3 juillet, Guillaume :
Cela fait un an que je réfléchis au GR10 et que je renouvelle mon matériel de randonnée dans cet objectif. Un beau défi, environ deux mois à arpenter les montagnes. Une ligne plus ou moins droite, d’une mer à un océan. D’après mes estimations, je devrais réaliser la traversée en 47 jours avec un sac pesant dans les 15-16 kgs. L’excitation de l’aventure me gagne, ma tête, à la fois pleine de doutes et de convictions. Vais-je réussir ce pari fou ? Je chasse ces bulles de pensées. Il est 7 h du matin. Je quitte Banyuls-sur-Mer et sa Méditerranée cristalline pour m’engouffrer dans les vignes. Le soleil cogne dur et le dénivelé se fait vite ressentir dans les mollets.
15 juillet, Yannick :
Après une demi-année à osciller entre randonnées et mon travail de serveur, l’idée de traverser les Pyrénées m’est apparue. Je connais peu cette région et l’envie de partir à sa découverte m’excite rapidement. Comme à mon habitude, si ce n’est mon matériel, je ne prépare pas énormément ma randonnée. J’aime me laisser guider par les émotions qu’offre la découverte d’un territoire totalement vierge à mes pensées. C’est donc le 15 juillet que j’arrive à Hendaye. Prêt à me lancer dans cette aventure, sans trop savoir où je mets les pieds.
10 juillet, Guillaume :
200 kilomètres ! Je peine à y croire. Cette portion des Pyrénées dominée par les Pics du Canigoù et du Carlit, m’a offert, au prix d’énormes suées, des paysages aussi bien somptueux que variés. Je suis passé de milieux arides où pins, chênes lièges et cistes règnent en maîtres à des enchaînements de lacs d’altitude bordés de rhododendrons et d’orchidées en fleurs. Magique ! Mais je peine déjà à me souvenir de tous les lieux traversés. Les images de ces derniers jours se sont condensées et me donnent l’impression paradoxale d’être parti de Banyuls depuis bien plus d’une semaine.
Ce soir, je dors à Mérens-les-Vals et prends un jour de repos en gîte. Ils annoncent un méchant orage. Et puis, mes genoux ont subi avec tout ce dénivelé négatif et mes pieds doivent finir de se retaper. Prochaine étape, les Pyrénées ariégeoises, réputées plus sauvages, plus libres et surtout plus incertaines au niveau de la météo.
18 juillet, Guillaume :
Les montées-descentes s’enchainent, la partie ariégeoise s’annonce difficile. Presque deux cols et deux fonds de vallées à parcourir par jour avec toujours plus de dénivelés à avaler. La météo est quant à elle devenue plus hasardeuse, on m’avait prévenu. Pluie, orage, vent, grésil, brouillard et même neige m’accompagnent sur le sentier depuis mon départ de Mérens. Parfois, je me retrouve sans aucune vision, la tête dans les nuages à essayer de distinguer les balises. Je me fais surprendre à plusieurs reprises par des chevaux et des vaches. Ces dernières possèdent un talent certain pour se cacher derrière les rochers ! La pluie lessive les couleurs et revêt de sa parure monochrome le paysage. Seules les fleurs viennent trancher tout ce gris par leurs teintes jaune et rose flashy. Le moral tend à diminuer mais le fait d’avoir croisé un gars qui s’est cassé net le poignet et qui continue sa traversée me fait relativiser et force la motivation.
22 juillet, Yannick :
L’océan dans mon dos, je m’en éloigne à chaque pas un peu plus. Guidé par les marques blanches et rouges, je les suis inlassablement. Ces marques peignent mes journées, dessinent ma traversée et colorent mes rencontres. Cette traversée, je le sens déjà, va être différente de celles que j’ai pu réaliser auparavant… Quitter l’océan pour le massif pyrénéen s’est fait de manière progressive. Sur cette partie du GR, les montagnes sont encore basses, elles sont marquées par de forts reliefs où l’eau a creusé de profondes gorges (Kakuetta ou Olhadubi en sont de beaux exemples) ; par une végétation luxuriante mêlant de denses fougères vertes à la légèreté d’immenses hêtraies et par ces villages basques typiques aux bâtisses blanches et aux colombages rouge ou vert sapin. La veille du huitième jour, les couleurs luxuriantes du Pays basque ont troqué leurs teintes avec les couleurs plus brutales, plus arides des roches gris-brunâtre du Béarn.
22 juillet, Guillaume :
Je suis à Bagnères-de-Luchon, check-point marquant la moitié du parcours, la fin de l’Ariège et le début des Pyrénées centrales. Les étapes se sont bien enchainées depuis les lacs de Bassiès. Léo, un ami qui m’a rejoint à Aulus-les-Bains et qui m’a accompagné sur 4 jours, m’a redonné l’énergie pour poursuivre.
