Ett år i Finnmark, norske Lappland
Julebord i Alta, desember 2017
Alta, 09.12.2017, 09h14
Les valises et sacs à dos s’entassent à l’entrée des bureaux de l’agence où je travaille. Cet après-midi, nous partons pour célébrer Julebord 1. Apparu dans les années 60, cet évènement est organisé par l’employeur et a lieu en décembre, dans les semaines qui précèdent Noël. Il s’agit généralement d’année d’une sortie au restaurant pour aller déguster un repas de Noël traditionnel. Cette célébration marque la fin de l’année écoulée et est l’occasion de passer un moment entre collègues. Julebord peut être comparé aux fêtes parfois organisées par les comités d’entreprise en France. Cette tradition est souvent couplée d’une activité et suivi du repas de Noël.
À l’agence Verte, c’est l’occasion d’un « weekend surprise » organisé par deux employés choisis au hasard. Le programme du weekend reste secret jusqu’au dernier moment. Seule une liste spécifie les éléments indispensables à prévoir. Cette année, il faut être vêtu chaudement pour partir, emporter une tenue habillée ainsi qu’une lampe frontale.
11h32
Nous stoppons nos activités pour déjeuner. Tout le monde est impatient de savoir où nous allons partir et quelles sont les activités que nous allons faire. C’est le principal sujet de discussion tandis que nous avalons nos knackebrod2 où s’empilent concombres, fines tranches de fromage et de jambon rose.
13h15
À l’extérieur, il fait déjà sombre bien que nous soyons en milieu de journée. L’hiver, le soleil n’atteint pas cette partie du globe. Les variations des nuances de bleu gris ponctuent les journées. Le blanc impeccable de la neige apporte un effet de lumière non négligeable pendant cette période froide et sombre. Un bus nous attend devant l’enseigne de l’hôtel Thon. Les conjoints et enfants des autres employés nous rejoignent. Nous jetons les sacs et valises dans la soute et enjambons les marches pour monter dans le véhicule.
La nuit tombe. Nous quittons Alta. Le ciel prend des teintes de gris opaques qui s’assombrissent de plus en plus et tendent vers le noir. Derrière le pare-brise, les lumières jaunes des phares éclairent la masse blanche sous lequel se trouve la route. Je décide arrêter de regarder, à chaque virage, j’ai l’impression que nous allons dans le décor. À travers les vitres, aucune autre lumière. La masse noire des montagnes et des forêts se détache à peine du ciel qui s’assombrit de plus en plus. Je perds complètement le sens de l’orientation. Impossible de savoir où nous allons.
14h41
Il fait nuit. Le bus s’arrête et nous descendons. La première chose que je vois est la large route enneigée bordée d’une forêt de sapins densément plantée. Au fond d’un large chemin, la façade éclairée d’un bâtiment en bois et en béton se dessine.
Regroupés devant le bâtiment, nous rencontrons les organisateurs, un couple de norvégien d’une cinquantaine d’années. Les présentations faites, ils nous expliquent que nous allons faire une course d’orientation, en raquette, dans la forêt qui nous entoure. Je regarde autour de moi. Il n’y a aucun éclairage en dehors de celui du bâtiment devant lequel nous nous trouvons. Je comprends maintenant l’utilité de la lampe frontale. Diana et Nikola nous répartissent en équipe. À la place des balises à poinçonner, nous rencontrerons des fiches plastifiées avec des questions portant sur la Norvège. Le couple nous distribue des raquettes. Un thermomètre collé à la façade indique -11°C.
Habitués à la nuit polaire, les Norvégiens ne renoncent pas à profiter des sorties en extérieurs malgré le froid et l’obscurité. Le weekend, nombreux sont ceux qui font du ski de fond à la lumière de leur lampe frontale, partent pique-niquer autour d’un feu ou faire de la motoneige.
15h01
Tout le monde court comme il peut, raquettes aux pieds. Fous rires. Craquement de la neige. Malgré mes raquettes, je m’enfonce de plus de cinquante centimètres dans la neige fraîche. Je laisse échapper un cri de surprise et me relève tant bien que mal.
15h24
Nous voilà au beau milieu d’une forêt, une carte à la main. Lampe frontale par-dessus les bonnets. Un groupe au loin imite le hurlement d’un loup. On pourrait presque y croire. Au milieu des arbres, il fait encore plus sombre que sur le sentier. J’éteins un instant ma lampe frontale et me laisse volontairement distancer par mon groupe. Je n’ai jamais expérimenté une nuit aussi impénétrable que celle-ci. J’ai beau forcer sur la vue, je ne distingue plus rien à quelques mètres devant moi.
16h07
De retour au centre, un gløgg3 nous est distribué dans des petites tasses en plastiques pliables et réutilisables que nous pourrons converser. Les vapeurs de cannelle et de pomme embaument la pièce. Chacun y ajoute des noix et amandes concassées selon son goût. Je suis heureuse de retirer mes gants pour serrer le petit récipient entre mes doigts. Affamée par la course, j’en jette une bonne poignée dans mon gobelet. Les équipes arrivent au compte-goutte. Les cris d’excitations des enfants se mêlent à la conversation des adultes dans un joyeux brouhaha. Je me brûle l’œsophage en buvant le contenu sucré et épicé de ma tasse en plastique.
