Cette dernière s’inscrit dans une relation verticale avec la plaine du Rhône en fond de vallée. Par exemple : on habitat en hauteur à Savièse et on travaille en plaine. Imaginer une frange entre tissu viticole et tissu bâti, c’est déployer une relation horizontale en prenant en compte le chapelet des différents cœurs historiques bâtis qui composent le territoire savièsan. Si nous employons ici le terme de frange, c’est parce que ce terme a été retenu par les autorités valaisannes dans les documents officiels, mais derrière ce mot, ce sont bien les caractéristiques de la lisière qui se dessinent. La frange, dans son essence, marque la transition entre deux milieux paysagers distincts. Cette surface ne se restreint pas nécessairement à une structure végétale arborée ou arbustive, mais peut revêtir la forme d’une bande enherbée ou d’une prairie fleurie, créant ainsi un espace harmonieux propice à la mobilité des vivants. En tant que concept, la frange transcende la simple délimitation physique. Elle opère comme une mise en relation dynamique des éléments du paysage, des acteurs et des propriétaires impliqués. L’élaboration d’outils pour mettre en place ces franges nécessite une approche stratégique et collaborative, visant à une intégration harmonieuse des motifs caractéristiques du paysage de Savièse tout en répondant aux besoins des parties prenantes impliquées dans le processus d’aménagement. En interagissant et se connectant avec les éléments environnants, la frange devient un espace essentiel. Un lieu de dialogue entre deux milieux, tissé de lisières, nécessitant une gestion attentive pour garantir son rôle bénéfique dans le contexte plus vaste du paysage viticole et paysage bâti. C’est ce qui est pris en compte dans la Conception Paysage cantonale.
La Conception Paysage cantonale : une approche structurante à grande échelle qui invite à une expérimentation à la parcelle
Validée en 2022 par le Conseil d’État, la Conception Paysage cantonale (CPc) identifie les typologies de paysages à l’échelle du Canton du Valais, en Suisse. «Étude de base»ui alimente les outils d’aménagement du territoire, elle permet de mettre en avant une pensée paysagère et développe cinq objectifs structurants. Ils ont pour ambition de créer une vision partagée du paysage et du territoire. Le premier objectif est de consolider la charpente paysagère à l’échelle cantonale. Le second est d’incrémenter la diversité, et ce à toutes les échelles de planification, en prenant en compte l’ensemble des grands paysages et leur diversité intrinsèque. Le troisième objectif est de soigner les franges entre les grands ensembles paysagers. Le quatrième objectif est d’assurer un équilibre, i-e localement il s’agit de planifier ensemble à partir du paysage. Autrement dit, faire dialoguer les différents acteurs entre eux afin de construire une vision partagée du paysage et de ses enjeux. Enfin, le cinquième objectif est d’atteindre une certaine exemplarité. Faire évoluer le paysage par l’exemple en s’appuyant sur une lecture territoriale et une approche pluridisciplinaire. Charpente, diversité, évolution, équilibre et exemplarité sont ainsi les maîtres-mots de la Conception Paysage cantonale.
De la conception à l’action, une question d’opportunité
Les différents objectifs se déclinent à travers les mesures portées par le plan d’action paysage (document à venir à l’horizon 2026) et à travers des projets exploratoires et exemplaires comme les Projets-Modèles Paysage (trois pour le moment). C’est dans ce cadre que le projet de franges entre le bâti et la vigne a vu le jour sur la commune de Savièse, sous l’impulsion des services cantonaux du développement territorial (SDT), des forêts, de la nature et du paysage (SFNP) et de l’agriculture (SCA).
La mise en œuvre d’un tel projet, d’une telle vision, est aussi et surtout une histoire d’opportunité.
Située sur l’adret du Prabé, à 820m, en rive droite du Rhône et au-dessus de la ville de Sion, la commune de Savièse est un territoire viticole. Paysage culturel et de savoir-faire par excellence, avec la présence quasi continue de terrasses de cultures soutenues par des murs en pierres sèches, le vignoble savièsan connait aujourd’hui un remaniement parcellaire (remembrement parcellaire). En effet, le vignoble est composé d’une constellation de petites parcelles. Un propriétaire peut avoir des parcelles disséminées sur l’ensemble du vignoble. En outre, il existe une certaine déprise viticole. Certaines familles propriétaires n’entretiennent et n’exploitent plus leurs parcelles. Cependant, on assiste à une professionnalisation du vignoble. Celle-ci s’accompagne d’une volonté de rationalisation de la production et d’une mécanisation de la production. C’est dans ce contexte que s’enclenche le remaniement parcellaire, et c’est grâce à ce dernier que se crée l’opportunité d’implanter, d’imaginer des franges entre le tissu viticole et le tissu bâti.
