Ce texte prend comme point de départ une expérience pédagogique menée entre octobre 2017 et septembre 2018 au sein de la formation des paysagistes DEP de l’ENSAP Bordeaux. Le dispositif didactique qui sera ici décrit et analysé est celui d’un séminaire d’initiation aux principes et aux méthodes de la recherche scientifique dans le domaine du paysage et de l’action paysagère. Au cours du séminaire, un petit groupe d’enseignants et d’étudiants en DEP3 (équivalent Master 2) ont, durant un semestre, l’occasion d’explorer et d’approfondir une problématique socio-environnementale émergente et/ou un territoire spécifique. Concrètement, il s’agit pour les étudiants de s’intégrer à un programme de recherche que coordonnent ou auquel participent les enseignants-chercheurs de la formation. En 2017/2018, la recherche sur laquelle est adossée le séminaire est conduite sur les paysages des savanes du littoral ouest de l’île de la Réunion. Commanditée par le Conservatoire du Littoral et la Fondation de France, pilotée par le laboratoire Passages (UMR 5319 du CNRS) et coordonnée par Serge Briffaud, cette recherche interdisciplinaire et expérimentale se donne tout d’abord pour objectif de faire progresser la connaissance de l’histoire des milieux et des paysages de savane, pour mieux en appréhender et comprendre la formation, l’évolution et les dynamiques actuelles. Sur cette base, il s’agit d’expérimenter, en particulier sur les propriétés du Conservatoire du Littoral au Cap La Houssaye, des méthodes de conservation et de gestion de ces milieux fondées sur le développement de dispositifs concertés de pâturage et de brûlage dirigé1.
Dans ce cadre, l’objectif du séminaire 2017/2018 est de mener une réflexion sur les différentes façons de penser et de mettre en œuvre « l’action paysagère » sur le territoire de La Réunion et plus particulièrement sur celui des savanes du littoral de la côte Ouest de l’île. Il intervient à un moment spécifique de l’histoire de ces paysages : celui de leur disparition sous l’effet conjugué du déclin des pratiques pastorales (élevage et brulis), d’une submersion des espaces graminéens par les ligneux, d’une urbanisation balnéaire et résidentielle diffuse, du développement de l’agriculture irriguée et de la construction en 2009 de la voie express « Route des Tamarins ». Ces phénomènes ont entraîné une destruction et une fragmentation de l’espace des savanes qui se présentaient naguère comme une très vaste étendue de pâturage occupant l’essentiel de l’espace littoral semi-aride entre le rivage et les quartiers habités des 400 mètres. Les savanes apparaissent donc aujourd’hui comme « un paysage relique, émietté et en sursis2 ». Sur ce territoire soumis à des dynamiques profondes et rapides, les étudiants sont amenés à « interroger les définitions, les finalités, les conditions et les méthodes de l’action conduite dans le domaine du paysage, à construire la critique d’expériences déjà menées en ce domaine et, sur cette base, à imaginer et à expérimenter des dispositifs novateurs3 ».
Repenser les savanes de Plateau Caillou et le projet de « parc des Belvédère »
Le principal terrain d’investigation et d’expérimentation du séminaire est celui d’un espace de savane situé sur la commune de Saint-Paul. Coincé entre le quartier de Résorption de l’Habitat Insalubre (RHI) Plateau Caillou, la voie rapide D6, la route des Tamarins, la ravine Bernica et les falaises de Saint-Paul, il s’agit en cela d’une marge territoriale qui constitue pourtant pour les habitants un espace de liberté. Sur ces 26 hectares de savanes, la commune de Saint Paul veut alors aménager un parc. Pour le maire en place depuis 2014, ce projet constitue le geste politique phare de sa mandature et ce sont plusieurs millions d’euros qu’il compte y consacrer. La commune prévoit dans cette perspective un grand aménagement avec en particulier l’installation de multiples belvédères, de tables d’orientation, de plusieurs aires de stationnement et de pique-nique, la construction d’un « village créole » ainsi que de nombreux autres équipements qui doivent faire du futur « parc des Belvédères » un pôle central de l’économie touristique de la commune. La municipalité envisage également la mise en œuvre d’un programme de restauration écologique qui prendra la forme de la plantation d’une forêt sèche aux abords de la ravine Bernica. Certains qualifieront ce programme d’ambitieux, d’autres de démesuré. Mais ce qui apparaît clairement c’est que derrière le vernis d’un discours sur le cadre de vie, sur le développement durable et la restauration des milieux endémiques de l’île, apparaît en réalité une politique aménagiste qui ne tient pas du tout compte des qualités paysagères et des pratiques socio-spatiales existantes. Sous couvert de conservation et de mise en valeur, la savane est en réalité niée, perçue comme un support neutre pour équiper la commune ou comme une nature secondarisée qu’il convient de « restaurer » en récréant un hypothétique paysage d’avant l’homme.
