Je viens du milieu de la sylviculture. Mon père, ingénieur forestier, manifestait dans les années 2000 un certain scepticisme vis-à-vis du changement climatique. Il prétendait que les forêts primaires équatoriales n’avaient rien du qualificatif de « poumons verts » qu’on leur attribuait et que seules les forêts gérées produisaient de l’oxygène. En conséquence une bonne gestion des forêts, doublée du développement de la seconde vie du bois à savoir son usage en bois d’œuvre plutôt qu’en énergie pour favoriser le stockage du carbone dans les constructions devait parfaitement permettre de pallier à un éventuel changement climatique comme il y a pu en avoir plusieurs sur cette planète.
Dix années plus tard, son successeur à la gestion forestière ne sait plus quelle essence planter dans les forêts étant donné l’incertitude climatique. D’un côté il faudrait des arbres méditerranéens pour les périodes estivales, de l’autre, des plantes de marais pour les périodes hivernales. Cactus l’été, roseau l’hiver, jusqu’à présent cette plante n’existe pas.
Certains anticipent avec des végétaux adaptés aux sécheresses en faisant le pari que les périodes de froid hivernal iront en diminuant. D’autres se rabattent sur des végétaux rustiques, qui se contentent aussi bien de trop que de trop peu.
Ceci étant chaque année c’est une, deux, ou trois nouvelles essences d’arbres qui s’avèrent ne plus présenter les caractéristiques suffisantes pour la situation. Des chênes ou des érables sycomores sèchent sur pieds en pleine forêt. La chalarose vient sur le frêne, les acariens sur les tilleuls, la maladie de l’encre sur le châtaigner. Tous ces éléments révèlent que les conditions actuelles sont plus propices à ces pathogènes qu’aux arbres proprement dits. Les jardins ne sont pas exempts de ces phénomènes, avec les chenilles de la pyrale qui déciment les buis.
C’est un changement d’époque. On peut voir sur les horizons forestiers les résineux desséchés par les trop fortes chaleurs. Les grandes cultures ont pris des allures désertiques quand l’irrigation n’a pas permis de compenser le manque d’eau. Habituellement réservés au film d’anticipation ou secteur du monde semi-désertiques, les agriculteurs voient depuis plusieurs années des panaches de poussière de terre s’élever dans le sillage de leurs sillons. Des moissonneuses prennent feu au moment des récoltes, la chaleur étant favorable à ce que les poussières accumulées s’enflamment sur les pièces brulantes de ces machines imposantes.
Pourtant, si les forestiers, les paysagistes, ou les agriculteurs sont désemparés vis-à-vis de leurs pratiques. S’il y a bien un changement qui apparaît évident, certains végétaux semblent ne pas pâtir de ces situations dites exceptionnelles. Paradoxalement, rien de ce que l’on plante ne pousse, tout se meure, mais l’on continue de désherber ce que l’on n’a pas planté. Les dites adventices, les dites invasives semblent se déployer comme si la crise climatique ne les atteignait pas, voir leur était bénéfique.
Les ailantes par exemple, n’ont ni froid ni chaud, ni ne manquent d’eau ni n’en ont trop et nous ne savons qu’en faire. De même pour la renouée du Japon, l’arbre à papillons, la ronce, le pissenlit, et toutes ces plantes qui manifestent une grande autonomie.
De plus, certaines de ces plantes moribondes qui se meurent à mesure que des pathogènes les assaillent et que les sécheresses les font souffrir, proposent des réactions pour le moins originales. Cela devient par exemple une situation courante que de voir un marronnier refleurir à l’automne juste avant les premiers grands froids.
Pour mon père ces phénomènes marquaient la désorientation de la plante, le signe d’une sorte de folie qui, si la situation venait à se répéter, la condamnerait à un affaiblissement et à une issue fatale.
Mais on peut, peut-être voir ce phénomène autrement. La plante réagit à la situation et tente sa chance tout simplement. L’été est trop chaud, elle perd ses feuilles et se retrouve en situation de dormance équivalente à une situation hivernale. La douceur d’automne et ses quelques pluies s’apparentent à un équivalent de printemps, la plante tente quelques feuilles et elle fleurit. Pour l’instant le froid hivernal vient à chaque fois compromettre la fructification, mais qui sait si après un hiver sans gel elles ne parviendront pas à proposer une fructification pour le printemps.
Les végétaux expérimentent, réagissent, modifient leurs métabolismes, changent leurs doctrines. J’ai ainsi vu un pommier l’automne dernier en fleur et en fruit sur le même rameau. Le pommier a beau être un arbre des milieux tempérés il présentait ici une configuration habituelle aux arbres tropicaux. Tout en restant pommier, il se tropicalise.
Le drame qui se noue est le nôtre, beaucoup de ceux à qui nous le faisons subir savent s’en accommoder. Alors que tous les yeux humains s’agitent à prétendre sauver le monde, à défaut de s’adapter à ce qui arrive.
Pour survivre, le pommier change tout ce qui semble le caractériser pour continuer à faire des pommes. À l’inverse nos sociétés tentent de devenir nature en ne changeant rien de ce qui les caractérise. Comme si le fait de se confondre en elle suffirait à nous épargner, comme si nous avions quelque chose à nous faire pardonner vis-à-vis d’elle au point que nous tentions de lui ressembler.
À défaut de paniquer face à ces ouragans, ces montées des eaux, ces canicules à répétition ou ses pénuries d’eau à venir, n’est-il pas temps de commencer à comprendre comment l’ailante parvient à vivre sans terre et sans eau, de varier les recettes de la renouée du Japon et de s’habituer à manger des pommettes de printemps ?
Ces adaptations originales, généreuses et pourtant frugales sont très probablement le guide de ce qui composera le monde vers lequel nous nous retrouvons propulsés, plutôt que l’usage de ressorts toujours plus technologiques pour tenter de préserver une situation déjà dépassée.