Notamment à l’aune de contraintes climatiques vécues, nous sommes forcés à une remise en question et à une projection dans le temps, souvent anxiogène, mais pourtant pleine de promesses lorsque l’on s’intéresse à la diversité de certaines communautés végétales.
Parallèlement, les jardiniers portent une part de responsabilité dans l’introduction de certaines espèces aujourd’hui problématiques dans certains milieux naturels. Ce rôle devrait tendre vers une vigilance quant aux contextes et motifs d’introduction aussi bien qu’aux risques encourus. Ceux-ci sont souvent détectables par certains traits fonctionnels et stratégies de développement comme le caractère rudéral ou compétiteur de ces espèces exotiques même si de nombreuses espèces se déclarent envahissantes après des décennies.
Dès lors, si une prudence et une vulnérabilité de certains espaces et milieux sont de mise, le degré de naturalité apparaît comme le principal facteur de contrainte pour le développement de palettes végétales. En déroulant ce gradient de naturalité, généralement associé à une intensité de gestion, les concepteurs, gestionnaires et jardiniers disposent de deux approches.
La première consiste à s’appuyer sur le cortège floristique local (disons provenant d’une même région biogéographique) à travers des taxons adaptés aujourd’hui aux stations et aux changements à venir. Pour cela, ils disposent de deux nomenclatures : les Matériaux Forestiers de Reproduction (MFR) et la marque – label Végétal Local (VL). Les MFR concernent exclusivement des espèces ligneuses forestières et principalement de production, mais aucun arbuste. Le périmètre de chaque espèce change en fonction de sa répartition biogéographique. Depuis peu, l’arrêté ministériel encadrant l’utilisation des MFR autorise la plantation d’arbres issus de provenances des régions voisines dans un cadre déterminé. Le label VL, quant à lui, concerne tous les types biologiques de végétaux et distingue – sans distinction de répartition des espèces – un certain nombre d’écorégions. Cette nomenclature fait prévaloir jusqu’à l’échelle de la sub-écorégion le patrimoine génétique issu d’un prélèvement local. Si l’outil permet de certifier l’origine d’un lot de végétaux et donc de son adaptation actuelle au terroir, il ne présage en rien de son adaptation future, a fortiori dans des conditions dégradées sur le long terme ou même dans un contexte urbain. Cela n’inclut pas directement une possibilité de migration assistée1quand bien même la connaissance d’une origine plus méridionale d’une espèce pourrait servir.
Alors qu’il est souvent fait référence à des projets de migration assistée, des recherches récentes démontrent une potentielle adaptation rapide de certains arbres (notamment les chênes). D’autres stratégies de l’ordre de l’épigénétique2 continuent d’être étudiées et les préconisations en termes d’adaptation au changement climatique pour la gestion forestière commencent à se clarifier et pourraient potentiellement se décliner dans les jardins quel que soit leur degré de naturalité.
Quelques préconisations pour l’adaptation au changement climatique des espaces boisés ou jardinés.
Tout d’abord, il est primordial de favoriser un maximum de variations génétiques lors des phases de régénération naturelle. Ce premier point serait à associer à des sylvicultures plus dynamiques permettant de sélectionner les individus les mieux adaptés aux nouveaux climats.
Ensuite, pour certaines stations suffisamment contraignantes, une logique de migration assistée pourrait être implémentée en gardant en tête les analogies climatiques géographiques. Cela permet d’identifier des régions biogéographiques aux climats concordant aux projections locales. Dans cette optique, plusieurs outils existent comme Climessence ou Climatematchingtool. Ces adaptations visent à maintenir une capacité productive et de fonctionnement des écosystèmes. La migration assistée implique toutefois des risques évoqués plus haut concernant l’introduction d’espèces exotiques et repris dans un Livre Blanc publié par la Société Française de Botanique3 Entre autres recommandations, les auteurs proposent d’étudier chaque cas d’introduction en s’appuyant sur des essais réalisés dans les arboreta ce qui permettrait d’évaluer non seulement leur adaptation au climat, mais également leur potentiel d’invasivité. Enfin, un point particulièrement intéressant mis en avant est de faire migrer des communautés végétales plutôt que simplement une seule espèce. De nombreuses précautions sont à prendre sur les sites d’implantation : éviter les réserves naturelles, étudier la concordance de la niche écologique d’accueil avec l’autoécologie de l’espèce et de son écotype, éviter la transformation des habitats forestiers, maintenir des peuplements diversifiés en composition et structure, etc. Ces considérations devraient être adaptées au contexte et donc au gradient de naturalité évoqué précédemment qui devra tenir compte de la présence d’espaces naturels d’intérêt, de l’insertion dans la trame écologique, du potentiel d’invasivité, etc.