Le projet-modèle paysage des franges entre le tissu bâti et le vignoble : concevoir une boite à outils paysagère
Tout est une question d’opportunité. Les étudiants des trois années de bachelor de l’HEPIA (Haute école de paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève) ont travaillé sur le « coteau doré » (versant sud et viticole de la vallée du Rhône dans le Valais central), dont Savièse fut l’un des sujets d’étude. Par la suite, le groupe de recherche Paysage projet vivant s’est vu confier, avec le bureau d’urbanisme Azur, la mission de concevoir une boite à outils pour aider à l’implantation de franges entre le tissu viticole et le tissu bâti.
Pour ce faire, le groupe de recherches a commencé par retourner sur le territoire et à nouveau poser son regard sur ces lieux. Mais cette fois-ci à travers le prisme de la frange.
À Savièse, le tissu bâti et le tissu viticole se côtoient, s’ignorent et parfois même se confrontent. Il n’y a entre les deux que peu de dialogue, pas de relation et parfois des conflits. C’est bien de la confrontation de deux entités paysagères (urbaine et viticole) intrinsèquement distinctes dont il s’agit. Cette confrontation est parfois source de tensions entre les habitant.es et les vigneron.nes. Les premiers dénoncent notamment la dispersion aérienne des intrants, tandis que les seconds témoignent, entre autres, de déchets dans les parcelles.
Dans un premier temps, il a fallu réunir les acteur.rices autour de la table. Comprendre quelles étaient les attentes, les difficultés rencontrées par les vigneron.nes, la commune et les habitant.es. Mais aussi comprendre ce qu’est pour eux une frange, quelles prestations paysagères ou quels services écosystémiques avaient de l’importance à leurs yeux et quel imaginaire pourrait s’y déployer.
La rencontre entre les acteur.rices a permis au groupe de travail deux choses : affiner son regard sur la perception qu’ont les locaux de leur paysage du/au quotidien et expliciter les bienfaits de la présence de la frange. En effet, les services écosystémiques de la frange (habitat et ressource pour la faune, espace de loisirs et rencontre pour les habitants, limitation de la dispersion des produits phytosanitaires, , production de matière première etc) ne sont pas perçus par tous.
En outre, une des difficultés de cette étude réside dans le fait que ce projet doit pouvoir servir d’exemple. Les communes ayant des franges de même configuration doivent pouvoir s’en inspirer et reproduire une démarche et une transcription similaires sur leur territoire même si il faut bien garder à l’esprit que chaque morceau de territoire est singulier. C’est pour cette raison qu’il doit y avoir une déclinaison similaire et que nous parlons de « boite à outils ». Celle-ci se compose de deux volets : un premier volet paysager et un deuxième volet concernant les outils et instruments administratifs et réglementaires d’aménagement du territoire.
La boite à outils : le catalogue de mesures. Par le paysage, pour le paysage
Si l’atelier a été le premier élément du diagnostic, celui-ci s’est poursuivi par un travail de classification de la frange savièsanne. Travail qui a pour but de créer des catégories, déclinées ensuite en typologies, que l’on peut retrouver sur l’ensemble du « coteau doré », et ailleurs en Suisse, afin de fournir une clef de lecture et de détermination de la frange.
Nous avons donc distingué deux grandes catégories de lisières : une lisière nette et une lisière diffuse.
La frange nette est caractérisée par une coupure franche entre deux entités paysagères (tissu bâti, tissu viticole). Les deux tissus ne s’entremêlent pas, ou alors de manière très sporadique. Sa lisibilité est claire dans le paysage. Pour construire les typologies de la frange nette, nous nous sommes appuyés sur la manière dont la confrontation, la relation entre le tissu bâti et le tissu viticole se fait : comment les vignes sont-elles situées sur les courbes de niveau, au-dessus ou en dessous du bâti ? Les vignes sont-elles au contact direct de la parcelle ? Les parcelles bâties sont-elles accolées aux vignes ou sont-elles séparées par une route ? La construction de la parcelle bâtie est-elle accolée à la vigne ou un jardin crée une distance entre bâti et cultures ? En répondant à ces différentes questions, nous avons défini trois typologies pour la frange nette.
A contrario, la frange diffuse est caractérisée par une découpe plus complexe où deux paysages s’interpénètrent. Le tissu viticole est mité par des constructions habitées isolées. La limite entre tissu bâti et tissu viticole est floue et sa lecture complexe. Concernant la typologie de la frange diffuse, les situations sont tellement variables d’une construction à une autre que pour proposer des mesures, nous nous sommes appuyés sur la limite du périmètre d’urbanisation plutôt que sur les espaces où se côtoient bâti et vignes. Pour la frange diffuse, le périmètre d’urbanisation a été placé en dehors de la zone de mitage. Il englobe cette dernière, ce qui a pour avantage de pouvoir imaginer des franges épaisses, support de mobilité par exemple, au caractère champêtre. Mais aussi, nous pouvons envisager des connexions entre les franges et les cœurs historiques des villages de Savièse dans les interstices. Alors que dans le cas de la frange nette, la limite du périmètre d’urbanisation correspond à l’endroit où tissu bâti et tissu viticole se rencontrent.
