Assis sur une charpentière de Châtaignier le dos appuyé contre le fût d’un chêne, je profite de cette éclaircie matinale et des rayons de soleil bienfaiteurs. Le charme des forêts diversifiées m’offre ce luxe ! Cette ambiance forestière invite mes pensées au vagabondage.
Avant 1780, dans les Landes, la forêt et l’élevage constituent l’essentiel des activités de la population. Seuls sont cultivés et boisés les bords de ruisseau. La forêt représente environ 250 000 hectares. Le reste est composé d’immenses surfaces de landes humides.
Sous la menace permanente du sable puis de l’eau, Nicolas Brémontier, un ingénieur issu de l’école des ponts et chaussés, se lance dans une campagne de plantation dans les Landes. Il s’appuie sur les travaux des frères Desbiey et du Baron Charlevoix de Villiers pour mener à bien cette œuvre : fixer la dune et rendre cette région salubre et productrice afin de lui offrir un avenir. Une campagne de plantation d’oyat (Ammophila arenaria), une Poacée au système racinaire long et touffu va retenir le sable. Puis, on va semer des graines de fixateur d’azote comme l’ajonc d’Europe (Ulex europeaus), le genêt à balais (Cytisus scoparius) et des graines de Pin maritime (Pinus pinaster). Le tout recouvert de branchages.
Le grand chantier a commencé.
À l’aide d’une essence indigène, le Pin maritime, des centaines de milliers d’hectares vont être boisés. La récolte de la gemme (la résine du pin maritime) dont on extrait l’essence de térébenthine ainsi que la confection des poteaux de mine vont contribuer à rendre la région prospère. C’est l’âge d’or des Landes. La chimie et l’arrêt de l’exploitation minière vont stopper cet élan.
De l’eau sur mon visage ! Cette eau bienfaitrice que nous attendons depuis quelques mois arrive enfin.
Les gouttes de pluie me sortent de mes pensées et me ramènent à la réalité.
Dans les années 1970 apparaît l’euro-code (normes européennes de conception, de dimensionnement et de justification des structures de bâtiment et de génie civil). Rejetée pour la construction, la sylviculture du Pin maritime au sein du massif forestier landais va être destinée à la production de bois d’industrie.
Fini le beau parquet, le lambris aux couleurs d’acajou, la charpente traditionnelle. Place au caissage, à la palette et au bois de trituration (produit destiné à la papeterie).
Finis nos scieurs locaux qui répondaient au besoin de la population landaise. Se met alors en place un lobby qui va dicter la mise en production de peuplements forestiers dédiés à l’approvisionnement de ces sites industriels.
Fini le semis, la régénération naturelle de Pin maritime et les peuplements diversifiés. La monoculture du Pin maritime se met en place.
Un bruit de tracteur au loin ! Je m’approche.
Il se dirige vers une coupe rase et, à la vue de l’outil installé sur l’engin, j’en déduis qu’il va procéder au labour de la parcelle.
La sylviculture actuelle
Aujourd’hui la sylviculture « conventionnelle » répond à des opérations bien définies et très coûteuses : le peuplement forestier atteint son âge d’exploitabilité : entre 35 et 40 ans. Une coupe rase (ou coupe à blanc) est alors effectuée. Les souches et parfois tous les rémanents sont exportés. Ces deux actions successives vont être destructrices pour le sol (tassements, déstructuration). Une fois ces produits exportés, le labour et un épandage d’engrais sont effectués. Le passage profond de la charrue mélange tous les horizons. Les bactéries aérobies se retrouvent en anaérobiose et les bactéries anaérobies en aérobiose. Le peu d’humus disponible disparaît dans le sable. Que dire alors de toute la macrofaune et de toute la microfaune !
Le sol est nu et nous savons qu’un sol nu est un sol mort !
Le passage d’un outil appelé rouleau landais (cylindre armé de lames et tiré par un tracteur) est effectué pour achever la préparation du sol. Le sol nu est prêt à recevoir les jeunes plants. Issues de pépinières, ces derniers sont « chargés » en engrais et en néonicotinoïdes qui leur assurent une reprise « garantie » ! Tout au long de leur vie, ces arbres seront en concurrence.