Sjöman et al.4 ont d’ailleurs proposé une approche de sélection des arbres pour une utilisation en milieu urbain. Il propose d’identifier les climats proches de ceux présents au cœur des villes et de localiser les régions dont les caractéristiques climatiques (amplitudes journalières de température, volumes et répartition des précipitations, etc.) concordent. Ils identifient donc un certain nombre d’espèces qui doit passer au crible des contraintes urbaines. En couplant cette approche avec la contrainte d’introduction vue plus haut, certaines espèces ressortent comme de sérieux candidats comme le chêne de Hongrie ou le chêne chevelu, d’ailleurs largement plantés depuis des décennies dans les parcs d’Europe centrale et de l’Ouest. Un véritable travail d’investigation des cortèges ligneux de régions européennes pourrait ouvrir dès lors de nouvelles voies, d’autant plus si l’on s’intéresse à des sous-espèces ou certains écotypes.
In fine, chaque espace comprenant un degré d’urbanité devrait être travaillé pour maximiser les fonctions écosystémiques potentielles, avec les matériaux pédologiques à disposition, de chaque communauté végétale. Tout en optimisant les facteurs de réussite comme la qualité des végétaux et les pratiques de production ou les choix liés à la plantation (dimension, suivi post-plantation), la maîtrise d’ouvrage devrait garder à l’esprit que la capacité de rafraîchissement des végétaux est constituée de deux aspects que sont l’ombrage et l’évapotranspiration. Même si cette capacité est dépendante d’autres éléments comme les revêtements, la morphologie de l’environnement, entre autres, les parts de chacun des aspects vont largement varier selon le contexte climatique. En effet, dans un climat peu limitant du point de vue hydrique, les espèces capables d’évapotranspirer tard dans la journée auront une capacité de rafraîchissement supérieure par rapport à des espèces à la morphologie plus « méridionale » (feuilles coriaces par exemple). Toutefois, ces dernières auront la capacité de maintenir un ombrage et donc un rafraîchissement – même inférieur – à des périodes potentiellement critiques de la journée pour la santé publique5 . Ainsi, il ressort que l’élaboration d’une palette végétale devra mélanger des espèces aux feuillages denses et capables de transpirer longtemps (souvent des espèces à l’anatomie du bois à port diffus comme les tilleuls) tout en étant le plus thermophiles possible, voire xérophiles. Ces dernières devraient pouvoir mettre en place des canopées denses et se développer même sous couvert partiel. De nombreux taxons de la première catégorie peuvent être trouvés dans les péninsules balkanique et ibérique, ainsi qu’en Europe centrale et même à quelques centaines de mètre d’altitude sur le pourtour méditerranéen (forêts kabyles, chaine de l’Atlas, Mésopotamie, etc.). On devrait par ailleurs noter que la capacité de rafraîchissement des espaces végétalisés urbains est fonction de la typologie (degré de naturalité), de sa taille et de son agencement spatial. En l’occurrence, les espaces plus forestiers ont une capacité de rafraîchissement plus efficace et sont moins dépendants de leur taille6. De même, les alignements d’arbres denses et aux couverts continus seront plus efficaces que des structures arborées aux canopées disjointes7.
Ayant en tête ces réflexions et en tant que praticien, j’ai depuis quelques années pu observer dans les jardins botaniques et chez certains pépiniéristes collectionneurs des espèces prometteuses. Mais il s’agit d’une tout autre histoire, et d’une autre émotion, de découvrir certaines communautés végétales dans leurs milieux naturels. Je souhaite donc ici faire part de quelques expériences de voyage, orientées plus ou moins malgré moi, vers la botanique, et en particulier la diversification végétale pour l’adaptation au changement climatique des espaces jardinés, quel que soit leur degré de naturalité.
