À son arrivée, il fit arracher la plupart des plantes déjà en place pour y entreprendre des essais systématiques d’introduction et d’acclimatation de végétaux exotiques. Décision surprenante pour la population rurale du cap d’Antibes et des alentours, qui cultivait essentiellement des plantes vivrières telles que l’olivier, la vigne, le blé, les arbres fruitiers.
Dès la création du jardin ont été introduites des espèces exotiques des quatre coins du monde, avec le soutien du muséum d’histoire naturelle de Paris et grâce à la création d’un réseau exceptionnel de botanistes et horticulteurs. En Novembre 1857 Gustave Thuret écrit à Joseph Decaisne à propos de sa difficulté à se procurer des plantes : « Le plus pauvre paysan normand a plus de fleurs dans son jardinet qu’on n’en trouverait chez le plus riche habitant du pays ». Le Museum de Paris enverra quantité de graines et de plantes au jardin. Un an après l’achat de la propriété, dans une nouvelle lettre à Joseph Decaisne : « Cher Maître […] je me hâte de vous remercier de ces libéralités. Votre envoi se composait de 135 espèces dont 50 conifères, plusieurs en double. » . Inventaire de 1872, correspondances, échantillons d’herbier… Pas moins de 4000 espèces seront ainsi introduites en deux petites décennies.
Gustave Thuret reçoit dans sa villa du Cap d’Antibes des scientifiques de son époque, mais aussi des diplomates et des artistes tels Georges Sand qui décrira le jardin comme « le plus beau jardin que j’ai vu de ma vie ». « On est dans un Eden qui semble nager au sein de l’immensité 1».
À sa mort en 1875, le jardin fait l’objet d’une donation à perpétuité à l’État français, pour qu’il soit rattaché à un établissement de formation et de recherche et pour pérenniser les travaux entrepris. Charles Naudin, botaniste et ami de Mr Thuret, poursuit les travaux entrepris, pendant qu’Edouard Bornet rassemble et publie une partie des résultats obtenus.
Georges Poireault, agronome, succède à Charles Naudin en 1899 et crée le Centre de Recherches Agronomiques de Provence en 1927. Le site est alors rattaché au Ministère de l’Agriculture et deviendra en 1946 un centre de recherche dépendant de l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA). Les travaux portent alors sur les grandes cultures florales et l’institut poursuit dans le Jardin botanique les travaux d’acclimatation d’espèces végétales de climat méditerranéen. En 2020, l’INRA fusionne avec l’IRSTEA et devient INRAE (Institut de Recherche en Agronomie, Alimentation et Environnement).
Malgré ces nombreux changements d’institutions et en dépit d’accidents climatiques parfois violents propres au climat méditerranéen, le jardin et ses collections ont pu arriver jusqu’à nous grâce au travail de scientifiques et de jardiniers passionnés, qui se sont positionnés à l’échelle de temps de l’arbre et ont permis aux espèces introduites de s’acclimater et de leur survivre.
Notions d’acclimatation
Selon Naudin, une plante peut être considérée comme acclimatée lorsqu’elle est capable de se maintenir sans l’intervention du jardinier (Naudin et al, 1887)2
Plusieurs milliers d’espèces ont été introduites, testées et ont survécu. Certaines d’entre elles sont même devenues banales. Aujourd’hui, le jardin compte plus d’un millier d’espèces, représentant 150 familles botaniques et 450 genres répartis sur 3,5 hectares, dont certains sujets ont plus d’un siècle et demi. Les spécimens actuels sont parfaitement adaptés au climat méditerranéen, caractérisé par des étés chauds et secs et des hivers doux et humides. Le processus d’introduction se poursuit pour constituer et conserver des ressources biologiques originales. Aujourd’hui, il s’agit principalement d’espèces ligneuses : arbres, arbustes et lianes.
Certaines plantes ne proviennent pas de régions à climat méditerranéen (Agathis robusta, Afrocarpus manii), mais ont montré une résistance aux aléas climatiques locaux (gel, sécheresse, vent…). Certaines comme Jacaranda mimosifolia ou Tipuana tipu ont un feuillage persistant dans leur région d’origine, mais caduc ici, en raison du froid hivernal. Ces exemples illustrent la plasticité de certaines espèces, qui en fonction de leur provenance et de leur physiologie, ont plus ou moins de facilité à s’accommoder du climat Azuréen.
Processus d’introduction au jardin, de la prospection à la culture
Environ 100 à 150 espèces (essentiellement ligneuses) arrivent au jardin chaque année. Ces nouvelles acquisitions se font quasi systématiquement sous forme de graines, via les échanges réalisés grâce aux index seminum (catalogues de graines) des jardins botaniques ou via les achats à des grainetiers.
Pourquoi des graines ? Car cela donne l’opportunité :
– de mettre en place des protocoles de semis, notamment pour la levée de dormance
– d’observer la croissance de la plante dès le début, incluant les stades de jeunesse
– de multiplier et comparer des provenances naturelles disponibles,
– de limiter l’introduction d’organismes exotiques indésirables souvent apportés avec les plantes déjà germées (sur la plante ou dans les pots) et d’éviter d’éventuelles invasions biologiques (exemple : insectes ravageurs)
Le processus d’introduction se fait dans le respect de la règlementation : convention sur la biodiversité, convention de Washington, protection des espèces patrimoniales, etc. Chaque plante est tracée, de son arrivée au jardin à l’éventuelle diffusion de sa descendance ou de matériel végétal.