Conscients de la nécessité d’élaborer un programme d’aménagement sur la base d’une compréhension approfondie des savanes de Plateau Caillou, et ayant connaissance des recherches et des expérimentations de gestion pyro-pastorales en cours sur les propriétés du Conservatoire au Cap La Houssaye, les techniciens des services municipaux se rapprochent des enseignants-chercheurs de la formation des paysagistes de l’ENSAP Bordeaux. Au cours de l’hiver austral 2017, plusieurs rencontres ont lieu et c’est en septembre qu’une Convention d’étude à caractère pédagogique est mise en place entre l’ENSAP Bordeaux et la commune de Saint-Paul. Celle-ci fixe aux étudiants comme objectif principal de « participer, dans un cadre d’assistance à maîtrise d’ouvrage, à l’élaboration du projet du parc belvédère, en apportant leur contribution à une stratégie de conservation et de mise en valeur des milieux et paysages concernés4 ». Autrement dit, il s’agit de construire une connaissance fine des savanes de Plateau Caillou et sur cette base d’aider les techniciens et les édiles à fixer un programme cohérent d’aménagement et de gestion du site qui puissent aussi inspirer une politique plus vaste de conservation des savanes saint pauloise.
Cinq étudiants, trois enseignants et une doctorante5 sont impliqués dans ce séminaire. Celui-ci commence au cours du mois d’octobre 2017 par un état de l’art. Les étudiants prennent connaissance de la bibliographie existante ainsi que des investigations et expérimentations de gestion menées dans le cadre du programme de recherches en cours. Sur cette base, ils réalisent des fiches de synthèses écrites et des documents graphiques (fond de plan, coupes topographiques, schémas, herbiers, frises chronologiques …) qui constituent des supports de discussions avec les enseignants. De ces échanges émergent un protocole méthodologique et des premières hypothèses de travail qui devront être testées et éprouvées in situ. Cette première phase de travail permet également d’organiser le voyage d’études qui aura lieu du 11 novembre au 03 décembre : des rendez-vous sont pris, des itinéraires d’observation sont tracés et un calendrier prévisionnel est monté. Au cours de ces trois semaines d’immersion, étudiants, enseignants-chercheurs et doctorant décryptent les paysages, arpentent les lieux et consignent leurs observations ; compilent de la documentation, rencontrent les éleveurs, les habitants et les acteurs locaux. Cette démarche est tout d’abord menée à l’échelle de la côte ouest, ce qui permet d’établir trois grands constats :
– la configuration des versants de cette partie de l’île est exceptionnelle en raison de la diversité des milieux et paysages qui s’étagent entre le littoral et les sommets qui dépassent les 2 000 mètres d’altitude. Les savanes constituent le premier niveau de ce système étagé ;
– les savanes sont le produit de plusieurs siècles de pratiques pastorales (élevage et brulis) et le seul moyen pour les conserver consiste à revivifier ces pratiques ;
– dans un contexte d’urbanisation rapide, les savanes apparaissent comme un espace de liberté qui, de manière informelle et sans aménagement intentionnel, constitue de fait un « parc périurbain d’herbes sèches ».