Au bout de trois à cinq ans, les champignons et les végétaux spontanés se sont de nouveau installés dans les interlignes. Pour le plus grand bien des arbres. Ils vont enfin pouvoir entrer en connexion.
Alors le forestier sort son rouleau landais et déchiquette tout ce monde : les adventices gênent la production ! Notion de propre oblige.
Et cela pendant toute la durée de vie du peuplement. Aucun système racinaire, aucun système mycorhizien, aucun végétal ne pourra aider l’arbre à croître. Entre 35 et 40 ans, une coupe rase est effectuée et nous repartons pour un nouveau cycle.
La monoculture est destructrice du sol, de la biodiversité, et est une niche pour la prolifération de nouvelles pathologies.
Tiens, une nouvelle éclaircie !!
Je me dirige vers une trouée ensoleillée dans laquelle j’identifie une vieille souche de Pin maritime.Je m’y assois, et savoure la chaleur distillée par ce rayon de soleil.
Depuis la nuit des temps, la nature a su se développer et nous fournir de quoi vivre.
Les plantes nous nourrissent, nous soignent et nous renseignent sur l’état du sol.
L’Arbre. Nous le côtoyons au quotidien. Il fait partie de notre univers. Nous avons besoin de sa présence et de ses ressources.
De l’agroécologie en forêt
La sylviculture que je pratique s’appuie sur ce constat.
C’est une sylviculture d’arbres que je mets en place (dans un groupe de tiges chacune à son rôle) en opposition à la sylviculture de masse prônée par les défenseurs de la monoculture. Mon objectif est de produire du gros bois d’œuvre de haute qualité, en limitant les opérations forestières. Pour cela je m’appuie sur ce que fait la nature depuis la création : la régénération naturelle.
De vieux arbres (les semenciers) d’essences différentes dispersent leurs graines tous les ans. Les graines lèvent leur dormance dans le sol qui leur correspond et au moment qu’elles choisissent. Il s’installe alors sur ces parcelles, une forêt mélangée.
Elle est bénéfique pour le sol, les écosystèmes et la biodiversité.
Ce que l’on nomme le « wood wide web » ou encore « l’internet végétal » prend son sens dans ce type de forêt. Les connexions des arbres entre eux par les systèmes racinaires et mycorhiziens favorisent l’entraide, les échanges minéraux, la communication. Les feuillus en mélange avec les conifères donnent à la forêt une vigueur inattendue. Les mesures dendrométriques le démontrent.
De plus la résilience et la stabilité du peuplement face aux catastrophes naturelles (ouragan, forte pluie, canicule) sont bien plus importantes dans ces forêts diversifiées. Alors c’est une sylviculture fine qui est menée.
Elle est composée d’inventaires floristiques et arbustifs, de constat sur la vitalité des peuplements d’arbres, sur la santé du sol, de mesures dendrométriques.
J’ai banni de ma sylviculture les coupes rases et je pratique une forme de futaie jardinée. La présence d’arbre sénescents, le sol vivant, le mélange d’essence permettent aux oiseaux, aux chauves-souris de trouver abri. Ce sont deux alliés. Les mésanges par exemple se délectent des chenilles processionnaires du Pin. On ne trouve donc pas ce parasite dans ce type de peuplement.
Le bois au sol et les souches stockent de l’eau et des minéraux et les rendent disponibles aux sujets qui en ont besoin lors de périodes difficiles. Ils nourrissent les champignons, la micro faune et la macro faune, les bactéries et ils forment l’humus.
Les souches mettent des années à se déliter et continuent d’aider leurs voisins pendant leur période de dégradation. Sur nos sols (des podzols ou podzolsols) elles sont notre seule ressource en matières organiques et minérales.
Dans ces forêts, il n’y a jamais de rupture brutale ; le peuplement est installé pour une durée non définie. Des prélèvements sont effectués mais toujours lorsque de nouveaux sujets sont déjà en place. La multifonctionnalité de la forêt prend ici tout son sens.
Ce type de forêt stocke du carbone, le transforme en oxygène, fabrique de l’eau, sert d’abris pour les oiseaux, les animaux, accueille des ruchers, invite à la balade et produit des arbres de haute qualité !