L’Ariège m’aura marqué par ces montagnes plus ardues et exigeantes, ces paysages sauvages et refermés sur eux-mêmes, ces anciennes exploitations minières des années 40 désormais avalées par la végétation mais aussi par ces fermes perdues au milieu de rien. Nous sommes tombés sur des lieux improbables comme la ferme de Rouze et le gîte d’Estbints, situés en cul-de-sac des vallées, en retrait de tout, qui fonctionnent en complète autarcie grâce à leurs productions de légumes, céréales, viande, lait, œufs et fromages, le tout en libre échange. Un fonctionnement qui fait réfléchir.
Et puis, la présence des ours m’a été rappelée il y a deux jours par un autre randonneur. Alors que je me battais avec les tiques et les taons, il me montra une patte de biche fraîchement sectionnée.
27 juillet, Yannick :
Plus qu’une randonnée à travers le massif des Pyrénées centrales, j’enchaîne les rencontres sur le sentier, chaque col propose son lot de personnes où les échanges vont bon train. Cette semaine, j’ai passé deux journées avec un grand groupe qui s’est agrandi au fil du rouge et du blanc. Ensemble, nous nous sommes motivés à essuyer une belle pluie entre Gourette et Arrens-Marsous. Le soir, nous nous posons ensemble, discutons, rigolons et partageons nos mets avant de retrouver nos tentes.
De ce côté des Pyrénées, chaque instant est propice à la contemplation d’un lac, celui de Gentau par exemple, d’une cascade, celle de Lutour pour n’en citer qu’une, d’un pic, celui d’Ossau Iraty particulièrement, d’un col, celui d’Ayous pour son point de vue ou encore d’une gorge aride comme sur le fameux chemin de la Mâture. La contemplation est de chaque instant. Quand celle-ci est assouvie, ce sont les sonorités qui guident mes pas avec le bêlement des moutons, le ruissellement des cascades et torrents ou encore le brouhaha des grands sites de France où la nature perd de sa force. Chaque minute sur le sentier n’est que pur plaisir. Je me sens bien et apprécie de plus en plus le choix d’être parti à la rencontre de ce territoire.
27 juillet, Guillaume :
Le contraste est fort avec l’Ariège ! Des touristes en pagaille auprès des lacs les plus faciles d’accès. J’entends, en passant prendre mon pain au jambon sec et fromage de brebis au gîte d’Oô, des enfants se plaindre de ne pas avoir leur goût préféré de glace. Lunaire. Alors que le lac est magnifique avec sa grande cascade, je ne me suis pas éternisé. Je prends conscience que je traverse de plus en plus rapidement les villages pour retourner au silence des montagnes. Je me ravitaille en nourriture et en matériel qui me manque et je repars. J’ai l’impression de me déphaser progressivement.
Accueilli par un orage et sa pluie diluvienne, j’entre dans l’incroyable réserve naturelle du Néouvielle. Le paysage se décline en une multitude de lacs éparpillés entre les forêts de conifères. Le tout est encerclé par des pics rocailleux acérés à donner le vertige. C’est parfait, je déploie ma tente.
28 juillet – La rencontre –
Nous nous arrêtons l’un en face de l’autre sur les berges du lac d’Aumar dans la réserve naturelle du Néouvielle. Rencontre représentant un infime instant compte tenu de la longueur de nos traversées. Nous décidons chacun de faire halte pour écouter ce que l’autre a à dire. Nous faisons le drôle constat que nous avons fait le même type d’études supérieures de paysage, que nous nous sommes probablement rencontrés lors de l’Erasmus de Guillaume en Belgique et que nous avons des amis en commun. Nous parlons du nombre de jours vécus sur le GR et nous comprenons rapidement que chacun souhaite réaliser la traversée complète.
Chacun a parcouru ce que l’autre s’apprête à découvrir. Nous nous échangeons toutes les bonnes adresses, que ce soit les lieux où s’arrêter bivouaquer ou encore les endroits où s’arrêter manger, boire un verre. Nous partageons nos bons souvenirs et nous souhaitons bonne route pour la suite.
Traverser les Pyrénées ne se cantonne pas à rencontrer de grands paysages naturels ou atteindre de grands cols. Une traversée telle que celle-ci se dessine aussi dans les personnes que nous rencontrons. Que ce soit les GRdistes purs et durs, les randonneurs à la semaine, les amis venus parcourir un bout de sentier ou encore les pyrénéens. Chaque rencontre offre son lot de surprises, de nouvelles ou d’anecdotes.
Finalement, comme le dit Sylvain Tesson : « marcher conduit à l’essentiel » et dans cette traversée, l’essentiel se joue pour une partie dans ces gens que nous rencontrons.