16h25
À présent, une course de vélo nous attend. Pendant que nous nous réchauffions à l’intérieur, des vélos à pneus neige ont été sortis. Les roues épaisses font 3 à 4 fois les largeurs des pneus de vélos habituels et leur permettent d’accrocher la neige. Les enfants sont ravis.
18h05
Nous remontons dans le bus. Après un trajet d’une demi-heure, nous nous arrêtons le long de la forêt, aux pieds d’une montagne cette fois. Plus haut, les lumières de quatre chalets brillent. Nous allons passer la nuit dans l’un d’eux. Les sacs sont jetés dans la neige. Rendez-vous au chalet pour la réception des clés et la distribution des chambres.
Le bus s’éloigne et nous voilà à nouveau plongés dans l’obscurité. Chacun retrouve son sac à dos tombé dans la neige et rallume sa lampe frontale. Dernière ascension avant une douche bien chaude et un bon repas. Penchée en avant, je force sur mes jambes pour monter la cote. À l’approche du chalet, des réverbères s’allument. De part et d’autre de la voie enneigée, en surplomb, des chiens de traîneaux émergent de niches en bois. Éveillés par notre arrivée, certains nous regardent, l’air inquisiteur. D’autres, roulés en boule dans la neige, ouvrent un œil endormi.
19h20
Un escalier en bois descend dans la pièce principale où est servi le dîner. Une grande table est dressée près d’un buffet qui chauffe toutes sortes de plats. À l’opposé, des canapés recouverts de coussins et de peaux de mouton font face à aux hautes vitres d’une large baie. L’absence de lumière extérieure nous empêche de voir la vue. La chaleur de la pièce et l’odeur du bois sont d’autant plus appréciables que nous avons passé l’après-midi dehors. Tout le monde est presque descendu. Les enfants courent à travers la pièce. Près du buffet, les tenues habillées contrastent avec les vêtements de ski que nous portions quelques minutes plus tôt. Julebord est souvent pour les Norvégiens, le moment de sortir leurs plus belles tenues. Le climat rude du pays implique de s’habiller chaudement et de façon pratique tout au long de l’année, laissant peu de place à la fantaisie.
Des bougies éclairent la table accompagnées d’autres décorations de Noël. Le buffet est ouvert. Des pinnekjøttet, côtelettes de mouton fumées et salées, accompagnées de pomme de terre à l’eau et de purée de chou-rave font faces à de gros morceaux de travers de porc grillé. Un plat de saucisses fumées est posé près d’un plateau de tranche de bacons grillés. Des filets de cabillaud trempent dans une sauce au beurre près d’un bol de choux rouge cuit et vinaigré. Chacun se sert un peu de tout.
À table, j’apprends que le menu de Noël traditionnel norvégien est différent selon les régions et varie aussi selon les habitudes des familles. L’élevage de moutons permettant l’élaboration des pinnekjøttet est présent à l’ouest du pays et au nord de la ville de Trondheim. Les svineribbe composent principalement les menus de l’est de la Norvège où les terres plus plates permettent la production de céréales destinées à la nourriture des porcs. Le juletorsk, le cabillaud constitue le plat principal dans le long de la côte, particulièrement dans le sud et sud-ouest de la Norvège. Enfin, le lutefisk, poisson blanc (souvent du cabillaud) séché et salé que l’on a fait tremper plusieurs jours avant de le cuisiner, est apprécié dans tout le pays.
Aujourd’hui, le menu de la veille de Noël tend à s’homogénéiser de plus en plus à cause de la grande distribution et l’harmonisation des goûts. Nombreux sont les Norvégiens qui optent pour les pinnekjøttet ou les svineribbe.
Le repas terminé, de la glace à la vanille accompagnée de peperkaker, petits biscuits à la cannelle et aux épices sont disposés sur la table en guise de désert.
Les enfants mis au lit, de la musique retentit et quelques collègues commencent à danser. Le buffet est débarrassé tandis que certains se laissent tomber dans les canapés.
10.12.2017, 10h45
Surprise à l’heure du petit déjeuner de découvrir le paysage qui nous entoure. Une tempête de neige a fait rage dans la nuit et créé des congères le long des chalets. Une bonne cinquante de centimètre de neige fraîche s’est accumulée contre la porte d’entrée. Fini la fête, il faut maintenant remettre le pantalon de ski, les chaussures étanches et la doudoune pour reprendre le bus. Direction Alta.
Notes
1.Littéralement « La table de Noël » en norvégien.
2. Craquottes plates et sèches d’origine suédoise utilisées à la place du pain. Également, très rependues en Norvège, elles sont connues en France grâce à la marque Wasa.
3.Boisson chaude épicée très appréciée par les Norvégiens en hiver. À base de jus de cassis ou/et jus de pomme, on y ajoute des bâtons de cannelle, des étoiles d’anis, du gingembre, des amandes et des raisins secs. Il existe une version avec alcool à base de vin rouge et de jus d’orange (équivalent du vin chaud français).