Dans le même temps, l’analyse des paysages se concentre sur les savanes de Plateau Caillou. Autrement dit, le site même du projet de parc des Belvédères est examiné minutieusement. Il s’agit dès lors d’identifier les spécificités et singularités des lieux : les multiples chaos rocheux qui offrent des situations panoramiques privilégiées, l’ancien chemin pavé probablement construit au XVIIIe siècle alors enfoui sous les herbes, le chemin du Jubilé parfois dangereux ou encore les nombreux arbres remarquables6 …. Les observations sont également attentives à la manière dont les habitants vivent ces espaces. De manière moins intense certes que sur les savanes du Cap La Houssaye qui sont très fréquentées, à Plateau Caillou on vient aussi « roder » du bois ou les nids de guêpes, courir ou simplement se promener et admirer un coucher de soleil sur l’océan Indien. Loin du regard des adultes et de l’espace domestique de la « kour7 », les savanes de Plateau Caillou sont également un terrain de jeu pour les enfants et d’expérimentation pour les adolescents. Enfin, ce sont les dynamiques végétales et écologiques à l’œuvre qui sont examinées. On remarque rapidement que si les savanes herbeuses à « piquant jaune » (Heteropogon contortus) sont encore bien présentes sur le site, elles sont progressivement remplacées par un prémanteau forestier de « mosas » (Leucaena leucocephala). Tous ces constats, remarques et observations sont consignés avec précision dans nos carnets et nos disques durs. Autant de cartes, coupes, croquis, notes et photographies que nous ramenons à Bordeaux où ces matériaux sont retravaillés pour être restitués dans un document de synthèse.
Ce document est remis en février 2018 aux techniciens de la commune. Il comporte les éléments de connaissance et d’analyse évoqués ci-dessus. Il contient aussi des recommandations quant à la mise en valeur du site. Dans cette perspective, nous avons tout d’abord été attentifs aux questions d’accessibilité et de cheminement. Rendre les savanes de Plateau Caillou accessible depuis le quartier riverain et facilement parcourable apparaissait comme une priorité. En effet, nos observations ont montré que, sans équipements ni aménagements spécifiques, les savanes sont aujourd’hui des espaces où un simple accès et un lacis de chemins sont suffisants pour que des pratiques nombreuses et diverses se déploient. Nous avons ensuite proposé de dégager certains lieux stratégiques des fourrées de « mosas » qui les obstruaient. Cette opération devait en effet permettre d’offrir de larges panoramas sur la baie de Saint-Paul ou de donner à voir les nombreux et impressionnants chaos rocheux qui jalonnent le site. Enfin, c’est tout un programme de pilotage des dynamiques d’embuissonnement qui est proposé : celui-ci contient non seulement des procédés mécaniques, mais surtout la mise en place d’une gestion par le pâturage et le brulage dirigé tel qu’expérimentée avec le Conservatoire du Littoral au Cap La Houssaye. Devant la qualité du travail, les services municipaux en charge du projet décident d’annexer ce document au dossier du concours pour maîtrise d’œuvre du futur « parc des Belvédères » qui est lancé en mai 2019.
