L’animation agricole. Mais de quoi parle-t-on au juste ?
Les collectivités ont en charge la distribution de l’eau potable aux habitants du territoire (Loi sur l’Eau). Pour ce faire et dans le cas du département de l’Oise, elles prélèvent l’eau dans les nappes phréatiques via des forages.
L’eau prélevée, chlorée puis distribuée doit répondre à la réglementation française en matière de distribution d’eau potable. Elle doit respecter certains critères, notamment, un taux de nitrate <50μg/L et un taux de résidus de pesticide <0,1μg/L. Des analyses régulières sont établies par l’Agence Régionale de Santé.
Cependant, il arrive régulièrement que les analyses réalisées indiquent des taux supérieurs à la norme. Dans ces cas-là, la collectivité alerte la population et distribue de l’eau en bouteille jusqu’à ce que la situation soit rétablie.
C’est pour ces raisons et à la demande de l’Agence de l’Eau Seine Normandie, que des postes d’animateurs agricoles ont commencé à voir le jour dans les collectivités où la qualité de l’eau se trouve menacée. Les Communautés de communes du Clermontois et du Plateau Picard sont deux de ces collectivités. Principalement rurale, la majorité de la surface de ces territoires est dédiée à la production agricole céréalière et légumière en agriculture conventionnelle (blé, orge, colza, betteraves, maïs, lin, légumes de plein champ avec irrigation dont la pomme de terre). Ainsi, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques impacte la qualité des eaux, que ce soient les eaux souterraines à cause de l’infiltration ou des eaux de surface (cours d’eau) à cause du ruissellement. Cela ne veut pas dire que les pollutions sont uniquement agricoles, mais une attention toute particulière est portée à ces espaces, car ils constituent la plus grande surface des Aires d’Alimentation de Captages1 (AAC).
Et le rôle de l’animateur agricole dans tout ça ?
Le rôle de l’animateur agricole est :
– De suivre les études des AAC (diagnostic qui liste les types de pollution d’une AAC et leurs origines). L’objectif est de connaître les pratiques des acteurs locaux vis-à-vis de l’eau, sans jugement de valeur, et de voir comment celles-ci impactent la qualité des eaux souterraines.
– D’établir ensuite des ateliers de concertation afin de rassembler tous les acteurs concernés (DDT, SNCF, DIREN, ARS, DREAL, Chambre d’Agriculture, Bio en Hauts-de-France, département de l’Oise, industriels, agriculteurs, communes, etc.) afin de trouver ensemble des solutions pour améliorer durablement la qualité de l’eau.
– De mettre en place, avec les acteurs du territoire, le plan d’action réalisé lors des ateliers de concertation.
Les plans d’action proposent des mesures variées allant de la sensibilisation du public scolaire autour de l’eau et de l’environnement, à la mise en conformité des assainissements individuels et collectifs en passant par des mesures destinées aux agriculteurs. Au niveau du volet agricole, je m’occupe de trouver des financements pour un matériel agricole qui permet à l’agriculteur de modifier ses pratiques, proposer la contractualisation de MAEC si celles-ci sont intéressantes, proposer l’accompagnement technique dispensé par la CCPP, ou encore réaliser à titre gracieux des reliquats azotés accompagnés d’un suivi collectif et individuel. Ce sont ces mesures en lien avec le monde agricole qui peuvent être plus ardues à mettre en œuvre. Il faut avoir une bonne connaissance de l’agriculture et de son fonctionnement afin d’être convaincant et crédible auprès des acteurs agricoles.
À titre d’exemple, depuis 2011, la Communauté de communes du Plateau Picard (CCPP) a réussi à fédérer un groupe d’une trentaine d’agriculteurs impliqués dans des démarches de réduction de produits phytopharmaceutiques. Encadrées par Thibaud, technicien agricole et moi-même, des réunions ont lieu régulièrement sur le terrain afin de suivre l’évolution des cultures et adapter les pratiques des agriculteurs. Ce groupe de conseil agricole rencontre aujourd’hui un franc succès aussi bien par la qualité des connaissances partagées que par la convivialité entre les participants. Grâce à cet accompagnement, les agriculteurs locaux ont considérablement réduit les doses de produits phytopharmaceutiques appliqués dans les champs. Certains ont aussi fait évoluer leurs pratiques vers une agriculture plus durable comme l’agriculture de conservation des sols2. Cependant, ces changements ne sont pas directement visibles sur les résultats des analyses d’eau, ce qui peut amener à des découragements de la part des agriculteurs comme de la collectivité.
