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Évaluation des effets d’îlots de chaleur urbains à Vichy

Face aux effets du changement climatique n’épargnant pas les villes moyennes, Vichy, ville-parc, tente de mieux comprendre le fonctionnement des îlots de chaleur. Cela afin d’adapter les solutions techniques à adopter et rendre son territoire plus résilient et désirable.

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Avenue Poncet, Vichy © Nicolas Jacquet

Urbanisme thermal – urbanisme durable

Si l’on analyse le développement historique des villes thermales qui présentent avec Vichy une candidature commune au patrimoine mondial de l’UNESCO, on remarque qu’un urbanisme thermal a connu son apogée entre le 18e et le 20e siècle. Centré autour des sources d’eaux minérales, l’urbanisme de la cité bourbonnaise a toujours cherché par une approche holistique à cultiver le bien-être et la bonne santé de ses résidents et curistes au-delà de leurs traitements. Cela passe par une proximité entre espaces de santé, de résidence et de loisirs de manière à ce que les patients soient actifs et se récréent.
Le développement de la ville, que ce soit à travers la création des voies thermales ou l’aménagement des nouveaux quartiers (quartier de France dans le premier quart du XXe siècle) s’est ainsi plus ou moins implicitement concentré. Vichy est connu aujourd’hui pour être un territoire où l’on peut se déplacer exclusivement à pied ou à vélo grâce à un tissu urbain dense et une superficie limitée (585 ha). Cette matrice n’a toutefois pas limité la plantation de rues aux gabarits de voiries contraignants. Environ la moitié du système viaire vichyssois est aujourd’hui plantée et la plupart des alignements sont protégés au titre du Secteur Patrimonial Remarquable. Cette trame arborée est associée aux parcs d’Allier (23 ha aménagés entre 1862 et les années 1910 en plein cœur de l’agglomération au contact direct de la rivière Allier) ainsi que quelques autres espaces de nature, squares et places.

Changement d’argumentaire et outils d’aide à la décision

2019. La Préfecture de l’Allier prend, pour la première fois, un arrêté pour une restriction totale de l’arrosage dans les espaces verts, incluant de fait les jeunes arbres ou les surfaces engazonnées irriguées. Au-delà des implications agronomiques et organisationnelles d’une telle mesure, se pose la question du contexte à large échelle la justifiant. Le changement climatique en cours induit des périodes de déficit hydrique inhabituelles, mais chroniques (et non plus concentrées autour de la période estivale) ainsi que des périodes de fortes chaleurs. Pour les plantes, cela se traduit par des stress hydriques et thermiques conduisant à des dépérissements précoces et de fait à des fonctions écosystémiques compromises. Moins d’arbres, moins d’ombrage, moins d’évapotranspiration.

Bref, le climat change1 2 et la collectivité se doit d’essayer de s’adapter à cette évolution. Pour cela, il est nécessaire de revoir l’argumentaire en faveur du patrimoine arboré. L’ensemble de ces critères sont toujours valables, mais devraient être priorisés avec en étendard les fonctions écosystémiques (Sarukhan et al. 2005) de la trame arborée et les questions de santé publique3; les problématiques patrimoniales et paysagères étant bien entendu fondamentales dans une cité thermale.

Par ailleurs, afin de concevoir les nouveaux aménagements en tenant compte des enjeux cités précédemment, les décisionnaires et leurs conseils pourraient être aidés de données chiffrées et d’outils de modélisation. Ces éléments iraient également dans le sens d’une nouvelle pondération des critères conduisant aux choix de conception en milieu urbain.

C’est dans cette optique que la Ville de Vichy a ainsi engagé une étude avec la société VERDI afin de mesurer les températures rencontrées dans le cœur urbain.

Méthode et premiers résultats

L’élément le plus facilement mesurable et qui aurait un impact direct sur la qualité de vie des vichyssois est la température bien que son lien avec le confort thermique soit plus complexe qu’il n’y paraît. Cette dernière notion est quelque peu délicate à mesurer car dépendante du statut physiologique de chacun (ainsi que de l’habillement et d’un paramètre culturel) et fonction de facteurs physiques coûteux à évaluer (convection, radiation, etc.). L’indice Humidex a finalement été choisi pour son très bon rapport qualité / coût d’acquisition. Bien qu’il soit moins complet que l’indice UTCI, il démontre sa capacité à rendre compte des pics et des dynamiques des îlots au même titre que l’UTCI (Blazejczyk, K. et al. 2012). Il permet de coupler les données de température et d’humidité relative fournies par un réseau de capteurs pour transcrire quantitativement les effets d’inconfort lors de fortes chaleurs4.

