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Discrétion bocagère

Ce podcast a été réalisé au nord de la Margeride Lozèrienne, non loin des frontières du Cantal et de la Haute-Loire. Une région de doux monts vallonnés, toute en reliefs, où le remembrement agricole a dû être adapté aux rudes contraintes naturelles. Les agriculteurs, principalement éleveurs, se sont tout de même équipés en mécanisation et ont agrandi leurs champs pour faciliter les rendements. Dans le cadre d’un travail d’étude sur la haie bocagère, je suis allée interroger mes grands-parents, anciens exploitants agricoles, ainsi que mes oncles qui ont repris la ferme de vaches laitières.

Écouter le podcast. Durée 25′42”

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Photographies ©Marine Schmerber

 

Il y a de ces territoires où le savoir n’a pas su se transmettre sans toutefois qu’il se perde. Amnésie de leur usage, mais maintien de leur présence, les haies mixtes ornent humblement les lisières des près pâturés du nord de la Margeride Lozérienne. Les vieilles trognes de frênes, la tête en têtards émondés, bordent encore les routes, les chemins et sentiers. Entretenus annuellement, grâce aux tracteurs et par habitude sûrement, il semble que le foisonnement manifeste des services rendus à la vie en campagne ait sauté une à deux générations de paysans.

Les haies mixtes, mi-arbustives, mi-arborées, sont le refuge des rapaces bien établis dans la région. Ceux-là veillent gourmands aux grains lorsqu’ils piquent, bons chasseurs, les rongeurs ravageurs dans les champs maturant. Plus qu’un simple habitat, ronciers pullulants de mûres, cynorhodon d’églantiers, aubépines et sorbiers, représentent un garde-manger des plus appétant. La faune auxiliaire y trouve son compte, les fleurs mellifères appâtent les insectes et les fruits nourrissent les oiseaux de ce fait enchantés. Les éleveurs quant à eux ne savent plus tous comment valoriser le potentiel fourragé de ces ligneux spontanés. Pleins d’échardes, les vaches les rechignent au profit de l’herbe fraîche, du foin et de l’aliment qui leur demandent désormais moins d’effort d’accès. Oui, les animaux d’élevage aussi ont oublié, faute d’anciennes bêtes dans le cheptel pour dévoiler le secret de la ressource nutritionnelle naturelle que représentent les haies.

Les contraintes abiotiques ont conduit à maintenir un maillage bocager développé tandis que dans les plaines étendues d’autres territoires agricoles les abattaient. Seulement aujourd’hui les épines du Prunus spinosa bordent celles des barbelés, et les cueilleurs seraient bien en peine de glaner branchages, fleurs, bourgeons, mousses, lichens et baies, comme le font les animaux sauvages richement diversifiés.

Les beaux genêts emblématiques, à la floraison jaune un peu tardive, soumis au climat montagnard des doux monts bosselés, ravissent les promeneurs du printemps à l’été. Bêtes noires des agriculteurs implantés sur ces sols granitiques, ils colonisent autant qu’ils se font arracher. Plus personne n’en a besoin pour allumer le four à pain ou passer le balai! Là où la haie bocagère n’est plus, les terrains acides et sableux s’érodent peu à peu. Le rôle d’infiltration dans les nappes que jouent les racines n’a plus lieu, pas pratique pour des parcelles aux tendances naturellement hydrophiles…

Il est temps de reconnaître la qualité d’un paysage paysan hérité, et conservé, sur ces terres pauvres d’élevage ancestrales. N’est-ce pas source d’autonomie que de savoir valoriser dans son quotidien la ressource naturelle locale attentivement observée? Le bocage ici s’est affiné dans l’équilibre d’une dualité, l’équilibre entre des dynamiques de colonisations anthropiques agricoles et végétales spontanées. Notre ère prône un retour aux sources en quête de  «durabilité», s’inspirant des savoir-faire, de savoir-vivre, de nos ancêtres en fait pas si lointain. Des connaissances vernaculaires délaissées par de précédentes générations prises dans la spirale frénétique d’un progrès consumériste qu’il n’est plus bon, en l’état, de perpétuer.

Alors observons et écoutons ce qu’il reste de souvenirs de façon à ne pas trop interpréter et idéaliser ces formes bocagères qui, elles, n’ont pas bougée, quoi que légèrement étoffées. Prenons appui sur des bases solides pour planter, et accompagner, à notre tour, un futur buissonnant bien pensé pour nos campagnes habitées.

 

Pour référencer cet article :

Marine Schmerber, Discrétion bocagère, Openfield numéro 17, Juillet 2021