4 août, Yannick :
Arrivé à Bagnères-de-Luchon le 30 juillet au soir. Je décide de troquer la toile contre la dureté d’un plafond pour deux nuits. La veille, j’ai été secoué par un orage dans le cirque d’Espingo. La nuit a été mouvementée, le vent tordait mes arceaux, la grêle irritait ma toile, la foudre s’abattait sur les crêtes alentour et le tonnerre résonnait comme des coups de canon. C’est après cette nuit que l’idée d’une journée de pause sur Bagnères m’est apparue. Cette volonté s’est d’autant renforcée avec la météo qui ne montrait que des signes orageux. Après une bonne journée à lire et me balader dans la ville, le moins possible tout de même. Je repars revivifié en direction de l’Ariège. Lors de cette journée de relance, je rencontre Benoit, un cinquantenaire qui traverse également le massif pyrénéen. Nous faisons toute cette journée de marche ensemble, il est professeur de BTS dans une école d’aménagement paysager, ce qui me parle énormément. Les jours suivants, j’ai la chance d’avoir un ami qui s’est motivé à marcher quelques journées sur les sentiers avec moi. Il n’a pas choisi son moment pour débarquer, l’Ariège ne ménage pas les marcheurs, les plateaux sont inexistants, seules les ascensions et descentes sont au programme des journées. La pluie aussi. Après trois jours de marche intensive à travers les forêts et cols ariégeois, mon ami me laisse à ma solitude acquise depuis Hendaye. Je continue à travers ces grandes forêts où l’envie d’y apercevoir un ours brun agite mes pensées. Malheureusement, malgré mon application à faire le moins de bruit possible, je n’en rencontrerais pas.
4 août, Guillaume :
Mon corps ne fait plus qu’un avec la montagne. Avec un sentiment de plénitude, j’ai passé cette semaine à dévaler les sentiers des Pyrénées centrales, faisant défiler devant mes yeux des paysages toujours plus fous (Cirque de Gavarnie, Petit Vignemale, Lac de Gaube, Cascades de Cauterets, Lac d’Ilhéou, Lac d’Anglas, Lac d’Ayous, Pic du Midi d’Ossau). Je suis entré dans une mécanique d’habitudes, comme si j’avais toujours fait ce que je fais depuis un mois. Trouver son spot de bivouac, trouver de l’eau, trouver de la nourriture, étudier son itinéraire du lendemain et marcher, marcher encore. L’Homme, quelle machine incroyable !
Je fais le guide lors de quelques étapes effectuées avec Antoine, Céline et Julien. Pendant ce temps, les cimes des montagnes s’arrondissent, j’entre dans la partie Atlantique des Pyrénées. Prochains objectifs, le Béarn et le Pays Basque !
11 août, Yannick :
Trois jours avec un ami et le manque de discussions suivis d’un sentiment de solitude me sautent finalement au visage. Cette solitude se ressent dans ma marche, j’enchaine les journées à plus 30 bornes. Ce n’est pas tant qu’il n’y a rien à voir, j’apprécie chaque seconde de ce que l’Ariège a à m’offrir. C’est plutôt le fait que mon corps s’est habitué au dénivelé et qu’il vit désormais au rythme du soleil, ce qui m’offre de longues journées. Les soirs, je me retrouve parfois à côté d’autres randonneurs où j’en profite pour échanger quelques phrases ou plus encore, une bonne soupe. La météo de son côté s’améliore chaque jour un peu plus à l’approche des Pyrénées orientales.
11 août, Guillaume :
Le paysage depuis Lescun a bien changé, les fougères aigles sont toujours aussi présentes, les chevaux se sont rapetissés en mode Pottoks basques et les montagnes abordent le visage joufflu de grandes collines. Accompagné d’une randonneuse pendant trois jours, j’allonge les journées comme si ma dose kilométrique habituelle ne suffisait plus. Je continue ma route sous l’œil attentif des vautours et autres gypaètes barbus.
13 août Guillaume :
Vincent et Michaël m’ont attrapé à Saint-Jean-Pied-de-Port (carrefour entre le GR10 et Compostelle) pour la fin du périple.
Par une ancienne voie romaine, nous quittons Sare, les jambes fatiguées mais déterminées. La fin est proche, le corps le sait. Aux abords de la Rhune, le sentier change de consistance et devient sable. Très vite, nous marchons en parallèle de l’Océan. Hendaye est en vue Capitaine ! Après une tortilla bière à la frontière espagnole où les touristes affluent pour acheter alcool fort et tabac, les derniers kilomètres se font mérités. J’ai une cheville en vrac. L’arrivée à la mer est à peine croyable pour moi. J’ai encore du mal à réaliser. C’est la fin. Adishatz.
16 août, Yannick :
Pour ces derniers jours, j’ai rejoint Benoit avec qui j’ai marché quelques semaines plus tôt. Il avait pris de l’avance en empruntant un chemin de traverse lui faisant gagner une bonne vingtaine de kilomètres sur le parcours. Pris d’amitié, nous terminons cette randonnée ensemble, discutons d’aventures diverses, de paysages parcourus et de passions communes. Nous faisons une entorse au GR10 pour une nuit de bivouac au sommet du Canigoù. Mythique sommet des Pyrénées orientales, il offre une vue sur une partie du massif et pour la première fois, sur la méditerranée que nous rejoindrons trois jours plus tard avec une envie partagée : l’impatience de terminer en même temps que le souhait intime que ces Pyrénées puissent être plus longues. Face à la mer, nous ne pouvons aller plus loin. La traversée est finie.