Expérimenter « grandeur nature »
La démarche a porté ces fruits puisqu’elle a permis d’accompagner la municipalité vers une meilleure compréhension des enjeux d’aménagement et de gestion des savanes de Plateau Caillou, mais également vers la rédaction d’un cahier des charges pour le concours de maîtrise d’œuvre plus complet. Pourtant cette démarche n’a rien de spécialement innovant. Elle est somme toute assez classique pour des paysagistes habitués à travailler en situation d’assistance à maîtrise d’ouvrage ; pour des paysagistes habitués à utiliser, pour partie au moins, les méthodes et les résultats de la recherche pour penser et mettre en œuvre l’action paysagère. Le principal intérêt du travail réalisé avec la mairie de Saint-Paul réside ailleurs. Il se situe dans sa dimension expérimentale. En effet, au-delà de notre contribution au cahier des charges du concours de maîtrise d’œuvre, nous avons également proposé de réaliser dès à présent et « grandeur nature » certaines des recommandations contenues dans notre étude. Pourquoi donc attendre qu’un maître d’œuvre soit sélectionné pour commencer à rendre accessibles ces savanes aux habitants du quartier populaire de Plateau Caillou ? Pourquoi ne pas profiter du temps de la procédure de sélection pour dès maintenant réhabiliter les chemins et pour ouvrir certains panoramas sur la baie de Saint-Paul ? Pourquoi ne pas tester tout de suite certains principes de gestion des dynamiques végétales ? En mobilisant les ressources municipales disponibles en régie, ne serait-il pas possible de préfigurer le futur parc des Belvédères ? Dans le laps de temps qu’il reste avant la sélection d’un maître d’œuvre et la réalisation des travaux, il s’agirait donc de tester sur le terrain et avec des moyens économes, des configurations spatiales, des dispositifs d’aménagement et des modalités de gestion afin d’évaluer leurs efficacités et sur cette base, d’amender les propositions déjà faites et/ou d’en faire de nouvelles. Toutes ces expérimentations bricolées in situ devant être considérées comme la construction d’un prototype du parc des Belvédères réalisés à échelle 1/1.
Si nous savions que cette proposition était pertinente et tout à fait réalisable en régie avec des moyens réduits, pour autant nous étions également conscients qu’elle s’écartait des procédures habituelles et, pensions-nous initialement, elle n’aurait que peu de chance d’aboutir. Pourtant, à notre très grande surprise, elle est accueillie avec enthousiasme par le maire et les services municipaux. Ceux-là y voient un moyen de communiquer sur le projet et demandent à ce que les interventions prévues dans notre étude soient mises en œuvre pour les Journées européennes du Patrimoine (JEP) des 14, 15 et 16 septembre 2018. Ces interventions devront non seulement mettre en valeur les qualités paysagères du site, mais aussi permettre d’accueillir le public ainsi qu’une grande manifestation culturelle animée par des artistes et des associations locales. C’est sur cette base programmatique qu’un avenant à la première convention est signé en mars 2018 et que deux étudiants7, que j’encadre désormais seul, se portent volontaire pour poursuivre l’aventure.
Travailler ensemble
Tout va désormais très vite car il ne reste plus que 6 mois avant les JEP. En mars, les discussions avec la municipalité portent sur la méthode de travail. Celle-ci se veut avant tout collaborative puisqu’en accord avec le service Développement Durable nous insistons pour que les agents du service Culture ainsi que ceux des services techniques (c’est-à-dire ceux qui in fine vont réaliser les travaux) soient dès le départ parties prenantes du projet. Nous verrons par la suite que le projet a également été mis en œuvre avec le concours d’artistes et d’associations locales. La méthode de travail est également fondée sur le terrain et plus particulièrement sur un arpentage en commun du site. Celui-ci aura lieu de manière répétée entre la fin du mois d’avril et la première moitié du mois de mai. Il s’agit alors de s’accorder in situ avec les différents services municipaux sur les interventions et les installations à réaliser ainsi que sur les modalités de leurs mises en œuvre. Sur cette base, les étudiants synthétisent au cours des mois de juin et juillet les discussions de terrain, produisent une carte de localisation des interventions et pour chacune d’entre elles une « fiche-chantier » qui explique quels sont les objectifs à atteindre, la méthode et les moyens à mettre en œuvre ainsi que les agents municipaux concernés par le chantier. L’outil « fiche-chantier » a été privilégié car il est déjà couramment employé au sein de la collectivité. Il est d’usage ordinaire pour les techniciens et tout le monde sait le manipuler. Ces fiches déclinent des actions simples qui consistent principalement à :
– rendre accessible le parc en dégageant les deux principales entrées, en confortant les chemins existants et en sécurisant le chemin du Jubilé,
– exhumer, mettre à jour et consolider les fondations du chemin pavé qui traverse les savanes de Plateau Caillou ;
– ouvrir certains panoramas en défrichant les fourrés de « mosas » qui bouchent les vues les plus intéressantes ;
– mettre en valeur certains lieux remarquables et notamment dégager certains chaos rocheux ainsi que certains arbres exceptionnels qui deviennent dès lors des espaces de contemplation et de repos.