Un nouveau produit issu du bois
Nos énergies fossiles disparaissent. C’est la dégradation des végétaux qui a généré le pétrole et le charbon. Nous avons épuisé l’héritage des premiers colonisateurs de la planète.
Pour pallier ce manque, les industriels ont misé sur les énergies renouvelables…
L’arbre en fait partie. Il est transformé en bois énergie !
Aujourd’hui, face à la demande croissante de ce nouveau produit pour le chauffage, une déforestation de masse a lieu sur notre territoire. Nous assistons à d’innombrables coupes rases qui détruisent notre environnement, notamment sur les peuplements de feuillus et cela indifféremment de leur âge, de leur taille, de leur qualité. Des arbres centenaires sont déchiquetés pour répondre au besoin du marché, les souches et les rémanents servent à alimenter les chaudières de cogénération (fabrication d’électricité et chaufferie).
Le bilan carbone de toutes les opérations nécessaires à la confection de cette « énergie renouvelable » pose question… Les promoteurs de ce lobby garantissent une gestion durable de nos forêts ! Ils ont créé des labels pour se donner bonne conscience et nous la transmettre, PEFC, FSC… En fait, elle n’a rien de durable cette gestion ! Couper un arbre de 100 ans et le remplacer par un plant de 2 ans serait de la gestion durable ? Nous en sommes en droit de nous interroger…
Ces forêts sont ensuite remplacées par des peuplements monospécifiques de conifères à grand renfort de machinisme et d’intrants.
À l’instar de l’agriculture, la sylviculture actuelle fabrique des déserts, avec les mêmes travers : épandage de désherbant, destruction des sols, installation de monoculture. La vie disparaît… Le désert avance…
Perspectives
Le réchauffement climatique ouvre de nouvelles zones dans lesquelles le carbone était stocké (le pergélisol en Russie, dernièrement). Cette nouvelle libération de CO2 inquiète les spécialistes du climat.
Nous avons pourtant deux alliés dans cette lutte contre ces changements globaux. En transformant le dioxyde de carbone en oxygène, les arbres et les océans rendent notre planète habitable.
Ils sont nos premières usines de recyclage ! Pourtant, les océans sont devenus des déchetteries internationales et la forêt, même la moins accessible, est rasée pour contenter une frange de la population mondiale. La vie sur terre a besoin de puits de carbone. Nous savons les identifier, les protéger, les créer.
Des études récentes démontrent une intelligence de l’arbre. Impensable il y a quelques années : l’arbre respire, absorbe et rejette de l’eau, partage des informations, entretien des connexions (grâce au système racinaire et mycorhizien) avec ses congénères. Il réagit au rythme des marées.
Il est en phase avec les cycles lunaires… Il nous surplombe.En Californie, un Séquoia à feuilles d’if (Sequoia sempervirens), mesure plus de 115 m. Il est intemporel.
Au Nevada, un Pin de Bristlecone (Pinus longaeva) est âgé de plus de 5000 ans.
Au Japon, une étude a montré, en plaçant des électrodes sur des arbres, qu’ils étaient capables de détecter les secousses sismiques avant les sismographes !
L’arbre est un être vivant aux multiples facettes. L’homme a toujours côtoyé les arbres. Qui dans sa journée ne va pas croiser, toucher, sentir ce végétal ? Nous sommes devenus des consommateurs effrénés. Le capital de la planète bleue est bien entamé.
La population urbaine souffre d’un syndrome de « manque de nature ». L’arbre nous soigne.
La forêt diversifiée éveille nos sens, et nous invite à nous connecter avec le vivant.
Trouver le juste milieu entre la forêt de production, la forêt de protection et la forêt salvatrice est l’enjeu majeur de ces prochaines décennies. La déforestation mondiale ne répond qu’a un seul besoin : le nôtre !
Revenons à des pratiques respectueuses du monde du vivant. C’est pour nous qu’il travaille.
Refuser les énergies de transition, refuser les agrocarburants.
Se poser des questions sur notre frénésie consommatrice, remettre en question la notion de « gestion durable », redéfinir nos priorités sont des pistes pour nous aider à lutter contre ce phénomène de pillage et de destruction du monde du vivant.