« L’appréciation individuelle peut se référer à une lecture collective. Toute société a besoin de s’adapter au monde qui l’entoure. Pour ce faire il lui faut continuellement fabriquer des représentations du milieu au sein duquel elle vit. » Corbin, Alain (2001) L’homme dans le paysage
En 2010, j’ai choisi le Midwest pour destination, région à la fois grande terre agricole et puissante industrie automobile.
Mon imaginaire était dépassé, altéré depuis quelque temps déjà. Les belles images des années 1970 avaient disparu, ou du moins il n’y avait que leurs traces. C’est à ces traces que je me suis attaché, je n’ai pas voulu représenter la modernité dans l’époque contemporaine, mais bien travailler sur des ‘restes’. Ceux-ci font donc référence à des lieux qui ont été ou auraient pu être des espaces, des paysages de mon imaginaire. Ces photographies ont, par rapport à mes rêves, perdu de leur couleur, perdu de leur lumière, leur sujet a presque disparu.
En 2019, je suis à Los Angeles dans l’État de la Californie et j’arpente les alentours de son fleuve toponyme, décor de nombreuses fictions hollywoodiennes. Les représentations de la cité des anges, de l’excès de son modèle urbain, me fascinent, m’interrogent et convoquent le besoin de me confronter à ses paysages et ses non-lieux.
La Los Angeles River est devenue un canal en béton rectiligne, traçant un lit sans méandre, jusqu’à l’océan Pacifique et au port de Long Beach. Elle fait figure d’installation industrielle. Le canal est vu, vécu comme un conduit d’eaux usées, polluées, longeant (infra)structures routières, ferroviaires, électriques, entrepôts et industries. Il symbolise la frontière entre quartiers est et ouest, entre quartiers populaires et privilégiés. Le fleuve est à sec, ainsi que les nappes phréatiques associées. Un mince cours d’eau, ruisseau intermittent, coule au milieu du béton.
Dans cette ville post-moderne, exempte de centre, éloge des flux autoroutiers, des interminables boulevards et de l’étalement des suburbs, le piéton est marginal, illégitime, voire suspect.
Pouvoir déambuler dans le lit artificiel du fleuve, faire disparaître la ville de son champ de vision devient une respiration. Le lieu est rempli d’imaginaires et de possibles. C’est d’ailleurs là, dans le lit artificiel du fleuve, que se construit une prise de conscience écologique en même temps qu’un droit à la ville ; une certaine réappropriation de l’espace public.