Dans le même temps, nous participons à la réflexion sur le programme artistique et culturel qui sera présenté lors des JEP. Nous travaillons en particulier sur les liens à construire entre installations artistico-culturelles et interventions sur l’espace. Dans cette perspective et à la suite de plusieurs réunions de coordination in situ, nous proposons que, tout au long d’un parcours qui donne à voir la diversité et les singularités des savanes de Plateau Cailloux, les espaces que nous avions prévu d’aménager et de mettre en valeur accueillent les actions artistico-culturelles prévues pour les JEP : sous un gigantesque Tamarin de l’Inde (Pithecellobium dulce) dont les branches basses ont été dégagées pour l’occasion, des contes de la tradition orale créole serons narrés, des chants seront entonnés ; à l’abri d’un chaos rocheux débarrassé des fourrés de « mosas » qui le cachait, l’association APPER9 présentera un troupeau de « kabri pei », qui est une race de chèvres en péril très liées aux savanes ; le chantier de restauration du chemin pavé assurée par une association locale sera dévoilé au public et constituera l’occasion de parler de l’histoire et des techniques de restauration de ce patrimoine construit ; le chemin du Jubilé est sécurisé et des étudiants en BTS tourisme de Saint-Pierre présentent aux visiteurs l’histoire de la ville de Saint-Paul qui se dévoile devant leurs yeux ; avec les bambous trouvés dans les ravines proches, des architectes conçoivent des stands où les visiteurs pourront s’informer, se désaltérer et manger des spécialités locales. Un de ces stands est réservé à une association de femmes qui tressent des chapeaux de paille avec les herbes de la savane. Enfin, avec les matériaux récupérés sur le site, on bricole des assises à l’ombre des arbres qui parsèment la savane.
Toutes ces installations sont réalisées au cours du mois d’août 2018 à l’occasion d’un chantier qui dure plusieurs semaines où chacun travaille à ce que le prototype « grandeur nature » du parc des Belvédère soit prêt pour les JEP. Celles-ci sont un succès. Groupes scolaires, familles, curieux et riverains se pressent pour visiter les lieux et participer aux activités proposées. L’engouement du public pour le patrimoine matériel et immatériel des savanes est palpable alors que, pour de nombreux riverains, un nouvel espace commun de proximité est né.
Retour sur site
L’aménagement du parc des Belvédères en fonction du programme décrit ci-dessus est aujourd’hui au point mort. Lancée en mai 2019, la consultation pour choisir un maître d’œuvre n’a pas abouti. Est-ce que toutes les actions décrites ci-dessus sont apparues suffisantes à la municipalité pour ne pas donner suite à la consultation de maîtrise d’œuvre ? Est-ce que les élections de mars 2020 qui a vu une nouvelle équipe municipale arriver aux affaires ont eu raison de cette consultation qui prévoyait un budget de 10 M d’euros10 ? Impossible pour nous de donner une réponse à ces questions. Reste que les travaux des étudiants paysagistes de l’ENSAP Bordeaux ainsi que les expérimentations menées au cours des JEP ont visiblement engagé une dynamique de projet pérenne au sein des services municipaux. C’est en tout cas ce que j’ai pu constater lors de mes dernières visites en février 2022 : les accès aux sites ont été facilités en raccordant, par un simple défrichement, le chemin pavé aux équipements sportifs situés au nord des savanes alors que de nouveaux chaos rocheux ont été dégagés afin d’offrir aux visiteurs de nouveaux espaces de contemplations sur la baie de Saint-Paul et de repos à l’ombre d’un Bois noir (Albizia lebbeck). Par ailleurs, grâce aux pas répétés des promeneurs et des joggers qui se sont approprié ces savanes, les sentiers que nous avions tracés se sont stabilisés, de nouveau se sont constitués. Sur la base de ce lacis de chemins consolidés par la pratique, les services municipaux ont élaboré un parcours sportif à partir de balises bricolées en régie. Pour les écoles riveraines, les savanes de Plateau Caillou sont désormais le lieu privilégié pour pratiquer des parcours d’orientation.
