : Chùa Hinh Bồng, Chùa hang Hương Đài, Chùa Long Vân
Ce type de procession avec ces étapes codifiées : barque, seuil, temple d’accueil, ascensions, grotte, est ainsi très courante à travers le Vietnam : Lễ hội Tràng An à Ninh Bình, Lễ hội mùa Thu Côn Sơn-Kiếp Bạc à Hải Dương, Lễ hội Quán Thế Âm Ngũ Hành Sơn à Đà Nẵng

Reproduction d’un plan annamite de la montagne de Thủy Sơn, et la pagode Chùa Tam Thai. Il s’agit de la plus imposante des 5 montagnes de marbre au sud de Đà Nẵng. La perspective cavalière, très courante dans les plans vietnamiens confère à cette représentation une similarité troublante avec les paysages reconstitues des HNB. Source : À. Sallet, BAVH 1924

Ces montagnes qu’évoquent les HNB sont aussi celles des contes et des récits populaires. Territoires magiques, inexpliqués, où l’on retrouve les génies, les ermites. On notera la légende de Sơn Tinh et Thủy Tinh, le génie de la montagne et le génie de l’eau qui combattent pour la main de la Princesse du 18e Roi de la dynastie des Hùng. De leurs affrontements naissent les reliefs et le climat colérique des moussons. Ou celle du comte de Mai An Tiêm et de la pastèque : l’histoire d’un fonctionnaire trahi, exilé sur une petite ile montagneuse perdue dont il fera son jardin. Le temple où il est vénéré est installé au pied d’un de ces pics karstiques du Thanh Hóa.

Des montagnes face à l’urbanisme contemporain

Beaucoup de ces montagnes ou groupes de rochers extraordinaires, initialement isolés en pleine campagne, se voient progressivement gagnés par la ville. L’urbanisation individuelle et organique d’habitations se prolonge jusqu’à leurs pieds, s’appuyant, parfois, jusque sur leurs parois. C’est le cas des « Rochers de Kỳ Lừa » à Lạng Sơn. Le « collet » de ces montagnes, qui trônaient, il y a quelques décennies, seules au milieu des rizières, est aujourd’hui rendu invisible par les constructions qui se sont étalées avec le développement de la ville. Les grottes et temples qu’elles accueillent restent encore accessibles au fond d’un dédale hasardeux de ruelles étroites.

Un autre exemple est celui du site de « Ngũ Hành Sơn », les Montagnes de Marbre situées au sud de Đà Nẵng, sur la plaine côtière. Devenu une destination touristique très attractive, le site des 5 montagnes est l’une des destinations phares de cette ville balnéaire. Le pied des montagnes est une nappe continue de baraques de tôles, toutes dévouées quasi exclusivement au tourisme et à ses retombées possibles : ateliers de sculpture sur marbres, buvettes et magasins de souvenirs ou d’offrandes à déposer sur les autels, stands de repos pour chauffeurs, aires de stationnement, dépose-minute… Des 5 monts qui composent cet ensemble, un seul est visité au pas de charge, un ascenseur extérieur de 30 m de haut y a récemment été construit.
Dans la baie de Hạ Long, site classé à l’UNESCO et haut lieu du tourisme, on planifie depuis le début des années 2000, de nouvelles zones urbaines le long du littoral. À cause de l’omniprésence de ces montagnes caractéristique, ces zones sont conçues en polder sur la mer, comme un « collier de perles » le long du trait de côte. On retrouve ainsi La zone urbaine de Ao Tiên (115 ha), Ocean Park Van Don (41 ha), KDT Thống Nhất Vân Đồn (36,79 ha), et plus récemment le projet de nouvelle zone urbaine 10B à Cẩm Phả (31,8 ha). Bâties par le biais de compartiments de remblais, elles se retrouvent à devoir intégrer ou raser, les ilots montagneux iconiques les plus proches du rivage. La présence et la conservation de ces monts devient un slogan commercial pour le projet : “Hòn non bộ to nhất Việt Nam” littéralement : « La plus grande rocaille du Vietnam6 ». Un argument qui ne tient plus vraiment à l’étude du plan, et de la faible prise en compte de la montagne dans l’aménagement général du projet : pas d’axes dont la montagne pourrait jouer le rôle de paravents, pas d’habitations ni d’édifices publics installés en relation. Cette grande rocaille est juste préservée, comme un boulet sur un plan masse.

