Ett år i Finnmark, norske Lappland
Sykkeltur på Sandfallet og Altabakken, september 2016
Brønnveien, Alta, le 11.09.2016, 14h07
Le ciel est gris depuis plusieurs jours. Le soleil ne perce pas. Il n’y a pas de vent pour chasser la couverture nuageuse. J’ai le cœur serré. C’est dimanche après-midi et le weekend se termine déjà. Mais ce dimanche, il y a une sensation supplémentaire. La mélancolie de la fin de l’été. La nature s’est assombrie. Les teintes de vert sombre et de brun deviennent plus dominantes. Les arbres caducs prennent des couleurs jaune, orange et rouge, animant le paysage de touches colorées et brillantes. Bientôt, il suffira d’une bourrasque et leurs branches seront nues. Tout comme l’éclosion du printemps s’est faite en quelques jours, l’automne passera avec la même vitesse.
Mon corps sent que la frénésie du long été sans nuit s’achève. Je me sens molle et triste. Pas d’envie particulière. Le pressentiment de devoir économiser mes forces pour le long hiver à venir. Il faut pourtant sortir pour profiter des derniers instants de luminosité. Je suis restée enfermée toute la journée. Assise sur mon lit, je regarde par la fenêtre. Le lièvre sauvage avec qui nous partageons le jardin a encore son poil brun d’été. Il deviendra entièrement blanc lors de l’arrivée des premières neiges. Il est assis en bordure de la haie et observe, immobile, en direction de la maison. Le thermomètre extérieur indique une douzaine de degrés. Je décide finalement à faire un tour à vélo. Autant en profiter tant qu’il ne neige pas encore.
Brønnveien, Alta, le 11.09.2016, 14h21
J’enfourche ma bicyclette et remonte l’allée asphaltée entre les maisons en bois. Je tourne à droite, à l’angle d’un jardin où un grand carré de plants de pommes de terre aux feuillages jaunâtres est encore sur pied. Une bande dense boisée de pins me sépare de l’E6, la route principale d’Alta. Au bout de l’allée, un homme marche d’une façon irrégulière. Il porte une tenue de randonnée avec une ceinture élastique autour de la taille à laquelle une longe est attachée. L’extrémité de celle-ci est entre les mains d’une Norvégienne dont la queue de cheval est surmontée d’un bandana rose. J’ai déjà aperçu ce genre de « laisse » utilisé par des parents pour des enfants en bas âge. À mesure que je me rapproche, je remarque que l’homme est handicapé. Les bras recroquevillés devant sa poitrine, il avance à six ou sept mètres devant elle. En me voyant, il s’avance en trottinant d’un pas désarticulé. La jeune femme lui parle calmement. L’homme baragouine des choses que je ne comprends pas. Je roule doucement dans l’éventualité où il se mettrait au milieu de mon chemin. Ce n’est pas le cas. Il s’arrête et me regarde passer. Je leur souris et continue ma route.
Une autre fois, sur le même chemin, j’avais aperçu une dame poussant un lit à roulette entre les pins. Sous un amas de couvertures de laine, j’avais entrevu le visage joufflu d’une jeune femme endormie. Ces rencontres singulières sont arrivées fréquemment depuis que je vis à Alta. Je sais, pour en avoir dessiné les espaces extérieurs, qu’il existe plusieurs centres d’accueil pour les personnes handicapées mentales et physiques. Mais j’avais été agréablement étonné de constater qu’ils allaient régulièrement se balader. Il est vrai que les Norvégiens accordent beaucoup d’importance aux bienfaits de la promenade. Pour eux, il est impensable de ne pas sortir pour une balade ou une randonnée en montagne durant le weekend ou après le travail. Où es-tu allé en randonnée ce weekend ? est une question fréquemment posée lors de courtes conversations à l’agence ou lors de mes cours de norvégien.
Åsveien, Alta, le 11.09.2016, 14h54
Je traverse la route en empruntant un raccourci gravillonné le long du bosquet de pin. Mon vélo serpente entre les maisons situées un peu en retrait de la voie. Les façades de bois rouge, jaune, blancs et gris bleuté se succèdent. Des haies plus ou moins chétives séparent les propriétés de la route. Des voitures sont stationnées le long de bandes gravillonnées qui font office de trottoirs. Dans certains jardins, un drapeau norvégien de forme triangulaire flotte au sommet d’un mât métallique. Åsveien bifurque sur Nøkkelstien et Skoleveien. Je passe le long du lycée où des enfants jouent au ballon dans la cour et rejoins Sandfallveien.
