Améliorer la connaissance des chemins patrimoniaux.
La première approche est celle des paysagistes Hugo Receveur et Maxime Badou. Ils proposent dans un premier temps une analyse des différents types des chemins par grande entité. On trouve ainsi les drailles, ces parcours tracés par les troupeaux d’élevage en transhumance dans les pâtures des hauts plateaux, repris et épierrés peu à peu par les paysans ; la voie Romaine, voie antique dont on peine, faute du manque de documentation et d’étude à retrouver les tracés avec certitude ; les chemins de Pèlerinage, enfin : Saint-Jacques-de-Compostelle, Saint-Gilles, Saint-Guilhem-le-Désert. Ces dernières voies tout particulièrement ont façonné les paysages de l’Aubrac, par l’importance des flux qu’ils ont engendrés. Au-delà de ces grandes typologies, Hugo Receveur et Maxime Badou proposent ensuite une lecture plus fine de ces chemins, en rentrant dans le détail de leur matérialité, de leur rapport au relief, de leur conformation territoriale, de leur paysage.
« Classer les chemins selon leurs caractéristiques communes est un moyen de réunir, ce qui pourrait être une quasi-infinité de situations, en un nombre restreint (23 types). Cela nous permet de spatialiser des chemins qui se ressemblent afin de voir s’il existe des continuités qui nous auraient échappé sur le terrain. Elle participe à la connaissance des chemins et à leurs états tout en déterminant des enjeux pour chaque type. Enfin, elle apparaît comme une aide à la connaissance des paysages. »
Traverser les paysages
Sébastien Nageleisen est docteur en géographie, il s’attache dans cet ouvrage à analyser la traversée du plateau de l’Aubrac via le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il utilise pour cela une méthode qu’il a mise en place sur différentes portions du chemin de Saint-Jacques. Il s’agit, dans des conditions réelles de marche, de prendre quatre photographies toutes les 30 minutes, de manière systématique, la première dans le sens de la marche, puis à droite, derrière et à gauche. « Quand je suis en présence d’un paysage je ne suis pas, en réalité, devant lui. Il y a, derrière moi, autour de moi, la présence de tous les horizons. […] Même si je tourne le dos à la Sainte-Victoire, son signe est là dans ma vision même ».
Ces prises de vues sont ensuite analysées, de manière à relever l’organisation scénographique du paysage, la présence ou absence de certains motifs et éléments marquants. Ce travail systématique et objectif permet ainsi de comparer la traversée de l’Aubrac avec le reste du patrimoine itinérant du Saint-Jacques. Un travail spécifique est alors réalisé sur la question des rythmes du paysage. « L’objectif est d’entrevoir les principaux rythmes paysagers qui caractérisent la traversée à pied de l’Aubrac. L’observation est réalisée à partir de graphiques en barres où chaque caractère paysager analysé est associé à une taille et à une couleur. Afin de permettre la comparaison, six autres secteurs ont été sélectionnés et ont fait l’objet des mêmes traitements. »
« En Aubrac, il est, par exemple, particulièrement frappant de voir comment les scènes à un, deux ou trois plans peuvent s’agencer harmonieusement le long du chemin. Un moment, le pèlerin n’aura qu’une vue limitée, l’horizon étant à 300 ou 400 mètres, puis jaillira une étendue de terres visibles sur plusieurs kilomètres. Aussi un renouvellement paysager irrégulier est observable à la fois au cours de la journée et de la semaine : un jour la variété était surtout le matin et en fin d’après-midi, le lendemain la traversée d’une petite zone au relief plus marqué a introduit essentiellement de la diversité en milieu de journée. Ces variations paysagères et cette découverte constante de paysages renouvelés se combinent avec une activité principale, la marche, qui induit nécessairement une certaine régularité, des rythmes et des routines, une “lenteur homogène” 14. Il y a, dans cette apparente opposition, un équilibre entre variété, renouvellement et répétition. On retrouve ici l’idée d’une expérience spatiale différente, mais cadrée. »
Un point à l’horizon
Dernière approche enfin, celle de Guillaume Reynard, illustrateur, qui parcourant le GR65 entre Aumont Aubrac et Saint Côme d’Olt se pose en observateur des paysages et des usages, et en lecteur du travail de Sébastien Nageleisen, adapte son outil et son trait aux différentes séquences. On passe ainsi du critérium au graphite et de l’encre à l’acrylique.
« Pour chaque dessin je me suis posté en un point précis du chemin. Le dessin terminé, je me suis déplacé en avant, pour prendre position plus loin, vers l’horizon, et m’attaquer au dessin suivant. Les dessins se sont accumulés jusqu’à former une série qui matérialise le parcours pas-à-pas, étape par étape, d’un randonneur ou celui d’un pèlerin et rend compte de leurs efforts à progresser en dépassant chaque fois un point à l’horizon. Au premier plan j’ai représenté des murets de pierres sèches, des piquets d’acacias, des jalons en granite et des fleurs de gentiane. Au second plan des bouquets de hêtres et des burons isolés, et au loin, des pointements rocheux ou des collines “accentuées” de bandes boisées. Dans les plis des collines, les points de fuite échappent à notre regard. Au sol j’ai répertorié des graminées, des anémones et des ligulaires. (…)
Je veux croire que ce travail de dessin sur le vif, représente par son traitement graphique affirmé ce qui fait la singularité du tracé du “Saint-Jacques” en Aubrac. Sur le plateau, entre chemins en balcon et traversées de hêtraies, entre les tronçons qui évitent les reliefs et ceux qui les épousent, dans ces espaces inspirants et hors du commun, pour ce carnet de dessins et ce récit de l’itinérance, j’ai dessiné en respirant pleinement l’air de l’Aubrac.”
Retrouvez l’intégralité de ce travail sur le site du PNR de l’Aubrac