Afin de rendre compte des différentes typologies du cœur urbain de Vichy, la question de la localisation de ces capteurs a constitué la seconde étape du projet. Nous nous sommes basés sur la méthode des Zones de Climat Locales ou LCZ (Stewart et Oke, 2012) tenant compte de deux principaux facteurs : la morphologie urbaine et l’occupation du sol. Le cœur urbain vichyssois étant relativement homogène, les LCZ sur lesquelles de potentiels îlots de chaleur pourraient se développer ont été identifiées : habitat compact de hauteur moyenne à sol minéral (LCZ2), habitat compact de petite taille à sol minéral (LCZ3) et type zone industrielle à sol minéral (LCZ8). Les îlots de chaleur d’intérêt sont ensuite définis au sein des LCZ en fonction de critères d’usage de l’espace public et des enjeux sanitaires, économiques, énergétiques ou de nouveaux aménagements. Enfin, le positionnement des sondes de température est déterminé selon un certain nombre de facteurs à étudier : le patrimoine urbain (rues, places ou squares, parcs), orientation, encaissement (sky view factor), couleur de revêtement, type de végétation, distance à la trame verte/bleue, etc. Des couples de points de mesure sont ainsi définis, par exemple une rue orientée Nord-Sud arborée et une rue avec la même orientation sans arbres pour mettre en évidence l’impact de tel ou tel paramètre. Vingt-deux sondes ont ainsi été installées dans le cœur urbain de Vichy (ainsi qu’un contrôle à Bellerive-sur-Allier au niveau de l’hippodrome) pour quantifier l’impact de ces différents paramètres.

Les sondes sont positionnées à « hauteur d’homme » (voir fig.1) pour rendre compte de la température ressentie par les usagers (au contraire des approches basées sur la température de surface). Elles sont cependant positionnées suffisamment en hauteur pour limiter le risque de vandalisme soit 2,50 m. Elles sont orientées au Nord afin d’éviter un flux radiatif trop important aux heures chaudes et isolées de leur support par une épaisse couche d’isolant. Leur conception, avec un embout protecteur blanc et aéré, reprend le même principe que les abris (station météo) de type Davis bien qu’elle ne permette pas de s’affranchir totalement de flux radiatifs ou convectifs. Elles sont autonomes en énergie et transmettent les données (mesures toutes les 30 minutes) via le réseau public LoRa toutes les six heures.

La transmission en temps réel des données, par le portail SMATI de la société Hxperience, offre la possibilité de suivre la dynamique des épisodes météorologiques tels que des canicules et de quantifier les services écosystémiques. Ces données peuvent être directement intégrées à des études lors de projets d’aménagement ou en réponse aux administrés. La configuration de la plateforme et le traitement des données permettent de calculer certains indicateurs (température moyenne diurne et nocturne, évolution des températures moyennes diurnes au fil des mois par exemple).

Figure 1 / Capteur dans un parc urba

Les très volumineuses données collectées ont permis d’analyser le comportement et l’impact d’un grand nombre de paramètres liés à la morphologie urbaine, à la densité de végétalisation, etc. Nous présentons dans ce qui suit quelques éléments sur les configurations qui nous ont paru les plus caractéristiques : sols engazonnés, place partiellement arborée, impact des arbres d’alignement en fonction de l’orientation des rues, parc urbain.

Premiers résultats 5 et interprétations

Un sol engazonné présentant un statut physiologique correct provoque un écart de température de 2,2 °C (voir fig.2) au mois de mai (belles journées printanières) par rapport à un sol minéral. Ce service tend à disparaître avec la dégradation de l’état de ce couvert végétal (surface non irriguée donc évapotranspiration quasi nulle). La conclusion à tirer ici n’est pas d’arroser les gazons en été pour qu’ils constituent des îlots de fraicheur mais de créer des communautés végétales adaptées aux conditions climatiques à venir.

Sur une place urbaine, majoritairement minérale mais légèrement bicéphale (une partie arborée et une partie moins plantée), l’écart de température moyenne diurne a atteint plus de 3 °C en été en faveur de l’espace arboré (voir fig.3). L’effet d’évapotranspiration se trouve être le plus important aux heures les plus chaudes conduisant à un rafraîchissement tant en termes de température que d’indice Humidex. L’inconfort thermique ressenti est ainsi plus important en zone non arborée.

Figure 2 / Effet d’un sol engazonné
Figure 3 / Effet d’un couvert arboré sur une place minérale
Figure 4 / Effet du couvert arboré dans les rues orientés N/S

La place minérale arborée reste toutefois moins efficace en tant qu’îlot de fraicheur qu’un parc stricto sensu (effet d’échelle, densité arborée et sol végétalisé), avec un écart en sa défaveur d’environ 2 °C.