Deux carnets botaniques de voyage à distance raisonnable du pas de ma porte
Balkans – été 2024
Depuis quelques années déjà, j’avais fantasmé les Balkans et ses paysages, notamment à travers les ouvrages de Kapka Kassabova explorant ses origines et les destins tragiques des territoires aux univers botaniques et ethniques merveilleux. En visitant un certain nombre de jardins botaniques et arboreta, j’avais progressivement réalisé qu’une diversité insoupçonnée résidait là-bas, notamment pour les ligneux. J’avais pu observer et utiliser des espèces qui commençaient à pointer le bout de leur nez au sein des pépinières. Toutefois, l’appréciation du comportement de ces espèces en milieu urbain et à fortiori dans des contextes édaphoclimatiques nouveaux nécessiterait quelques années. Impatients et après quelques documentations, nous décidions en famille d’aller découvrir, cette région en commençant par trois pays : l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Monténégro.
L’Albanie, pays sorti de son isolement au début des années 90, porte encore les marques d’un développement particulier et accéléré très récemment, notamment sur le plan agricole et forestier. L’aménagement rural évoque un territoire jardiné et aux techniques agricoles adaptées aux petites parcelles, toutefois parfois vieillissantes (canaux d’irrigation aériens en béton miné d’épaufrures, champs de serres rouillés, etc.). La gestion forestière de production de bois d’œuvre – qui produit des paysages familiers aujourd’hui en France et dans les pays d’Europe de l’Ouest – paraît peu développée au profit de forêts pâturées ou de taillis domestiques. À titre d’exemple, en 1990 près des trois quarts des chênaies albanaises étaient gérés en taillis avec des rotations de 30 à 40 ans8 . Je n’ai donc rencontré presque que des taillis ou des parcelles en déprise où le pastoralisme se retire progressivement et laisse la place aux formations arbustives puis aux chênes et pins noirs ou des Balkans plus en altitude. Les taillis, eux, sont parfois constitués d’espèces remarquables que je ne pensais pas rencontrer si facilement. Le paysage perçu est de fait assez bas et il est difficile sans davantage de précisions de discerner la part des contraintes stationnaires de celles de la pression des récoltes. Toutefois, si l’on s’en tient à l’altitude à laquelle certains taxons peuvent être rencontrés (avec un certain niveau de précipitation), et en remarquant les traces de prélèvement sur souche, la pression sur le taillis doit avoir été assez soutenue.
Le chêne de Macédoine (Quercus trojana Webb) présent à travers plusieurs pays de la péninsule balkanique est souvent présent avec le chêne chevelu. In situ c’est un arbre, dépassant rarement les 10 à 12 m, (qu’il peut dépasser largement en culture et sous des climats plus doux) de croissance assez rapide (pousse annuelle dépassant parfois les 50 cm). Sa couronne est plutôt pyramidale au moins au début de son développement. Les rameaux sont tomenteux au moins en début de saison et les feuilles veinées sont un peu coriaces, oblongues à ovales voire un peu lancéolées, de 3 à 10 cm de long sur 1,5 à 5 cm de marge avec une base légèrement en cœur et le bout pointu ou acuminé, les marges portant des mucrons. Remarqué après quelques jours dans la vallée de la Vjosa près de Permet, il était en effet accompagné entre autres arbustes et petits arbres du spectaculaire arbousier de Chypre (Arbutus ancrachne L.) et du genévrier commun (Juniperus communis L.). Disponible dans plusieurs pépinières en France, il est également résistant à des conditions urbaines, on le trouve notamment dans des parcs urbains en Auvergne ainsi qu’à Nantes.
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Pour revenir à l’arbousier de Chypre, j’étais agréablement surpris de le trouver là au sud de l’Albanie presque à la frontière grecque, car contrairement à ce que son nom indique, il est largement présent dans les Balkans. Son écorce spectaculaire rougeâtre se desquamant pour libérer une couleur jaune verdâtre, il est assez facile de la distinguer dans la basse forêt de la vallée de la Vjosa. Ses feuilles se différencient de l’arbousier « commun » par les marges entières et sa floraison droite plus précoce au début de l’été. S’hybridant d’ailleurs largement avec A. unedo il est probable que les individus rencontrés ne soient autres que A. x andrachnoides Link, là où les deux espèces cohabitent. L’hybride est d’ailleurs plus rustique et vigoureux que le parent A. andrachne L.
