Ett år i Finnmark, norske Lappland
Bossekopmarked, november 2016
Bossekoptorget, Alta, 19.11.2017, 12h31
Je retrouve Lilian avec son chien en laisse, à l’angle de Coop Extra. L’enseigne rouge du supermarché contraste avec l’atmosphère grise ambiante. Il fait -10 °C. Je porte mes vêtements de ski. Par chance, il n’y a pas de vent. La neige compactée recouvre la moindre surface et apporte de la lumière durant la période du mørktid1. Diana nous rejoint. Le marché a lieu sur une place qui sert habituellement de parking. Autour, des bâtiments en béton des années 80 se mélangent à des maisons de bois et à d’anciennes boutiques dont les vitrines proposent des articles hors d’âge.
Bossekop est l’un des trois villages qui composent aujourd’hui la petite ville d’Alta. À l’origine, il s’agit d’un lieu de commerce pour les Samis2. Le mot Bossekop vient d’un mot Same qui signifie « Baie de la baleine ». Ce marché existe probablement depuis la fin du XVe siècle. On en retrouve cependant des traces officielles à partir de 1836. Il avait lieu deux fois par an, en décembre et en mars et durait pendant trois jours. C’était un évènement majeur dans la région et l’occasion de se réapprovisionner en denrées pour plusieurs mois. Les Samis échangeaient du poisson et du renne (viande, fourrures) contre du textile, du sel, de la farine, du beurre, du tabac ou encore du café. D’autres commerçants venaient des villages alentour. Mais aussi de Russie et Finlande. Aujourd’hui, Samis, Norvégiens, et Russes se retrouvent toujours sur ce marché. Chacun vend sa spécialité. Les denrées alimentaires courantes ont disparu des étalages et sont vendues en supermarché. Des ballons colorés et gonflés à l’hélium viennent s’ajouter aux produits traditionnels.
Après un échange de banalité, nous commençons à déambuler sur le marché. Des étalages entiers de chaussettes et moufles en laine aux motifs traditionnels norvégiens : des rennes blancs sur fond marron, des oiseaux des montagnes sur fond gris ou des broderies bleu clair aux motifs blancs, tout y passe. Sur d’autres stands, des Norvégiens vendent des chaussons fourrés de laine. Pulls brodés, peaux de mouton, sous-caleçons de ski en laine, napperons tricotés et autres tissus d’ornements aux motifs d’oiseaux. À côté, une dame en vêtements traditionnels Samis et aux lunettes métalliques vend des bottes montantes en peau de renne et fourrées de paille. De fabrication artisanale, il faut compter l’équivalent d’une vingtaine d’euros pour une paire de chaussettes en laine et 250 euros pour une paire de bottes en peau de renne.
Plus loin, un étalage de bijoux en argent aux motifs primitifs et vikings. Lors de fouilles archéologiques près d’Alta et dans le nord de la Norvège, de nombreux bijoux en argent ont été retrouvés. Des artistes et habitants locaux perpétuent le travail de ce métal et son commerce. L’atelier Juhls à Kautokeino3 maintient cette coutume en utilisant des motifs historiques. Pour les Samis, les bijoux en argent occupent une place importante dans l’ornement des costumes traditionnels. Ils indiquaient le rang occupé par la famille au sein de la communauté.
Un peu plus loin, des stands proposent des morceaux de renne congelés ou séchés. Les pièces de viande sont présentées sur des tables, directement emballées dans des sacs plastiques. Avec la température extérieure, pas besoin de précaution particulière pour conservation de la viande. Une feuille de papier portant l’inscription reinsdyr4écrite au marqueur noir accompagne un sac où l’on devine la raideur d’une jambe. Sur la même table, une glacière ouverte est surmontée d’un papier sur lequel est noté hjerte5.
Je retire un de mes gants pour le plaisir de passer ma main dans l’une des peaux de renne empilées sur un portant métallique. Mes doigts s’enfoncent dans la masse de poils longs et bruns faisant disparaître leurs extrémités. Une douce chaleur se fait immédiatement ressentir malgré les -10 °C. J’avais acheté une peau de renne, l’été dernier, à un vieux Sami sur la place du centre-ville. Seul avec sa petite camionnette, il était assis sur une chaise de jardin en plastique blanc. Devant lui, deux tas de fourrure et une glacière bleue contenant de la viande de renne. Je m’étais approchée un peu incertaine face à ce stand de fortune. Il s’était levé de sa chaise lorsque j’étais arrivée à sa hauteur. Il était petit et légèrement vouté, la peau brune et sèche de son visage formait des plis marqués. Articulant peu, il avait commencé à parler. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait et encore moins s’il parlait sami ou norvégien. J’aurais bien aimé discuter avec lui. Mais la barrière de la langue était infranchissable. En voyant que je regardais les peaux avec envie, il m’invita, d’un geste, à passer la main dessus. Je cédais. Les longs et denses poils formaient des couvertures épaisses et moelleuses. Un contact rassurant dans ce paysage froid et extrême. L’expression de contentement dut se peindre sur mon visage puisque l’homme hocha vigoureusement la tête en grommelant. Ce que je traduisis par quelque chose comme « Bien sûr qu’elles sont douces mes fourrures !». Il s’empressa ensuite de soulever les peaux pour me montrer les différents pelages des animaux et tapa sur l’une d’elles avec insistance. Elle était blanche. Une peau de renne blanc. Elles sont plus chères, car plus rares.