Toutes ces petites actions cumulées relèvent plus du bricolage paysager que véritablement de la planification. Elles sont réalisées en régie avec une grande sobriété de moyens. Elles rendent possibles les pratiques spontanées plus qu’elles ne cherchent à les encadrer ou à les contraindre. Ici pas de grandes installations ni d’équipements spectaculaires. L’ambition est plus modeste : elle consiste, à travers quelques actions simples et économes, à donner la possibilité à des usages et des pratiques de la vie quotidienne de se déployer. Autrement dit, l’idée n’est pas de substituer un jardin ou un parc à la savane, il s’agit plutôt de donner un cadre le plus léger possible pour laisser l’informalité donner forme au paysage. L’informalité n’est donc ici pas ce qui est sans forme, informe, mais correspond plutôt à une mise en forme qui se fait autant que possible de manière spontanée. En cela, il nous semble que le processus décrit dans ces quelques lignes constitue un espace et un moment utopique où s’est inventée une manière alternative d’agir sur l’environnement. En dehors des cadres habituels des normes de l’aménagement et des dispositifs de la planification, une autre voie est devenue possible.
Notes :
1.Pour une compréhension sur la longue durée de l’histoire des phénomènes socio-écologiques qui ont déterminés la mise en place du système paysager des savanes de la côte sous le vent, mais aussi pour connaître la nature des expérimentations de gestion pyro-pastorale, le lecteur peut se reporter à l’ouvrage suivant : Briffaud Serge et Germanaz Christian, (dir.), Les Savanes de La Réunion. Paysage hérité, paysage en projet, Saint-Denis, Presses universitaire de l’Indianocéanie, 2020.
2.Briffaud Serge, 2019, « Les savanes : une utopie paysagère », Les carnets du paysage, Ensp Versailles, Champ Vallon,
3.Extrait de la Fiche pédagogique, p.1
4.Extrait de la Convention d’étude à caractère pédagogique, p.1.
5.Les étudiants concernés par le séminaire sont Rémi Arcoutel, Vincent Arnaud, Kevin Bouhyer, Samantha Mary et Perinne Zanette. Les encadrants sont tous enseignants au sein de la formation des paysagistes concepteurs de l’ENSAP Bordeaux et membres du laboratoire Passages (UMR 5319 du CNRS). Il s’agit des professeurs Serge Briffaud, Bernard Davasse ainsi que Morgane Robert, alors doctorante et enfin moi-même, alors Maitre de conférences associé. Ajoutons que Quentin Rivière, alors doctorant CIFRE au Conservatoire du littoral et à l’Université de La Réunion a suivi et s’est impliqué dans ce séminaire.
6.On note sur le site la présence de Bois noir (Albizia lebbeck), d’imposants Tamarins des bas (Tamarindus indica) et Tamarins de l’Inde (Pithecellobium dulce). Ces deux derniers offrent aux passant leurs gousses acidulés. Certains arbres font ainsi lieux. On s’arrête autour d’eux pour reprendre son souffle, causer, grappiller quelques gousses ou quelques fruits.
7..En créole, on appelle « Kour » l’espace ouvert et parfois en partie cultivé entourant la maison. Sur ce point, voir la thèse de Michel Watin (1991).
8. Pour diverses raisons liées aux parcours des étudiants du séminaire, seule Perrine Zanette a pu poursuivre les travaux sur les savanes de Plateau Caillou. Vincent Guérard, un étudiant de la même promotion a pris le train en marche et a rejoint Perrine pour mener à bien le projet associé au Journées européennes du Patrimoine. Ces deux étudiants ont également réalisé leurs Projets de fin d’étude (PFE) sur les savanes de la côte Ouest de La Réunion (Guérard, 2018 ; Zanette, 2018).