Ces catégories, déclinées en typologies, associées aux prestations paysagères de la frange et associées aux différents retours que nous avons eu de la part des exploitant.es, des habitant.es et des services de la commune, nous ont permis de dessiner une image directrice. Nous avons alors pu dégager une vision prospective qui se déploie sur un linéaire de dix kilomètres à l’échelle du territoire de la commune. Elle associe des valeurs d’usage (possibilité de créer des voies cyclables et pédestres en longeant les courbes de niveaux, penser des lieux de pause et de rencontre) ; à des valeurs écologiques et de préservation de la biodiversité. La frange s’accroche aux différents continuums écologiques du territoire, renforçant et diffusant les chemins et les refuges du vivant. Enfin, la frange crée, préserve et met en scène les vues sur le grand paysage si cher aux saviésan.nes, elle participe aussi au soulignement des seuils et notamment des entrées de village.
Ces catégories, déclinées en typologies, associées aux prestations paysagères de la frange et associées aux différents retours que nous avons eu de la part des exploitant.es, des habitant.es et des services de la commune, nous ont permis de dessiner une image directrice. Nous avons alors pu dégager une vision prospective qui se déploie sur un linéaire de dix kilomètres à l’échelle du territoire de la commune. Elle associe des valeurs d’usage (possibilité de créer des voies cyclables et pédestres en longeant les courbes de niveaux, penser des lieux de pause et de rencontre) ; à des valeurs écologiques et de préservation de la biodiversité. La frange s’accroche aux différents continuums écologiques du territoire, renforçant et diffusant les chemins et les refuges du vivant. Enfin, la frange crée, préserve et met en scène les vues sur le grand paysage si cher aux saviésan.nes, elle participe aussi au soulignement des seuils et notamment des entrées de village.
Finalement, pour passer de l’échelle communale à l’échelle de la parcelle, nous avons extrait des portions de l’image directrice et, en s’appuyant sur les photographies aériennes et sur les différentes études environnementales, nous avons proposé des concepts de plantations. Si la tentation était grande d’imaginer l’ensemble de la lisière, la contrainte d’exemplarité, de mise en avant de cas nous a poussés à sélectionner des parcelles, des tronçons de frange que les différents acteurs peuvent rapidement prendre en main et mobiliser. Enfin, une liste d’essences adaptées aux dérèglements climatiques a été dressée afin de donner des pistes de cortège végétal susceptible de constituer la frange saviésanne de demain.
Extraits du catalogue de mesure
Affirmer la frange, c’est augmenter le paysage
Ainsi, la Conception Paysage cantonale du Valais permet d’instaurer le concept de frange et de mettre en avant ses bienfaits pour le territoire, pour le paysage et pour le vivant. Pensée comme un lieu en soi et pour soi, la frange est aussi un espace de dialogue entre des entités paysagères distinctes et qui ont leurs qualités propres. Le Projet-Modèle paysage porté par la CPc, et permis par le remaniement parcellaire en cours, est l’opportunité pour l’ensemble des acteur.rices de réinventer leur paysage du quotidien et de le faire dialoguer avec le sublime du paysage valaisan. En sus, cette réinvention permet d’incrémenter la résilience de ce territoire face aux changements climatiques et de soutenir la biodiversité. Elle permet de soutenir des maillages socio-écologiques pour le vivant qui se déploient à travers toute les échelles d’un territoire et qui caractérisent un paysage.
Aujourd’hui, les grands vignobles à travers le monde se questionnent sur leur devenir face au dérèglement climatique. En outre, ils intègrent de plus en plus les souhaits des consommateur.rices pour des produits et des méthodes de productions respectueuses de l’environnement et de nos paysages. Une nécessaire adaptation du vignoble planétaire doit se faire, tant pour la préservation de nos paysages, que pour la durabilité d’une filière et de traditions pluriséculaires. Revenir à des pratiques de viticulture associant l’arbre et la vigne est une des pistes exploratoires pour répondre à ces enjeux.
*En Suisse, il y a une distinction entre prestations paysagères et services écosystémiques. Le concept des prestations paysagères se concentre sur les bénéfices que l’environnement et la société tirent des paysages. En raison de la diversité de ses fonctions, le paysage fournit des prestations importantes pour le bien-être et la qualité de vie. Afin de reconnaître toutes ses valeurs, la CPc prend en compte l’ensemble des « services rendus » ou « prestations » apportés par le paysage, bénéfiques à l’environnement et à la société. (CPc, page 13)