Sur la route de Korçe (probablement une des plus belles routes que l’on ait pu parcourir) qui venait d’être terminée, sinueuse et atteignant près de 1000 m d’altitude entre plateaux, descentes et remontées, nous avons pu observer dans la foulée des cortèges différents largement influencés par l’exposition. Entre autres espèces remarquables, le charme d’orient (Carpinus orientalis Mill.) ici observé dans un développement limité qui présente des feuilles ovales de 2,5 à 5 cm de long sur 1 à 2,5 cm de large, avec une courte pointe et des marges finement et doublement dentées, plus petites que notre charme commun.
En mélange avec ces espèces, se retrouve assez fréquemment sur des sols superficiels et en milieu plus ouvert le poirier à feuilles d’amandier (Pyrus amygdaliformis Vill.). Cet arbuste à grand développement devient dans certaines situations un petit arbre aux feuilles plus ou moins allongées, tomenteuses au revers, et des rameaux pouvant se terminer en épine, particulièrement intéressant s’il était transposé dans des situations de petits jardins.
Dans des expositions plus clémentes (ubac en situation de pente en fond de vallon), l’érable à feuilles d’obier (Acer opalus Mill.) sortait la tête de peuplements mixtes avec ses feuilles un peu coriaces parfois, des lobes peu profonds, des marges entières, la face supérieure vert tendre à foncé et le revers tournant vers le gris voire pubescent. Arbre tout à fait singulier à l’architecture moins dense que l’érable sycomore bien que la densité du feuillage s’en rapproche
À chaque descente aux alentours de 400 m d’altitude, nous pouvions voir deux espèces recherchant davantage de fraîcheur, mais également présentes sur les adrets à savoir le tilleul tomenteux (Tilia tomentosa Moench.) et le platane d’orient (Platanus orientalis L.), deux espèces largement utilisées en France dans les parcs et jardins ainsi que dans les espaces verts urbains. Tous deux à fortes dynamiques, peu surprenant au regard des milieux dans lesquels on les trouve, ils étaient dominants à proximité des cours d’eau et souvent plantés dans les bourgs des villages. Ces deux espèces correspondraient aux taxons à identifier (cf. introduction) capables de soutenir des périodes de chaleur, stress hydriques (les nappes d’accompagnement fluctuant fortement localement) et de maintenir une évapotranspiration tard dans la journée. Le platane d’orient est, lui, reconnaissable à son écorce comme une peau de crocodile et ses feuilles profondément lobées. On peut en voir des massifs sur certaines avenues de Tirana. Le tilleul tomenteux quant à lui, avec sa ramification « serrée » sur ses charpentières, ses feuilles aux revers clairs et sa forte dynamique de croissance est également assez distinctif. Il se rencontre en mélange jusqu’à des altitudes de l’ordre de 1000 à 1200 m d’altitude en mélange parfois avec le chêne chevelu et le charme d’orient.
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En route vers le parc national de Valbonë dans les Alpes albanaises, une autre route sinueuse nous faisait découvrir une communauté végétale forestière comprenant entre autres l’érable de Tatarie (Acer tataricum L.) et le chêne de Hongrie (Quercus frainetto Ten.). Le premier souvent confondu avec une sous-espèce A. tataricum ssp. ginnala, asiatique quant à elle, est un petit arbre pouvant atteindre 10 m de hauteur. Les feuilles sont rarement lobées contrairement à la sous-espèce asiatique, largement ovales et un peu arrondi et à la base légèrement en forme de cœur, les marges doublement et irrégulièrement dentées. Les samares deviennent rouges assez tôt dans l’été ce qui s’accentue à l’automne. Il en existe un très beau sujet au Cimetière Arboretum à Nantes.