 L’orientation des rues s’est avérée jouer un rôle prépondérant sur l’impact de la présence arborée. La rue de Strasbourg ainsi que l’avenue Thermale orientées selon un axe Nord/Sud (avec des sky view factor ou SVF6de 0,53 et 0,3 respectivement) et plantées ont été comparées à la rue Jean Jaurès, dépourvue d’arbres. Les mesures ont révélé des écarts de température moyenne diurne atteignant 8 °C en mai et environ 7 °C en juillet et août (voir fig.4). Pour des rues orientées Est/Ouest (avenue Poncet et boulevard Carnot plantés), l’influence des arbres sur le rafraîchissement est moindre avec des variations de 2 à 3 °C en moins par rapport à un axe sans arbres (rue du Maréchal Joffre) sur les mois d’été.

Il doit être noté que si les arbres permettent de limiter les pics de chaleur en journée, ils participent également au maintien d’une certaine humidité par leur évapotranspiration et l’obstacle qu’ils constituent pour la circulation de l’air. Ceci expliquerait par exemple un « assèchement » plus rapide pour les rues non-arborées le matin.

L’impact de l’encaissement est moins prégnant pour les rues orientées Nord/Sud que Est/Ouest. Ainsi, l’avenue Thermale (SVF 0,3) présente une dynamique thermique similaire à celle de la rue de Strasbourg (SVF 0,53). Par contre, pour des rues orientées Est/Ouest telles que l’avenue Poncet (SVF = 0,62) et le boulevard Carnot (SVF = 0,48), cette amplitude est plus marquée avec des écarts de 6 °C en moins pour le deuxième espace. L’encaissement peut également être facteur d’un rafraîchissement nocturne plus ou moins important. En l’occurrence, si l’on compare le square de la République (où la sonde a été placée dans un environnement découvert) avec l’avenue Poncet adjacente (sonde située au sein de l’alignement d’arbres), on peut observer une baisse bien plus forte et plus rapide. Ceci s’explique par la perte énergétique radiative de la surface du globe vers un ciel correspondant à un corps noir. Les arbres faisant de fait écran quant à cette déperdition7. Cela doit toutefois être mis en perspective des dynamiques thermiques de chaque site et des usages qui leurs sont associés. Il s’agit donc de réfléchir un îlot de fraîcheur à différents moments de la journée.

Ces observations font écho aux urbanismes méridionaux (notamment dans les vieilles villes) démontrant une forme d’adaptation (consciente ?) à des climats particulièrement contraignants avec des encaissements très importants (rues étroites et façades hautes) ainsi qu’une morphologie de l’espace urbain extrêmement diversifiée à travers un développement de la ville relativement organique.

Plusieurs types de revêtements ont par ailleurs pu être comparés sur des sites relativement ouverts : dalle calcaire claire, asphalte rouge, enrobé, etc. Nous avons été relativement surpris de voir que le revêtement clair n’était (dans ce cas-ci en tout cas) pas synonyme d’un îlot de chaleur plus limité (uniquement 1 °C inférieur en moyenne diurne de mai à septembre) que sur une place d’asphalte rouge. Le type de revêtement a simplement joué sur la dynamique thermique journalière : la température a eu tendance à augmenter plus rapidement sur le revêtement sombre et à présenter un pic en fin de journée. Le rafraîchissement nocturne a été relativement similaire.

Enfin, le Parc Napoléon III d’une superficie d’environ 8 ha (inclus dans un ensemble plus large de 23ha de parcs de style pittoresque situés au cœur de l’agglomération) s’avère être un réel îlot de fraicheur. En effet, bien que les pics de température s’approchent de ceux d’un environnement plus imperméabilisé et moins végétalisé, le parc tend à se réchauffer plus lentement et à se rafraîchir aussi vite qu’une place urbaine où le niveau d’inconfort (Humidex > 30) sera donc plus difficile à supporter (au moins 2 h). Le rafraîchissement nocturne atteint sera par ailleurs plus important au sein du parc.

Amélioration de l’étude et pistes d’adaptations

L’ensemble de ces mesures ont été insérées dans un modèle (sur la base du travail de Heusinkveld et al. 2014) qui sera mis à disposition de la ville de Vichy permettant d’une part d’estimer l’impact d’une potentielle trame arborée dans un environnement urbain, et d’autre part de tenter de cartographier des îlots de chaleur urbain de manière prédictive en lien avec les prévisions météorologiques (voir fig.5). Le premier outil constituera une véritable aide à la décision pour les techniciens et édiles lors d’aménagements urbains (rénovation de voirie avec intégration d’une forme de végétation, OAP, ZAC, etc.). Le deuxième développement permettra de mettre en évidence lors d’épisodes de canicules une cartographique des îlots de chaleur dans le cœur de Vichy et ainsi de révéler des itinéraires et lieux de confort.

