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Un paysage bordé de fragilité

Noirmoutier, une insularité sous tension

Un jour, j’ai écrit une légende, celle de l’île disparue.
Elle raconte que ce morceau de terre autrefois surnommée l’île aux Mimosas fut un paradis terrestre où le temps clément lui permettait de se couvrir d’un duvet jaune. Ces touches d’une couleur intense ponctuaient le paysage et attiraient l’œil des visiteurs. La chaleur du soleil effleurait la peau des habitants qui y vivaient en toute simplicité. Ce paysage insulaire de basse altitude permettait au regard de contempler l’horizon, de plonger son esprit au plus profond de l’océan…

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… Le rêveur se perdait alors entre le ciel et la mer, suivant des yeux la ligne horizontale, lointaine, légèrement incurvée, pensant alors à l’immensité du paysage qui s’offrait à lui. La diversité et la beauté des paysages de l’île firent sa renommée. Le peuple des Noirmoutrins foulait ces terres verdoyantes et cultivait le sel selon des méthodes ancestrales héritées de génération en génération. On raconte que le territoire a petit à petit abandonné cette activité pour se tourner vers les populations venant de l’extérieur, accueillant volontiers ces nouveaux arrivants et modifiant son territoire en conséquence. De longues plages de sables fins bordaient l’île et s’étendaient à perte de vue. Malheureusement, la prospérité de l’île fut de courte durée. La mer grignotait chaque année un peu plus de terres, mangeait, engloutissait des kilomètres carrés de plages de sable. Pour pallier au mécontentement des touristes, l’île engagea de lourds travaux. L’île endigua son contour et fixa alors le trait de côte autrefois mobile. Pour regagner du terrain sur la mer, les habitants contrèrent la Nature et rechargèrent les plages en sables. Dans le contexte de crise, c’est une guerre du sable qui commença ; une situation bien loin du calme qui régnait sur ce territoire insulaire. Les habitants alors certains d’être protégés par les hauts murs de béton vivaient sereinement et hors de danger. On raconte que les hommes causèrent ainsi la perte de leur île. Ne sachant voir ce qu’ils avaient sur leur territoire et de s’en contenter, ils avaient préféré répondre aux exigences des regards extérieurs. Mère Nature alors prise d’un excès de colère souffla si fort que les vagues atteignirent des hauteurs jamais vues auparavant. La houle frappa si fort que les murs de béton ne purent résister. L’île se retrouva alors submergée et plus personne ne revit ce morceau de terre dépasser de l’horizon.

L’île de Noirmoutier, un paysage soumis aux risques littoraux

Située dans la région des Pays de la Loire, au nord de la Vendée, l’île de Noirmoutier est un territoire au caractère insulaire marqué, accessible par un pont routier et par une route submersible appelée « Passage du Gois ». Avec une superficie de 49 km², elle est un véritable microcosme et se distingue par ses paysages variés, son réseau de plages, ses terres cultivées et ses marais salants, héritages de son histoire et de ses activités économiques traditionnelles, telles que la pêche, la saliculture et la conchyliculture. Son emplacement lui vaut d’être directement soumise à l’influence des courants de la Loire puisque cette dernière se jette dans l’océan Atlantique à une vingtaine de kilomètres au nord de l’île, dans l’estuaire de Saint-Nazaire. De ce fait, l’île est particulièrement vulnérable aux risques littoraux, notamment en raison de sa faible altitude : les deux tiers de son territoire se situent sous le niveau des marées hautes à fort coefficient. Les côtes sableuses, essentielles au tourisme local, sont menacées par l’érosion côtière, accentuée par les tempêtes fréquentes et l’élévation du niveau de la mer. Ces phénomènes affectent gravement le trait de côte, entraînant une perte de terres et compromettant l’habitat et les activités locales​. Le changement climatique et les pressions humaines exacerbent les risques naturels. L’élévation des températures contribue à la fonte des glaces, augmentant le niveau de la mer et provoquant des tempêtes plus intenses. En parallèle, l’exploitation des ressources comme le sable et la construction de digues pour protéger les infrastructures perturbent les mouvements naturels sédimentaires, réduisant la résilience côtière de l’île​.