Le chêne de Hongrie, à la répartition géographique assez large (du sud de l’Italie jusqu’à la Hongrie en passant par les Balkans) présente une architecture tout à fait particulière au moins au début de son développement avec des insertions assez serrées des ramifications sur le tronc. Cette architecture, quand on regarde de vieux sujets dans les parcs européens, tend à s’arrondir pour donner des arbres monumentaux de plusieurs dizaines de mètres d’envergure. Dans son milieu naturel, il semble pousser aux côtés du chêne chevelu et du genévrier, avec une croissance assez forte. Je n’en aurais croisé que de jeunes sujets, commençant à peine à établir leurs charpentières. Les feuilles sont reconnaissables avec des lobes assez profonds et des dimensions assez importantes (jusqu’à 20 cm de long sur 10 à 12 cm de large), la face supérieure étant rapidement glabre et vert foncé et la partie inférieure tomenteuse tirant vers le gris. Cette espèce constitue comme le chêne chevelu, un excellent candidat pour une utilisation en parc et place publique à condition d’avoir un volume disponible suffisant.
Au Monténégro, les paysages tout aussi variés avec l’altitude nous ont laissés voir des pins noirs multiséculaires et sculpturaux, des forêts primaires constituées de véritables mastodontes de hêtre, érable sycomore et orme glabre. Elles recelaient également d’une autre espèce tout à faire intéressante : l’érable des Balkans – Acer heldreichii Boiss. Prenant progressivement la place du sycomore à partir de 1000 m, il se distingue de son cousin par des feuilles profondément lobées entre autres, ainsi que par des bourgeons gonflant aux printemps marqués par des écailles extérieures se parant de rouge intense. Dans son milieu cet arbre pourrait atteindre 25 m de hauteur.
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Du sud de la Vendée au nord de Nantes – été 2022
Aussi longtemps que je me souvienne, le chêne de notre voisin avait toujours été là. En dépit d’un climat vendéen se rapprochant progressivement d’une ambiance méditerranéenne avec ses vagues de chaleur et son manque d’eau chronique, il était capable de produire de belles pousses estivales. C’est ce qui m’avait poussé au questionnement. Comment un chêne pédonculé, souvent dépérissant dans le secteur sur de telles situations, pouvait être aussi vigoureux. J’ai alors regardé de plus près les feuilles, tomenteuses au revers, et les rameaux également pubescents : il s’agissait en réalité du chêne pubescent. Espèce souvent mise de côté dans des stations poussantes et moins considérée par les gestionnaires, elle est demeurée très présente hors forêt sur son aire de répartition. Celle-ci sur sa partie littorale remonte jusqu’au sud de la Vendée avec quelques incursions jusqu’à Noirmoutier. Aux Sables-d’Olonne, le bois du Fenestreau acquis par la ville en 2021 représente une superficie non négligeable de 25 ha à proximité directe du front d’urbanisation de l’agglomération et du bourg du Château-d’Olonne. La protection de cette forêt publique est d’autant plus précieuse que le taux de boisement vendéen est parmi les plus bas de France (5 %) et que les forêts littorales ou rétrolittorales sont souvent dominées par les conifères (pin maritime principalement) et le chêne vert. L’arbre est toutefois largement présent localement avec un bocage encore bien préservé, et diversifié aussi bien en composition (chênes pubescent, vert et tauzin, cormier, fusain d’Europe, érable champêtre, bruyère arborescente, etc.) qu’en structure (taillis, futaie et trognes).
J’ai pu d’ailleurs observer une partie de l’étendue de ce bocage rétrolittoral en circulant à vélo à travers un maillage assez dense de chemins blancs. Hormis sur des stations poussantes, ces forêts linéaires ne sont qu’assez basses même si çà et là de superbes sujets s’observent avec des houppiers aux envergures formidables.
Un maillage similaire de chemins s’observe d’ailleurs au nord de Nantes. On n’observe ici aucun chêne pubescent qui laisse sa place au tauzin, arbre du bocage par essence : héliophile, trapu, facilement conduit en trogne avec un bois assez nerveux le rendant a priori impropre à une utilisation en bois d’œuvre. Il se distingue du chêne pubescent par un feuillage velu sur ses deux faces qui lui donne un aspect argenté tôt le matin, mais qui favorise lors de printemps humides – sans grande conséquence – l’oïdium. Ses feuilles, plus grandes, sont également profondément lobées. Les rameaux sont également tomenteux et l’écorce se craquèle en de petits carrés.
Après plusieurs étés à observer ces paysages agroforestiers, il m’apparait qu’ils pourraient contenir au moins une partie de la réponse de l’adaptation au changement climatique en tant qu’outil de production (production de bois d’œuvre, bois énergie ou bûche) avec des espèces comme celles précitées davantage résistantes au chaud et au sec et d’ores et déjà présentes localement. Il faudrait d’ailleurs noter la capacité de ces espèces à s’hybrider entre elles (les chênes tauzins, pubescents, sessiles et pédonculés) et la naturalisation en cours du chêne chevelu, très localement.
