Karst

Les avens, comme on les nomme dans cette région, sont des gouffres qui s’ouvrent dans le sol. Formés par les passages de l’eau ou par effondrement, ils donnent accès aux milieux souterrains. Parcourus pour certains dès le Néolithique en raison des ressources qu’ils abritent (eau, calcite, argile), considérés un temps comme les entrées des Enfers sur une terre où prédomine alors la religion catholique, ces abîmes furent mis en lumière au 19e siècle par l’intérêt que leur porta un jeune avocat passionné de géographie. En cette fin de siècle où fut aussi inventée la photographie, Édouard-Alfred Martel et ses collaborateurs effectuèrent de nombreuses explorations sur ce territoire des Causses Majeurs, œuvrant ainsi à la fondation de la spéléologie moderne.

De nos jours, les spéléologues continuent de lire le paysage en surface pour trouver ces entrées des milieux souterrains. Relief, température et courants d’air sont autant d’indices pour repérer cette « marge entre deux milieux de nature différente, qui participe des deux sans pour autant se confondre avec eux.² »

Réalisée en 2021, la série présentée ici évoque une infiltration photographique où la surface des images rencontre les seuils de la surface terrestre. Opérant à la fois d’un extérieur et d’un intérieur par leur capacité à simultanément séparer et réunir, ces gouffres forment autant de lisières entre le monde visible et les espaces cachés qui se déploient sous terre. Ils participent d’un autre regard sur le paysage, où la notion de profondeur recouvre celle d’horizon.

Par la pratique de la spéléologie et de la chambre photographique, et à partir de leur histoire commune développée au 19e siècle, j’explore ainsi les qualités d’enregistrement et de révélation des milieux souterrains.

En 2024, je poursuis cette recherche avec la série « Développements », réalisée à l’intérieur d’une dizaine de cavités de la région Occitanie. En collaboration avec des géologues, géomorphologues et paléo-climatologues, ce travail met en relation la photographie argentique et les dispositifs de vision des scientifiques, pour tenter, encore une fois, de révéler les récits invisibles du karst.