L’odeur sucrée et grasse de sultring6 m’extirpe de mon souvenir. Je rejoins Lilian et Diana, qui m’appelle, elles sont déjà loin, à plusieurs stands de moi. Trois Russes discutent derrière un portant pliant sous le poids de manteaux de fourrure. Je regarde sans m’arrêter l’étalage des toques et de gants en cuir ornés du pelage aérien des renards.
12h54
Lilian pose son sac pour chercher un mouchoir dans ses poches. Tremblant malgré son manteau et ses bottines, le petit chien se faufile pour trouver une place dans le sac à main de sa maîtresse resté ouvert. Nous rions.
– Elle fait toujours ça quand elle en a marre de marcher sur la glace, explique Lilian en soulevant le sac avec l’animal.
– Je suis très mal vue avec mon chien, continue-t-elle, beaucoup de personnes pensent qu’il ne faut pas avoir de petits chiens ici. Ils considèrent que ce ne sont pas de « vrais chiens ». On me fait souvent des remarques. Les « vrais chiens », ce sont les chiens de traîneaux.
13h31
Certains stands sont éclairés de lampes ou guirlandes lumineuses. Un homme emmitouflé vend des saucisses sous vide, probablement du mouton, du renne ou de l’élan. J’ai trop froid pour m’approcher. À force de rester plus ou moins statique, le froid se glisse sous les vêtements, surtout au niveau des pieds en contact avec la neige qui s’est transformée en glace. Lilian nous quitte pour rentrer chez elle. La nuit commence à tomber. Avant de partir, nous décidons d’aller faire un tour à Sisa Kultursenter pour nous réchauffer. Il s’agit du bâtiment qui accueille le centre culturel où se retrouvent les émigrés qui habitent à Alta. C’est l’unique café qui se situe à Bossekop.
Sisa Kultursenteret, Alta, 19.11.2017, 13h42
C’est l’embouteillage devant la porte. Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette idée. Il faut retirer ses chaussures à l’entrée afin d’éviter d’éparpiller neige, morceaux de glace et gravier à travers la salle. Mélange de personnes emmitouflées en équilibre précaire qui chaussent ou retirent leurs chaussures. Nous nous frayons un chemin hors de la foule de doudounes. Mes mains rougies par le froid picotent. Je trouve peu à peu l’usage de mes doigts. Mais mes pieds sont toujours insensibles, figés en pierres.
À l’intérieur, le bâtiment ne doit pas voir beaucoup changé depuis sa construction. De vieux décors peints de carnaval ou kermesse couvrent les murs. À l’entrée, thé et café sont servis dans d’anciennes tasses ébréchées. Aucune d’elle n’est identique. Face au comptoir, une petite pièce vitrée fait office de boutique associative. Des artistes locaux y vendent des pierres sculptées, cartes postales et autres bijoux faits main. Ambiance de salle des fêtes. De longues tables couvertes de nappes en papier blanches sont disposées le long des murs. Des enfants chahutent et courent au milieu de la pièce. Certaines personnes lisent à l’écart dans des fauteuils. Un jeune homme joue de la musique. Des femmes prennent le thé entourées de poussettes et d’enfants en bas âge. Un groupe de jeunes improvise un salon de coiffure à l’aide d’une chaise, d’un tablier et d’une tondeuse. Deux vieux Norvégiens aux cheveux gris et en habits traditionnels tendent d’apprendre quelques mots à un émigré fraîchement arrivé. Je reconnais l’un des papis avec qui j’avais parlé lorsque j’étais venue pour apprendre à parler norvégien. Son dialecte7 était impossible à comprendre et nous avions passé plusieurs minutes sur la même phrase.
1.Terme norvégien qui correspond à la période de l’année où le soleil ne se lève pas et n’est pas non plus visible à l’horizon. (Mot à mot « temps sombre » en français, plus connu sous l’expression nuit polaire).
2.Les Samis sont un peuple autochtone vivant dans le nord de la Norvège, Suède, Finlande et de la Russie. Leurs traditions sont établies autour de l’élevage du renne, de la pêche et de la chasse mais également autour de l’artisanat. La nature occupe une place prépondérante dans leur culture et leurs rites. Ils possèdent également leurs propres dialectes. La Norvège compte environ 55 000 Samis répartis entre le centre et le nord du pays. Entre le XVIIIe siècle et jusque dans les années 1960, ils ont été sévèrement opprimés car considérés comme une « race inférieure ».
3.Non loin d’Alta, ville considérée comme la capitale culturelle pour les Samis du nord de la Norvège. Le blason de la ville est décoré d’un lavuu (tente traditionnelle fabriquée de peau de renne, d’aspect visuel, elle ressemble aux tentes des Indiens d’Amérique).
4.Traduction littérale « renne ».
5.Traduction littérale « cœur » (sous-entendu cœur de renne).
6.Beignets norvégiens en forme de donuts.
7.Les norvégiens disposent de deux langues, le bokmål et le nynorsk. Longtemps occupée par le Danemark, la langue officielle de la Norvège était le danois. Après son indépendance, les norvégiens choisissent de créer leur propre langue. Deux méthodes sont mises en place. L’une créant une langue norvégienne dérivée du danois, le bokmål. L’autre, dérivée des dialectes parlés dans les différentes régions norvégiennes, le nynorsk. Les deux langues ont de nombreuses similarités. Le bokmål est généralement utilisé pour les papiers officiels et appris par les émigré