En effet, le temps d’infiltration de l’eau varie d’un territoire à l’autre selon de nombreux facteurs dont les différences de types de sols. À titre d’illustration, un sol crayeux est plus poreux qu’un sol argileux. L’eau présente en surface s’infiltrera donc plus rapidement et ira rejoindre la nappe phréatique plus vite que si l’eau de surface devait traverser un sol argileux. Approximativement, la vitesse de percolation peut aller de 3 jours à 21 ans. Cette dimension peut donner l’impression, notamment aux agriculteurs, que les efforts fournis sont inutiles.
D’autre part, certaines molécules retrouvées lors des analyses d’eau ne sont plus utilisées sur le territoire, car interdites depuis plusieurs années au niveau national. Elles sont tout de même visibles sur les analyses d’eau du fait de la rémanence des produits dans les sols.
Quelle réalité sur le terrain ?
Bien que la majorité des agriculteurs du Plateau Picard soient aujourd’hui sensibilisés à la protection de la qualité de l’eau, les pratiques agricoles changent lentement. Cela s’explique par de nombreux freins rencontrés par les agriculteurs et non par de la mauvaise volonté.
Certains agriculteurs du groupe de la CCPP me confient aller traiter leurs parcelles à contrecœur, car ils savent que ce qu’ils font est mauvais pour l’environnement, mais dans le système où ils sont, ils considèrent ne pas avoir le choix s’ils veulent pouvoir se générer un revenu. Le passage à des pratiques durables, biologiques ou agroécologiques demande un accompagnement technique, un soutien moral et financier adapté ainsi qu’un appui politique fort. Parmi les principaux obstacles, on peut noter :
Les investissements financiers
Modifier ses pratiques impliquer l’achat de matériel spécialisé. Ces investissements sont parfois jugés trop lourds, surtout pour des fermes ayant déjà plusieurs prêts à rembourser ou des fermes dont la rentabilité est fragile. De plus, de nombreux agriculteurs sont proches de la retraite et n’ont pas d’enfants qui souhaitent reprendre l’entreprise familiale. Dans ces cas-là, l’agriculteur ne souhaite pas repartir dans un cycle d’investissement et reprendre des risques alors qu’il va bientôt cesser son activité.
Le manque de rentabilité à court ou long terme
Ne plus utiliser de produits phytopharmaceutiques à un impact direct sur le rendement et donc, un impact négatif sur les bénéfices générés par une ferme. Comme cité plus haut, les exploitations ont souvent plusieurs emprunts en cours et il est donc nécessaire qu’ils puissent les rembourser.
Les répercussions sociales engendrées par le changement
Oser faire différemment est souvent perçu comme une remise en cause du travail réalisé par les générations précédentes, les agriculteurs voisins et l’ensemble de la profession agricole (techniciens, coopératives, syndicat majoritaire, etc.). Ces derniers constituent les relations sociales de l’agriculteur. Le risque d’isolement en cas de changement de pratique est réel. De plus, utiliser de nouvelles méthodes de travail va nécessairement engendrer un accompagnement technique régulier et adapté.
La complexité des marchés économiques
Le système céréalier conventionnel est basé sur la compétitivité : produire beaucoup, à grande échelle pour toujours moins cher. Le but est de pouvoir exporter des produits français et aussi, d’approvisionner à bas coût l’industrie agroalimentaire. À contrario, opter pour l’agriculture biologique, c’est produire moins, mais de meilleure qualité pour notre santé en visant des débouchés locaux. Si on se base sur un système similaire à celui du conventionnel, les produits bio doivent donc être vendus plus cher, car la quantité produite est moindre du fait que les végétaux ne sont pas boostés par des produits phytosanitaires. Cela a été le cas au début de l’agriculture biologique, mais depuis quelques années, il n’y a plus de débouché. Les coopératives agricoles bio achètent donc les productions des agriculteurs à des prix bas, trop bas pour qu’ils puissent ensuite rembourser leurs charges de production. L’ensemble des agriculteurs bio du territoire sont en difficultés financières. Certains, pourtant convaincus, se posent la question de retourner à des pratiques conventionnelles afin d’assurer la survie économique de leurs fermes. Une autre option est de vendre sa production en direct, mais cela nécessite de la transformation et de la main-d’œuvre et donc, des coûts supplémentaires.