 

 

Pourtant, à Ninh Bình comme dans le Thanh Hóa riverain, de nombreux sites rocheux sont classés à des échelles nationales comme Hàm Rồng, ou Hoa Lư ou même internationales comme le site de Tràng An classé également à l’UNSECO en 2014. Une multitude de sites plus petits sont également protégés au titre de reliques nationales : ce statut de protection comprend les nombreux temples et pagodes ainsi que la montagne calcaire sur lequel ils-elles s’appuient. Toutefois, en dehors de ces périmètres ce sont bien les cimenteries et les carrières qui ont raison de rochers et massifs entiers. Conséquence directe des besoins de l’urbanisation, des ilots rocheux sont arasés, certaines montagnes voient leurs falaises décapées, exposant une pierre nue, blanche, comme une cicatrice sur un membre. Une vingtaine de concessions, usines de ciments, carrières et sites de productions de matériaux de construction divers sont visibles de part et d’autre des 60 km de Nationale 1 qui séparent les deux chefs-lieux de Thanh Hóa et Ninh Bình. Cette activité se fait parfois sur des concessions jouxtant les périmètres de protection, parfois même sur le versant opposé d’une même montagne, dans une curieuse relation de voisinage.

Ces montagnes emblématiques sont malmenées, la sur-visibilités des plus connues, se manifeste par une érosion par le tourisme de masse. Tandis que d’autres sites, parfois tout aussi beaux, mais plus difficilement accessibles, et donc moins « instagramable » sont méconnus. Ceci traduit également un changement de fréquentation, les pèlerinages de fidèles, érudits des calendriers lunaires, des pratiques bouddhiques, et de l’histoire des sites, deviennent eux-mêmes une partie de ce paysage que le touriste vient consommer, limité dans le temps et les connaissances qu’il peut y consacrer.

Les HNB aujourd’hui

Dans ce contexte d’urbanisation croissante, les notions de retour de la nature en ville, la volonté de retrouver un horizon, de s’échapper d’un quotidien urbain… sont les questions récurrentes d’une population citadine en pleine croissance. La démocratisation et la popularisation des HNB en sont sans doute une résultante. Les pierres auparavant achetées à prix d’or sont aujourd’hui remplacées par des rochers reconstitués, des résines moulées. Le développement des techniques issues de l’aquariophilie permet de doter les compositions de cascades en flots continus, de brumisateurs recréant une atmosphère féerique. Les figurines et éléments de céramiques sont maintenant produits en séries et vendus en kits de 10, la miniaturisation et l’accessibilité des systèmes d’éclairage ouvrent à l’illumination décorative des pierres, et de ses éléments. Certaines rocailles évoluent même au travers d’emprunts à des influences internationales et occidentales. Ainsi parfois, les petits pagodons en céramiques sont remplacés par des maisons européennes, des petites églises, certaines figurines bouddhiques par des statues de vierge à l’enfant, tandis que des fontaines sont parfois faites en utilisant des miniatures de Manneken Pis. Des jardineries se sont spécialisées dans la composition et la vente de ces rocailles. Elles réutilisent plutôt adroitement des chutes de dalles de marbres, de granites, dans des assemblages extravagants, jointés de silicone qui laissent deviner de futurs cours d’eau et cascades. Leurs pots, parfois imposants pour de simples particuliers, rythment les étals de plantes et de poissons d’aquariums le long du trottoir. Les HNB s’ouvrent ainsi au commun des Vietnamiens, au travers du bricolage, du temps libre et du loisir. Ces œuvres personnelles, souvent très kitchs, mais faites par soi-même sont aujourd’hui à la portée de tous.

Enfin, qu’il s’agisse de compositions assemblées soigneusement par les connaissances fines d’un érudit, ou de bricolages guidés par le bon sens d’un autodidacte, à la fin reste le récit du cheminement à travers ce paysage. L’imaginaire et la projection de soi dans ce décor.

Vendeur de HNB, dans une rue spécialisée de jardineries, Ho Chi Minh Ville, Source : Martin Jaillais Neliaz, 2024

 

 

Note / Bibliographie :

1. Rolf STEIN, Jardins en miniature d’Extrême-Orient, BEFEO, Tome 42, 1942.

2. Idéogrammes anciens, également partagés avec la Chine, 山水, Shān shuǐ, Montagne Eau, et qui correspondent également à la notion artistique et picturale du paysage.

3. Léopold CADIERE, L’Art à Hué, BAVH, 1919 N1

4.Le thème des immortels est une notion qui revient régulièrement dans les explications de R. Stein, sur les jardins en miniature.

5. Aujourd’hui : Đền Quán Thánh

6.Lã Nghĩa Hiếu 2022

Pour référencer cet article :

Martin Jaillais Neliaz , Une montagne dans ma cour, Openfield numéro 23, Juin 2024