Sandfallet, Alta, le 11.09.2016, 15h04
À ma droite, des maisons blanches sont alignées devant la route. De l’autre côté, un coteau boisé de pin tombe à pic sur Storbakken où des habitations font face à la zone industrielle de Bukta, le long du fjord. La route en faux plat suit la ligne de crête du coteau. Les roues du vélo rebondissent dans les creux. Cette partie de la voie est très abimée. Il y a longtemps qu’elle n’a pas été refaite. Les hivers rudes détruisent rapidement les routes et obligent les services publics à les rénover régulièrement. Un collège m’a affirmé qu’à son arrivée à Alta, une vingtaine d’années plus tôt, l’ensemble des routes n’étaient faites que de gravillons ou de terre battue.
La chaussée continue entre les pins, laissant les maisons derrière moi. Elle s’élargit ensuite, formant une boucle afin que les voitures puissent faire demi-tour. Le chemin qui continue sur le coteau est à présent en terre battue. Ma bicyclette n’est pas adaptée pour ce genre de terrain et me voilà secouée par les racines des pins qui traversent le sentier dans sa largeur. Il y a peu de terre par endroit et les arbres peinent à trouver un ancrage solide. Des pistes étroites partent du chemin principal. Sur ces sentiers, il n’y a pas la place pour deux personnes côte à côte. Parmi les troncs, une joggeuse court sur l’un d’eux avec son chien. De part et d’autre, le sol est couvert d’arbustes rampants dont des pieds de myrtilles. Surpris par mon passage, un écureuil roux grimpe à toute allure le long d’un arbre puis s’immobilise à bonne distance pour m’observer passer. À ma gauche, l’écran des pins laisse parfois la place à la vue sur le fjord et aux grandes surfaces planes des pistes de l’aéroport. L’avion est aujourd’hui le moyen le plus rapide et pratique pour aller et venir à Alta. Bloquée entre les montagnes et le fjord, la ville est difficile d’accès en voiture. En hiver, les routes à travers les montagnes sont souvent fermées car trop dangereuses et obstruées par la neige. Il reste l’accès par bateau qui n’est plus guerre utilisé que pour le commerce industriel ou le tourisme. D’immenses bateaux de croisière s’arrêtent en été dans leur ascension vers le Cap Nord. De tailles plus modestes, les fameux navires norvégiens Hurtigruten parcourent la côte du pays en une dizaine de jours. Ils sont aujourd’hui réservés pour des croisières. Autrefois, ces navires étaient le moyen de transport le plus rapide pour des voyages de grandes distances. Ils servaient aussi pour le transport du courrier, de vivres et de matériel.
Altabakken, Alta, le 11.09.2016, 15h13
Le chemin du coteau se termine sur le bâtiment en bois carré d’un transformateur électrique. Je tourne vers la droite où un autre sentier se poursuit. Les structures des deux rampes de ski dépassent de la cime des arbres de façon monumentale. Après quelques mètres, je débouche sur une clairière au pied des deux constructions. L’une en bois fut construite pour l’épreuve norvégienne de saut à ski de 1954 qui mettait en concurrence différents athlètes des pays nordiques. La seconde, en métal, date des années 2000. Elles ne sont plus en activité de nos jours. Des plantes sauvages ont poussé autour des constructions. Celle en bois est devenue rudimentaire et fragile. Je descends de mon vélo pour m’approcher du ravin. La longue langue de la rampe glisse le long de la pente en direction de bosquets. J’ai du mal à imaginer le sol couvert de neige et les skieurs de l’époque s’entraîner ici.
Le lieu-dit d’Aronnes s’étale dans la vallée, le long de la rivière d’Alta. Elle est invisible depuis là où je me situe. Plusieurs minutes passent. Je prends le temps d’observer les changements de couleur du paysage devant moi. Les nuances jaune orangé gagnent les feuillages. La masse des pins se ternit. Encore quelques jours et l’automne sera bel et bien là.