Si l’on reprend l’idée d’utiliser dans des contextes contraignants et avec un caractère urbain un peu plus prononcé des cortèges ligneux entiers, on doit remarquer que le chêne pubescent est également présent juste au sud du Massif armoricain dans des cortèges comprenant également l’érable de Montpellier et le genévrier commun. Le premier, en arbre de parc, peut friser les 10 m de hauteur. Largement présent naturellement jusqu’à la Méditerranée, il est par ailleurs utilisé à Barcelone en alignement, mais se rencontre à Tours ou encore Vichy dans des rues peu passantes, sans contraintes de voiries démesurées. Son feuillage se pare d’or à l’automne. Des hybrides existent avec l’érable champêtre sur des aires communes de répartition, donnant Acer x bornmuelleri Borbás qui offre une forme d’érable champêtre un peu trapu avec simplement des feuilles à trois lobes au lieu de cinq. Je me suis d’ailleurs fait surprendre, après un retour de vacances pensant avoir prélevé des graines d’érable de Montpellier non loin de la forêt de Chizé au sud de Niort, en découvrant des feuilles intermédiaires entre les deux parents à la levée au printemps suivant. Cet hybride peu ou pas commercialisé, mériterait davantage d’intérêt de la part de jardiniers et des concepteurs en mal d’arbres de faible développement dans des environnements contraints (cœur d’îlots, gabarit de voirie réduit, etc.). Le genévrier, quant à lui, pousse lentement et est d’une grande longévité. Son feuillage vert bleuté se distingue facilement dans les végétations clairsemées des lisières de chênaie pubescente, notamment dans les Causses du Quercy. Très peu utilisé sous sa forme botanique et locale, l’horticulture lui a préféré depuis quelques décennies des versions naines et couvrantes, auxquelles je ne m’attache guère.
Quand on pense à ces territoires familiers, ressortir certaines espèces de la masse et les regarder sous un regard nouveau peut paraître farfelu. Pourtant, les vieilles trognes vendéennes de chêne pubescent et bretonnes de tauzin, sont autant de figures campagnardes résilientes aux contraintes d’exploitations et à l’abandon, déployant leurs ramures aux écorces crevassées, prêtes à redevenir utiles aux paysans.
Ces deux espèces pionnières exploitent d’ailleurs les talus et haies délaissés, se maintenant de manière plus ou moins disséminée derrière une clôture ou au pied d’un poteau.
Aimant le chaud et le sec, elles sont d’excellentes candidates pour décliner une stratégie d’adaptation du bocage breton au changement climatique. Ceci se décline à travers le territoire communautaire trégorrois dont la collectivité porte depuis plus de 15 ans une politique volontariste de préservation, reconstitution et valorisation du bocage. En recoupant les outils de modélisation à disposition et en observant les limites de certaines stations exposées et peu poussantes, il est envisagé de proposer des séquences de plantation ayant le potentiel de produire du bois à compter de la deuxième moitié de ce siècle. Ces séquences pourraient être constituées, jusqu’à un quart des linéaires, d’espèces thermophiles armoricaines. Les deux espèces citées précédemment font partie de ce cortège qui pourrait parfaitement comprendre le cormier ou le chêne vert pour ne citer qu’elles.
Élargir nos horizons de végétations
Redécouvrir la flore au pas de notre porte est facile. Cela implique d’observer autant le comportement des espèces, leurs réactions aux contraintes évolutives du changement climatique, que de repérer leurs répartitions et développer les usages associés. Leurs dynamiques pourraient également changer à l’avenir ou du moins être appréhendées différemment par les gestionnaires, paysans ou forestiers.
Nos horizons de végétations doivent s’élargir, tout particulièrement en ville, afin qu’elles demeurent vivables, mais qu’elles puissent aussi être vectrices d’imaginaires dans un monde où les mobilités longues distances seront amenées à s’apaiser. S’intéresser aux communautés végétales dans leur ensemble ira d’ailleurs dans ce sens avec des paysages olfactifs et sonores formidables à transporter, ainsi qu’aux hybrides locaux. Alors que la démarche Végétal Local à travers son cahier des charges reste un excellent outil, l’observation des capacités d’adaptation des taxons locaux sera également un enjeu majeur (résistance, plasticité9, capacité de reproduction, etc.).