Baie de Bourgneuf ©Johan Picorit

La lisière comme outil de protection littorale

Les lisières littorales, comprenant les dunes, les marais et la végétation côtière, servent de barrières naturelles contre l’érosion et les submersions marines. Ces zones tampons absorbent les impacts des vagues et limitent la force des courants marins, protégeant ainsi les habitations situées à proximité. Ces dunes et marais jouent donc un rôle central dans la préservation des terres. La végétation locale, telle que les oyats sur les dunes, contribue à fixer les sédiments. Les marais salants, au-delà de leur fonction économique, aident à filtrer l’eau de mer et stabilisent l’écosystème côtier​. Ces zones humides sont des écosystèmes riches qui soutiennent la biodiversité locale tout en réduisant l’impact des risques littoraux. Elles permettent de maintenir un équilibre entre les espaces naturels et habités, en offrant des habitats pour les oiseaux et autres espèces, tout en diminuant la pression sur les zones résidentielles en cas de tempêtes​. L’île n’est aujourd’hui que le résultat d’un paysage constamment en mouvement, influencé par des dynamiques naturelles tels les courants marins et éoliens. Le paysage a toujours été mouvant et ce bien avant que l’homme ne s’installe sur des territoires à risques. Le trait de côte fluctue aujourd’hui entre érosion et accrétion, subit les assauts hivernaux ou la générosité estivale de la mer. C’est notamment le cas pour la pointe sableuse du sud de l’île aussi connue sous le nom de « queue de comète » qui gagne en surface. De plus, ces dynamiques naturelles et plus tard anthropiques ont permis de créer un territoire diversifié dont les paysages possèdent des identités uniques. Il est donc essentiel de comprendre l’importance de la relation lisière-mouvance.

Entités paysagères ©Johan Picorit

Gestion et préservation des lisières à Noirmoutier

L’île de Noirmoutier est donc un paysage qui a évolué avec le temps et qui s’est développé avec les économies présentes sur le territoire. Cependant, l’île est vulnérable et on peut distinguer trois types de dégâts. D’abord, les dégâts physiques sur le patrimoine. En effet, l’île possède une forte valeur patrimoniale qui forge son identité. La montée des eaux met en péril ce patrimoine paysager ou architectural et risque d’effacer l’image de l’île qui a fait sa renommée et qui a toujours attiré. Il y a ensuite les dégâts économiques. Une grande partie des économies qui font vivre le territoire sont situées dans des zones à risques. Le tourisme est menacé notamment, car les plages disparaissent progressivement. C’est également le cas pour la saliculture, car il y a de moins en moins de marais salants disponibles. Il en est de même pour la conchyliculture dont l’eau est de plus en plus polluée. L’acidification des océans met en péril les claires derrière les digues. C’est tout le système économique qu’il faut repenser afin de pérenniser ces activités locales qui ont marqué l’histoire. Enfin, il y a les dégâts moraux liés aux sentiments de peur et d’insécurité. On parle ici surtout des habitants de l’île qui vivent le territoire à l’année. Ce sentiment est lié d’une part à l’habitat submersible, d’autre part au paysage qui peut disparaître. Dans ce cas, c’est comme une petite part de soi, une appartenance qui disparaîtrait aussi. Les systèmes de digues jouent leur rôle d’illusionnistes dans la protection contre les aléas de tous les jours certes, mais pas lors de gros événements. Et lorsqu’ils apparaissent, les dégâts sont bien souvent conséquents.

Économies de l’île ©Johan Picorit

Les autorités locales et régionales ont mis en place plusieurs initiatives pour protéger et restaurer les lisières de l’île, telles que la limitation de l’accès aux dunes pour éviter le piétinement et l’érosion. Le projet de lagunage et l’entretien des marais sont essentiels pour la filtration des eaux et le maintien de la biodiversité. Des mesures de sensibilisation sont également développées pour encourager les visiteurs à respecter ces zones fragiles​. Le principal défi réside dans la conciliation entre le développement économique, notamment touristique, et la conservation de l’environnement. La pression foncière pour construire en bord de mer augmente les risques en cas de montée des eaux et d’événements climatiques violents. La gestion durable implique de repenser les usages du littoral pour protéger les lisières et favoriser des solutions de protection douce, adaptées aux nouvelles réalités climatiques​.

Une stratégie globale à l’échelle de l’île

À partir de ces différents constats, j’ai souhaité, dans le cadre de mon Projet de Fin d’Étude mené en 2018, travailler sur l’habitat et les économies de ces zones vulnérables tout en conservant la qualité environnementale de l’île. Le parti-pris de mon projet peut paraître radical : il ambitionne une démarche d’adaptation, afin d’opérer une mutation et/ou relocalisation des économies, de l’habitat et des espaces naturels en fonction des enjeux.

Afin de réduire les risques littoraux, je proposais de mener une action sur l’habitat vulnérable : les habitations situées en zones submersibles devant être relocalisées, tandis que celles encore habitables pourraient faire l’objet de rénovations, telles que l’ajout d’étages ou l’installation sur pilotis. Une charte paysagère devrait dans ce cas assurer la cohésion architecturale et environnementale afin que les nouvelles constructions intègrent des principes de durabilité, comme l’orientation solaire et la protection contre les vents, tout en valorisant le patrimoine existant. Une action serait également à mener sur la ressource en sable : renforcer le cordon dunaire pour protéger les côtes et les habitats, installer des ganivelles et des pieux en bois pour retenir les sédiments et encourager la végétation stabilisatrice. Les plages naturelles seraient ainsi agrandies, tandis que les zones de forte attractivité touristique seraient aménagées de manière durable. Il faudrait par ailleurs que des mesures limitatives sur l’extraction de sable et des restrictions sur le piétinement des dunes soient instaurées pour limiter l’érosion.