Figure 5 / Simulation thermique, place Charles de Gaulle

Les observations quant à la morphologie du tissu urbain doivent être pondérées à plusieurs titres ; la densité en ville est en effet fonction d’autres éléments : patrimoniaux a fortiori à Vichy, économiques pour atteindre une rentabilité foncière ou financer des parties d’espace public, d’usages et de qualité de l’habitat. Le caractère systématique de la densité pouvant s’avérer contre-productif (Neuman, 2005), si l’on garde à l’esprit l’objectif originel de la ville thermale, le bien-être.

Les fonctions écosystémiques dépendant de la vigueur du couvert végétal en place, il est fondamental de prendre la mesure de l’importance d’offrir un support de croissance convenable pour une palette végétale amenée à évoluer à marche forcée (en qualité et quantité). Cela passera tout autant par un choix en faveur du végétal vis-à-vis d’autres occupations de l’espace public (stationnement entre autres) que par le développement de techniques de génie pédologique dans la perspective d’un épuisement des gisements de terre végétale8.

La fonction écosystémique explorée au travers de cette étude ne peut répondre seule à l’enjeu de résilience des villes. Doivent être pris en compte l’interception des précipitations (et de façon préférentielle par la pluristratification des typologies végétales ainsi que par l’infiltration des sols), le développement de la biodiversité jusqu’au cœur urbain, l’amélioration de la qualité de l’air, etc.

Enfin, nous avons vu qu’il ne s’agit pas simplement de végétaliser la ville pour lui permettre de se rafraîchir, mais bien de proposer une diversité de lieux de vie urbains répondant aux divers enjeux climatiques soulevés dans cette étude (rafraîchissement nocturne, ombrage diurne).

 

Note / Bibliographie :

1.Le climat océanique dégradé vichyssois peut aujourd’hui se résumer aux données suivantes : altitude de 251 m, pluviométrie de 778mm, température moyenne annuelle de 11,3°C, record de température maximal de 41,3°C datant de 2019.

2.Léa Sanchez et Raphaëlle Aubert. Sols arides, manque de pluie, ruisseaux à sec : année après année, une sécheresse récurrente. Le Monde, 1er août 2020

3.L’évolution du ressenti par rapport à la température n’est pas linéaire. Un degré supplémentaire au-delà de 40°C peut être perçu très négativement et causer de graves problèmes sanitaires en particulier pour certaines tranches d’âges.

4.Pour une critique plus exhaustive des indices bioclimatiques, se référer à Blazejczyk et al., 2012.

5.Il ne s’agit pas ici d’une étude scientifique exhaustive, l’objectif de cette étude est de quantifier dans le contexte vichyssois certains processus bioclimatiques inhérents au milieu urbain.

6.Ce facteur d’ouverture est défini comme la proportion de ciel visible à partir d’un point de la surface terrestre. Plus ce point est encaissé (y compris par rapport au tissu urbain) plus le SVF sera élevé.

7.En l’occurrence, planter totalement un îlot urbain peut s’avérer contreproductif, la canopée limitant, lors d’épisodes caniculaires, le rafraîchissement nocturne du milieu.

8.issue de décapage et donc de l’étalement urbain

 

Sarukhán, J., Whyte, A., Hassan, R., Scholes, R., Ash, N., Carpenter, S. T., … & Leemans, R. (2005). Millenium ecosystem assessment: Ecosystems and human well-being.

Bolund, P., & Hunhammar, S. (1999). Ecosystem services in urban areas. Ecological economics, 29(2), 293-301.

Blazejczyk, K., Epstein, Y., Jendritzky, G., Staiger, H., & Tinz, B. (2012). Comparison of UTCI to selected thermal indices. International journal of biometeorology, 56(3), 515-535.

Stewart, I. D., & Oke, T. R. (2012). Local climate zones for urban temperature studies. Bulletin of the American Meteorological Society, 93(12), 1879-1900.

Heusinkveld, B. G., Steeneveld, G. V., Van Hove, L. W. A., Jacobs, C. M. J., & Holtslag, A. A. M. (2014). Spatial variability of the Rotterdam urban heat island as influenced by urban land use. Journal of Geophysical Research: Atmospheres, 119(2), 677-692.

Neuman, M. (2005). The compact city fallacy. Journal of planning education and research, 25(1), 11-26.

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Pour référencer cet article :

Eric Larrey & Guillaume Portero , Évaluation des effets d’îlots de chaleur urbains à Vichy, Openfield numéro 16, Janvier 2021