Dans un monde urbain où les gisements de matériaux viendront à se tarir, les cortèges floristiques ligneux seront aussi une excellente piste de colonisation des sols reconstitués à partir de matériaux recyclés, dont la fertilité pourra être réglée en fonction.
Par ailleurs, les contrées plus méridionales du vieux continent foisonnent de formes plus recherchées adaptées aux volumes urbains, notamment les petits arbres et arbustes. Ces derniers sont particulièrement représentés avec des développements souvent inférieurs à 2 m voire 1,5 m en tous sens.
Pour reprendre l’enjeu du rafraîchissement évoqué plus haut, on peut tout à fait distinguer des espèces capables d’évapotranspirer tard dans la journée tout en maintenant un ombrage lors de fortes chaleurs. Ceci devrait être investigué par des données scientifiques, aujourd’hui accessibles avec les images satellites (Sentinel et Landsat). Les arboreta sont de puissants outils de criblage des espèces porteuses d’espoir. Un exemple frappant est le chêne zéen (Quercus canariensis Willd) très diffusé dans les grands parcs nantais et capables de se ressemer sous couvert d’une cédraie. Son port, plutôt colonnaire dans ses premiers stades de développement, en ferait un bon candidat où un gabarit sous couronne devrait être libéré. Il a évidemment tendance à s’étendre amplement quand il vieillit ce qui devrait être pris en compte par les concepteurs.
Ainsi, la diversité botanique européenne est encore largement sous-estimée et peu représentée dans les pépinières avec une traçabilité des origines génétiques à améliorer pour le milieu urbain. La diffusion de certains taxons à travers des partenariats, plus généreux que les index seminum des jardins botaniques, serait d’autant plus nécessaire.
Pour ne donner que quelques exemples, les taxons ci-dessous pourraient être envisagés comme de sérieux candidats de par leur proximité géographique et leurs attributs de développement.
– le chèvrefeuille des étrusques (Lonicera etrusca Santi) : plante grimpante tenant d’un petit arbuste au port un peu dégingandé, qui forme un petit buisson aux feuilles et fleurs classiques du chèvrefeuille, mais au feuillage un peu velu.
– le buplèvre ligneux (Bupleurum fruticosum L.) : arbuste persistant de 1,5 à 2 m de hauteur fleurissant en été. Peut convenir notamment en situation littorale. Présent sur le pourtour méditerranéen.
– le genêt du mont Etna (Genista aetnensis (Bivona) DC.) : grand arbuste ou petit arbre à la floraison odorante et abondante en juillet. Présent en Sardaigne et Sicile.
– le millepertuis des Baléares (Hypericum balearicum L.) : petit arbuste persistant au développement sphérique d’environ 1,50 m de hauteur. Floraison classique, mais non moins intéressante de millepertuis.
– l’érable de Crète (Acer sempervirens L.) : Petit arbre jusqu’à 10 m (souvent bien plus petit) aux feuilles persistantes et trilobées et marges entières ressemblant celles de l’érable de Montpellier. Présent en Grèce et Turquie.
1.La migration assistée est une stratégie d’adaptation des forêts au changement climatique qui implique l’intervention humaine pour faciliter le mouvement d’espèces vers des zones géographiques mieux adaptées à leurs besoins.
2.L’épigénétique concerne l’expression du patrimoine génétique sans altérer le génome. Les processus épigénétiques (donc sans changement dans le génome et donc sans brassage génétique par la reproduction) peuvent permettre, suite à une exposition à des contraintes environnementales, des adaptations des traits fonctionnels du végétal qui peuvent être transmis à la descendance.
3.Decoq, 2021
4. Sjöman et al, 2012
5.Rahman et al. 2020
6.Jaganmohan et al. 2016, Gallay et al. 2016
7.Hami et al. 2019
8.Villaeys, 1990
9.La résilience est la capacité d’un individu, d’une espèce ou d’un écosystème à se remettre d’une perturbation environnementale alors que la résistance est la capacité à se maintenir face à cette perturbation.
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