À l’étonnement des visiteurs qui souvent n’imaginent pas le travail en amont, pendant et après la mise en culture, nous répondons que ces précautions et protocoles nous permettent de recueillir un maximum de données et de limiter les risques environnementaux. Ces données nous permettent d’observer les mécanismes de croissance et d’adaptation des plantes au contexte, sur plusieurs années, d’identifier des arbres d’avenir et d’affiner les techniques de culture.
Écorce d’Arbutus glandulosa en fin de journée (à gauche) / Diversité d’espèces (à droite) © Robin Ardito (INRAE)
Les programmes scientifiques
Vous l’aurez compris, le jardin botanique de la Villa Thuret est avant tout, un jardin expérimental. L’unité expérimentale Villa Thuret d’INRAE, qui en assure la direction et la gestion, participe à des réseaux scientifiques et à des programmes régionaux, nationaux ou européens. Elle accueille des dispositifs expérimentaux, réalise des observations et recueille des données scientifiques qu’elle utilise directement ou diffuse à d’autres équipes scientifiques. Elle réalise également la médiation scientifique de projets.
Plusieurs programmes sont en cours, par exemple :
– Phénologie et changement climatique : observations morphologiques et observation de la croissance grâce à des capteurs équipés de micro-dendromètres (réseau national TEMPO)
– Invasions biologiques : mise en place d’un protocole de suivi et de contrôle de nouveaux scolytes envahissants scolytes Xylosandrus crassiusculus et compactus grâce au projet européen life SAMFIX.
À ces programmes expérimentaux viennent s’ajouter d’autres observations comme la surveillance des floraisons d’espèces allergisante en lien avec le Réseau National de la Société d’Allergologie (RNSA), les inventaires botaniques d’espèces exotiques et autochtones poussant dans des parcelles non entretenues, les relevés de floraisons des plantes en collections et bien d’autres.
Un jardin au naturel
Les collections et espaces verts du jardin sont gérés de manière sobre et écoresponsable. Cela permet non seulement de tester le comportement des plantes en conditions proches de conditions naturelles, mais aussi de favoriser la biodiversité. Aucun produit phytosanitaire chimique n’est utilisé ; les tontes sont réalisées tardivement afin de laisser les herbacées finir leur cycle et ainsi permettre aux insectes et autres animaux d’en profiter au maximum ; les arbres ne sont taillés que lorsqu’ils se gênent entre eux ou représentent un danger pour les personnes ; le broyat issu du nettoyage est utilisé pour pailler les plantations. Par souci d’économie d’eau et d’acclimatation, les jeunes plantations ne sont arrosées que les deux ou trois premières années pour favoriser la reprise.
Ce parti pris interpelle parfois les visiteurs habitués à des jardins plus « soignés » et « propres ». Ces derniers n’hésitent pas à questionner les jardiniers qui se font alors un plaisir d’expliquer les raisons de ces choix stratégiques de fonctionnement du jardin, participant ainsi à une diffusion de pratiques respectueuses de l’environnement.
Éducation, formation, sciences participatives
Comme d’autres jardins botaniques, la Villa Thuret a une mission d’accueil du public et d’éducation. Le jardin est ouvert au public. Elle accueille entre 15 et 20 000 visiteurs par an, seule ou avec ses partenaires, en visite libre, en visites commentées expertes pour des groupes, en particulier d’étudiants ou de professionnels, lors d’évènements récurrents.
Elle s’appuie sur des réseaux de partenaires professionnels ou des bénévoles pour mettre en place des dispositifs d’observation, pour recueillir ou pour diffuser des informations.
L’unité expérimentale Villa Thuret participe aussi à l’élaboration de parcours de formation professionnelle, avec le projet européen Alcotra franco-italien « Un Monde vert »[1]. Ce programme est destiné à former des futurs jardiniers, paysagistes et guides historiques pour les jardins botaniques de la Riviera. Ce programme d’adresse aux jeunes diplômés, mais aussi aux personnes souhaitant se reconvertir dans les filières vertes (jardins et espaces verts).
Une influence sur le paysage local
Le jardin rayonne depuis le XIXe siècle, grâce à ces travaux, aux résultats passés et actuels et à l’arrivée continuelle de plantes exotiques. Depuis sa création, il a introduit et permis la mise en culture d’espèces exotiques, dont certaines se sont diffusées grâce à des échanges de semences ou des publications. Cela a contribué à enrichir les palettes d’espèces végétales utilisables pour l’évolution de l’horticulture méditerranéenne et la création du paysage de la Côte d’Azur.
L’équipe de l’unité expérimentale Villa Thuret poursuit les travaux d’acclimatation initiés il y a un peu plus de 160 ans, dans un contexte scientifique, juridique et sociétal différent, notamment avec la nécessaire adaptation des espèces et des pratiques à l’évolution du climat et ses répercussion futures sur les filières horticoles, sylvicoles et paysagères méditerranéennes.
1.George SAND,1868, Lettres d’un voyageur.
1.NAUDIN C. & VON MULLER, F. 1887. Manuel de l’acclimateur ou choix de plantes recommandées pour l’agriculture, l’industrie et la médecine et adaptées aux divers climats de l’Europe et des pays
2. Plus d’information ici : https://www6.sophia.inrae.fr/jardin_thuret/Unite-experimentale/Projets/MONVER-Mondo-Verde-Monde-Vert