Restauration des systèmes dunaires et gestion du sable ©Johan Picorit

Comme vu précédemment, les marais jouent un rôle clé dans la résilience naturelle. Je proposais alors une réorganisation et relocalisation des activités économiques telles que les marais salants, les zones de conchyliculture et de pisciculture afin de maximiser leur efficacité tout en respectant l’environnement. Des zones submersibles seraient également utilisées pour la production aquacole, ce qui favoriserait une économie en symbiose avec les fluctuations naturelles des marées. J’imaginais alors qu’une nouvelle génération de saunier viendrait réhabiliter les marais salants abandonnés, valorisant ainsi le patrimoine local et les pratiques traditionnelles. Les lagunes, reconnues pour leurs capacités d’autoépuration, seraient aussi restaurées pour améliorer la qualité de l’eau, essentielle aux activités aquacoles et à la biodiversité.

 

 

Revalorisation des marais et adaptation des économies ©Johan Picorit

J’imaginais donc que le recul stratégique du trait de côte permettrait de créer une nouvelle interface terre/mer avec des espaces résilients et multifonctionnels, tels que des piscines d’eau de mer et des zones de loisirs adaptées aux fluctuations des marées. Cela engendrerait aussi une diversification des polders. Ces derniers seraient à adapter pour accueillir une agriculture locale diversifiée, comme le maraîchage et l’agropastoralisme. Certains polders submersibles deviendraient peu à peu des zones naturelles, favorisant la biodiversité et l’accueil du public pour des activités pédagogiques et touristiques.

 

Le renouveau des polders ©Johan Picorit

 

Un écotourisme centré sur la sensibilisation et la découverte des écosystèmes locaux pourrait ainsi se développer afin de conserver le tourisme comme activité économique de l’île tout en préservant la biodiversité. L’émergence des circuits pédagogiques dans les marais salants, des fermes éducatives, et des observatoires pour la faune et la flore seraient tant de moyens mis en place pour assurer l’avenir de l’île.

 

Un projet écotouristique pour l’île ©Johan Picorit

 

Aujourd’hui, j’écris un autre légende : celle de l’île qui dansait avec la mer.
Elle raconte qu’une fois, un petit bout de terre au large de l’atlantique, appelée Noirmoutier devint un modèle pour le monde entier. On la surnomme aujourd’hui, l’île des deux marées, car ce territoire, autrefois fragile, joua avec les forces de la mer et du vent, apprenant à fléchir sans jamais céder. Autrefois accablée par les tempêtes, l’île avait failli disparaître sous les assauts de l’océan. Mais les habitants, guidés par la mémoire de leurs anciens, choisirent d’écouter la mer au lieu de lui résister. Ils laissèrent l’eau pénétrer les polders abandonnés, transformant ces terres en vastes lagunes qui reflétaient le ciel. Les prairies se mirent à vibrer sous la lumière dorée, et les moutons de pré-salé y gambadaient, laissant derrière eux l’écho de leurs clochettes. Les dunes, autrefois blessées par le piétinement, se relevèrent fièrement. Les oyats, ces herbes courageuses, étendaient leurs racines pour retenir le sable. À l’ouest, des plages sauvages se régénéraient au gré des vents, offrant aux rêveurs des étendues infinies où contempler le coucher du soleil. Le marais de Müllembourg, autrefois muré par des digues, s’ouvrit à nouveau à la mer. L’eau y circulait librement, nourrissant poissons et mollusques. On raconte que les sauniers, héritiers d’un savoir séculaire, y récoltaient désormais un sel si pur qu’il portait en lui l’empreinte des étoiles. La vie sur l’île devint un ballet délicat où économie et nature se mêlent dans une danse harmonieuse, rappelant que l’île elle-même appartenait autant à l’océan qu’aux hommes. Des chemins sinueux traversaient les paysages, guidant les pas des visiteurs émerveillés jusqu’aux observatoires ornithologiques ou aux fermes pédagogiques, où le silence n’était troublé que par le bruissement des roseaux. Loin d’avoir succombé à la colère de mère Nature, Noirmoutier devint une terre de résilience. Une île qui, au lieu de s’opposer, apprit à s’adapter, à danser avec la mer. Aujourd’hui encore, lorsque le vent souffle fort et que les vagues s’élancent vers les rivages, les habitants disent : « La mer nous parle. Écoutons-la. »

 

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Pour référencer cet article :

Johan Picorit, Un paysage bordé de fragilité, Openfield numéro 24, Janvier 2025