L’insuffisance de soutien politique
Bien que des aides existent (par exemple, les aides à la conversion en agriculture biologique), elles sont insuffisantes pour couvrir les frais réels liés aux changements de pratique sur le long terme. D’autre part, le manque de reconnaissance des efforts réalisés, que ce soit de la classe politique que de l’ensemble de la société joue aussi un rôle dans le découragement de certains agriculteurs à s’engager dans la voie du changement.
L’incertitude face au changement climatique
Le métier d’agriculteur est une profession difficile : lors que l’agriculteur sème à l’automne, il ne connaît pas le prix de vente de sa récolte l’année suivante. Ainsi, à cette incertitude, s’ajoute celle de la météo, de plus en plus instable à cause du changement climatique, qui impacte les rendements
À l’ensemble de ces freins s’ajoutent les exigences légitimes de la collectivité sur la protection de la ressource en eau, mais aussi, celles de la société qui demande aux agriculteurs de prendre soin de l’environnement et des paysages.
Je dois souligner ici le paradoxe de notre société qui d’un côté, demande aux agriculteurs de produire beaucoup pour pas cher grâce aux produits phyto et de l’autre côté, leur demande des pratiques écologiques afin de prendre soin de notre santé et de notre environnement alors même que cette société ne consomme pas les produits issus de ces pratiques, car ils sont souvent considérés comme trop cher.
L’animateur agricole, à la fois fonctionnaire, paysagiste, agronome et agriculteur
Comme nous venons de le voir, les difficultés sont multiples et les intérêts sont parfois divergents. En agriculture, les solutions miracles n’existent pas. La réussite de l’animation agricole dépend des acteurs que l’on rencontre sur le terrain, de leur motivation et leur capacité au changement. Mais également, des facultés de médiation de l’animateur et de son aptitude, sur le long terme, à être moteur du changement souhaité par la collectivité. Enfin, cette réussite ne peut pas avoir lieu sans la persévérance des élus locaux à maintenir le cap par leurs engagements politiques.
Avoir un bagage d’ingénieur paysagiste me paraît plus que pertinent pour appréhender ce poste. Par sa capacité d’analyse des enjeux d’un territoire et par sa vision pluridisciplinaire, l’ingénieur paysagiste a la faculté de rassembler les acteurs d’un territoire autour d’un projet commun d’intérêt général. En parallèle de mon poste d’animatrice agricole, je travaille également sur la ferme familiale, La Ferme Épicerie D’Heygère : 80 hectares en polyculture céréalière en agriculture biologique. Avec mon père Pascal, nous développons l’agroécologie sur nos parcelles, avec la vente en direct de nos produits (lentilles, huiles, farines, confitures, pommes de terre) ainsi que l’accueil à la ferme grâce à des visites et à des dégustations. Ainsi, couplé à mes connaissances du milieu agricole, je me sens à même de déployer une stratégie de préservation de la ressource en eau efficace tout en jouant un rôle de médiatrice entre les agriculteurs locaux et la collectivité territoriale. Le volet agricole est souvent nouveau pour les collectivités et il est important que celles-ci se positionnent en tant qu’accompagnatrice et soutien des acteurs agricoles dès lors que les projets qui émergent vont vers des pratiques vertueuses pour la préservation de la qualité de l’eau.
Au cours du cursus d’ingénierie du paysage, nous sommes peu sensibilisés aux possibilités d’emplois qu’offre la maîtrise d’ouvrage. Cependant, je pense sincèrement que nos compétences y trouvent toutes leurs places, notamment dans sur les thématiques de l’environnement et la création de projets durables pour les générations à venir.
1.Délimitée par un hydrogéologue, l’Aire d’Alimentation de Captage est une surface déterminée autour d’un forage d’eau potable. D’une manière imagée, on considère qu’une goutte d’eau qui tombe et s’infiltre dans le sol d’une Aire d’Alimentation de Captage peut se retrouver pompée au forage et alimenter des habitants en eau potable. Il est donc important que l’eau qui s’infiltre dans le sol soit de la meilleure qualité possible.
2.Pratique agricole qui encourage le non-labour et une couverture végétale permanente du sol afin que les micro-organismes et insectes puissent s’y développer et assurer leurs fonctions. Cette pratique vise aussi à réduire l’application des produits phytopharmaceutiques.