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Ruissellements

Un regard vers les paysages ostréicoles de la Ria d’Etel, l’eau qui ne dort jamais

La mouette n’hésite pas. Avec sa tête noire elle cherche, à fleur d’eau, le poisson inconscient de ce qui se passe au-dessus de lui. Elle plonge en piqué dans l’eau fragmentée de lumière, et saisit avec fermeté l’éclat d’argent qui n’a rien vu venir…

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Situation de la Ria d’Étel dans le sud Morbihan © Rouat Anne

… Ainsi va la vie en bord de ria, entrée d’eau de mer dans les terres, organisme vivant, qui respire au gré des vents et des courants. Deux mille hectares qui se remplissent et se vident en fonction des caprices de la barre d’Etel, ce banc de sable qui colmate, ou qui libère, l’entonnoir d’un lieu de vie privilégié.

Lignes, méandres et courants entre terre et mer, vulgarisation cartographique du secteur Pointe de Listrec, Le Plec © Rouat Anne

L’ostréiculteur travaille à l’endroit où la mer se retire, dans l’espace temps que lui laisse une eau salée, avec un peu d’eau douce, sur l’estran magnifique, riche de ce que la nature lui offre.

L’eau des rivières alentour nourrit cet espace découvert quelques heures d’une journée, se mélangeant à l’eau salée venue de la mer, à quelques kilomètres en aval, qui remonte en bouillonnant, en tourbillonnant, entre les roches, les presqu’îles, les récifs, les îles, comme fait le lait sur le feu, sans limites. L’eau va partout, elle n’a peur de rien. Elle se déplace comme le souffle du vent, elle virevolte comme la jupe flamenco d’une danseuse, elle est imprévisible, disparaissant plus longtemps que prévu, ou bien remontant trop vite, « voleuse » comme disaient les femmes parties à la palourde, alors qu’elles n’avaient pas fini de remplir leur panier. Le beurre dans les épinards d’une vie chiche parfois, entre deux coups durs d’ostréiculture.

La mouette frôle d’un coup d’aile le mat du chaland et se pose à bâbord, frissonnant des ailes, s’ébrouant de tout ce vent qui lui tourne la tête. Elle est comme toutes ces femmes de marin, qui attendent, attendent et regardent la mer, une mère nourricière. L’eau, premier lieu de vie de tout être vivant, amniotique, eau protectrice.

Au cœur des parcs ostréicoles le long des lignes de tables, relever les poches © Rouat Anne

L’eau de la rivière comme une manne, un trésor, autant que comme un poison, une mort. Ainsi va la vie de l’huître, témoin et sentinelle de l’eau qui nous entoure, celle que l’ostréiculture nous fait connaître, apprendre et oublier. L’eau d’ici a forgé notre horizon et notre façon d’être. Elle a créé les formes de la rivière, cette entrée d’eau de mer dans les terres, formant feuille de chêne aux pointes douces, arrondies, plongeant dans les vasières, ou dans le sable grossier taillé par les millénaires écoulés. Cette rencontre entre l’eau douce venue de la terre avec l’eau de mer, a donné au plancton tout l’espace pour se développer, la vie était née. Les coquillages ont fabriqué leurs coquilles, les poissons sont venus se nourrir. Les hommes ont vu les coquillages comme les poissons, et se sont dit qu’il y avait à manger pour eux aussi. L’ostréiculture est née dans ces endroits où le plancton végétal se multiplie à foison.

Paysage linéaire de la Ria, de l’importance des lignes © Rouat Anne

Les hommes se sont saisis d’un espace laissé libre par l’eau pour en faire une terre de culture, un marin devenu paysan, un peu des deux à la fois, non pas paysan de la terre, mais paysan de la mer. Ces marins devenus presque terriens, ont apporté du sable de la barre pour durcir le sol afin que les huîtres s’y posent, ils ont posé des collecteurs, forts de l’expérience toute jeune de leurs pères et de leurs frères, ils ont créé un métier, où l’eau de mer le leur permettait. Ils ont laissé leurs huîtres se faire manger par les dorades royales, ont créé les poches sur tables. Au fil des années les dorades ont trouvé à manger plus loin, et parfois on peut encore semer des huîtres à même le sol, comme au tout début de l’ostréiculture. Le territoire forgé par l’eau s’est agrémenté des rides que sont les tables ostréicoles, longues lignes qui suivent la côte, où sont fixées les poches, abris temporaires des huîtres qui s’élèvent sur l’estran.

© Rouat Anne

 

As-tu déjà ouvert une huître ?

As-tu déjà observé son cœur battre et son manteau liseré de noir ?

Sais-tu que l’huître est notre paysage ? Observe les lignes de l’huître, les lamelles de ses branchies, et vois sur le sable ce dessin crayonné par le mouvement du courant. Constate ses couleurs, un peu ocre, un peu brune, parfois si blanche, et vois les nuances d’une terre sableuse, où la slikke laisse des traces, où les algues et les mousses font des taches de couleurs improbables.

L’huître territoire © Rouat Anne

La mouette, d’en haut, sait bien quand, en jusant, des crevettes vont se retrouver piégées dans les flaques laissées par les creux de vase, ou bien quand, en flot, le mulet va frétiller, juste à voler sur une table et parfois atterrir sur le pont d’un bateau qui passe. La mouette n’est pas bête, elle suit les risées, se laisse porter par le vent, ne cherche pas à lutter bien longtemps.

Et puis parfois, l’eau s’empoisonne, réceptacle de l’activité humaine à terre; en manque d’air aussi, quand l’été se fait torride et qu’aucun mouvement de vague ne bouillonne. Le plancton va utiliser tout l’oxygène de l’eau et ne laissera rien aux autres espèces qui s’affaiblissent. L’eau magique qui donne et qui reprend, implacable métronome d’une planète qui bat au rythme des marées, un cœur en somme.
Alors, nous devinons dans la goutte d’eau qui s’aplatit sur nos visages quand souffle le vent d’hiver, nous devinons le sel de la vie, qui laisse sur nos joues des larmes de peine ou bien de joie.

 

 

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Pour référencer cet article :

Tifenn Yvon & Anne Rouat, Ruissellements, Openfield numéro 15, Juillet 2020