9. APPER : Association pour la Protection du Patrimoine et de l’Écologie à La Réunion.
10. Le budget du concours est de 10 M€ pour 26 hectares, soit un ratio équivalent à environ 385€ le m2.
Sources :
Concours de maîtrise d’œuvre en vue de l’aménagement paysager et la gestion du site du Parc du Belvédère à Plateau Caillou, Commune de Saint-Paul https://centraledesmarches.com/marches-publics/Saint-Paul-Mairie-de-Saint-Paul-Concours- de-maitrise-d-oeuvre-en-vue-de-l-amenagement-paysager-et-la-gestion-du-site-du-Parc-du- Belvedere-a-Plateau-Caillou-Commune-de-Saint-Paul/4 536 303
Convention à caractère pédagogique entre la Commune de Saint-Paul et l’ENSAP Bordeaux, juin 2017
Avenant à la convention à caractère pédagogique entre la Commune de Saint-Paul et l’ENSAP Bordeaux, 07 mars 2018.
Arcoutel Rémi, Mary Samantha et Zanette Perrine, Une savane pour jardin. Éléments pour la mise en valeur et la gestion d’un héritage paysager, Séminaire d’approfondissement « Formation à la pratique de la recherche scientifique dans le domaine du paysage », février 2018, ENSAP Bordeaux, 45 p.
Bercovitz Rémy, Davasse Bernard, Briffaud Serge et Robert Morgane, Paysage et projet de paysage dans une marge territoriale de l’île de La Réunion : les savanes du littoral sous le vent. Théorie, évaluations et mises en pratique, Fiche pédagogique pour le Séminaire d’approfondissement « Formation à la pratique de la recherche scientifique dans le domaine du paysage », juin 2017, ENSAP Bordeaux, 4 p.
Guérard Vincent, La ravine lé la. Une gestion des paysages des Bas de planèze par les pratiques de la Ravine Bernica, Projet de fin d’études, juin 2018, ENSAP Bordeaux, 36 p. https://issuu.com/vincentguerard/docs/le_cahier_de_bernica page_
Sellier Frédéric, « Le parc belvédère de Plateau-Caillou », dans Le Quotidien, numéro spécial du 30 octobre 2018 « Saint-Paul, la 1ère commune de l’île » https://issuu.com/lequotidien/docs/special_saint-paul
Zanette Perrine, La savane, jardin des sentiments. Paysage et projets de paysage dans une « ancienne » marge territoriale, Projet de fin d’étude, juin 2018, ENSAP Bordeaux, 47 p. https://issuu.com/perrinezanette/docs/zanette_perrine_page_compressed
Bibliographie
Bercovitz Rémy, Abela Caroline et Germanaz Christian (Eds.), Les savanes de la côte sous le vent, Collection Archives ouvertes Hal https://www.hal.inserm.fr/SAVANES-REUNION/
Bercovitz Rémy (Ed.), 2020, Savane, nout liberté sous le vent, Catalogue franco-créole de l’exposition présentée à Saint-Paul (La Réunion), Maison Serveaux, septembre 2019-juillet 2020, Saint-Paul. URL : https://issuu.com/savanes-nout-liberte-sous-le-vent/docs/v6f2_issuu_08.06.2020
Briffaud Serge et Germanaz Christian, (dir.), Les Savanes de La Réunion. Paysage hérité, paysage en projet, Saint-Denis, Presses universitaire de l’Indianocéanie, 2020.
Briffaud Serge, 2019, « Les savanes : une utopie paysagère », Les carnets du paysage, Ensp Versailles, Champ Vallon,
Davasse Bernard et Moisset Alexandre, « Paysage en action sous les tropiques. Histoire, actualités et perspectives – Introduction au numéro thématique », Projets de paysage [En ligne], 21 | 2019, mis en ligne le 30 décembre 2019, consulté le 11 juillet 2022. URL : http://journals.openedition.org/paysage/3046
Robert Morgane, « Le Leucaena leucocephala et les Bas de l’Ouest à l’île de La Réunion », Projets de paysage [En ligne], 19 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 02 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/paysage/413
Watin Michel, Habiter : approche anthropologique de l’espace domestique à La Réunion, Thèse de doctorat en ethnologie, sous la direction de Paul Ottino, Université de La Réunion, 1991.