Ett år i Finnmark, norske Lappland
På vei til Sautso canyon, july 2017
Gargia Fjellstue, le 02.07.2016, 11h15
Passé le village de Gargia à 25 kms au sud d’Alta, la voiture s’engage sur un chemin de terre et de cailloux. Nous sommes ballotés sur 5 kilomètres, au rythme des creux et des bosses rencontrés par le véhicule. À l’intérieur, Peter conduit. Il est croate. Nevena est serbe. Franziska vient d’Allemagne. Quant à Diana, elle est originaire de Slovaquie mais habitait en Autriche avant de s’installer à Alta. Dans l’habitacle règne un joyeux mélange linguistique. Chacun parle anglais avec son accent, ce qui amène parfois à de drôles de quiproquos.
Un peu plus loin, quatre autres véhicules plus ou moins alignés sur une plaque rocheuse nous indiquent que nous ne sommes pas les seuls randonneurs. Nous nous garons et sortons de la voiture. Rien ne relève la présence d’un sentier balisé. L’endroit n’est pas très accueillant. Un panneau avec une carte montre d’une étoile rouge le lieu où nous nous trouvons. À côté, un crucifix en en bois au sommet d’un tas de cailloux montre le début d’un chemin. Pas très rassurant. Un vaste plateau vallonné à la végétation rase s’étale devant nous. Le ciel bleu de notre départ d’Alta a laissé place à un couvert nuageux incertain. J’enfile mon K-way. Je regrette presque de ne pas avoir pris mon pantalon de pluie. Un vent froid souffle. Nous sommes à 420 mètres d’altitude. Le but de cette randonnée est d’aller jusqu’au panorama aménagé au-dessus du canyon Sautso creusé par la rivière d’Alta lors du mouvement des plaques tectoniques1. D’après la carte, la durée est d’environ 3 heures aller-retour, soit une dizaine de kilomètres.
Nous commençons à marcher. Le chemin n’est pas balisé mais le passage répété des marcheurs a empêché la végétation de repousser et a dessiné un sentier bien distinct. Le paysage est relativement plat. À l’horizon, deux collines nous barrent la route. Les nuages sont bas dans le ciel et le soleil peine à percer. Le sentier s’efface devant des tourbières spongieuses qu’il faut contourner ou essayer de franchir. Je repère un endroit qui semble sec mais mon pied s’enfonce dans le coussin de lichens et de mousses d’où sort un jus brunâtre. Raté ! Derrière moi, les cris de surprise et rires de Nevena et Franziska m’indiquent qu’elles n’ont pas fait mieux. Nous achevons la traversée de la zone marécageuse en sautant de pierre en pierre.
Une fois un sentier sec retrouvé, nous nous arrêtons pour faire une pause, le temps de changer de chaussette, de boire et d’engloutir une barre de céréale. Nous repartons. Le vent est toujours présent mais marcher nous réchauffe.
Au fur et à mesure que nous avançons, la piste se rétrécit jusqu’à s’effacer devant une rivière. De l’autre côté, plus de chemin mais une multitude de petites voies tracées par le passage répété de randonneur ou d’animaux.
Sur le plateau de Grønnåsen, entre Gargia Fjellstue et le canyon Sautso, 12h27
La seconde rivière que nous rencontrons est plus impressionnante. Elle coule à même la roche. Le courant est plus soutenu. Les pierres qui émergent de la surface de l’eau sont trop distantes les unes des autres pour nous permettre de traverser à pied sec. Nous décidons de retirer nos chaussures. Peter repère un endroit peu profond pour traverser. Il passe en premier. Je remonte mon jean à hauteur du genou. L’eau glacée et transparente rafraîchit nos jambes échauffées par la marche. Je sens le courant froid passé avec force le long de mes mollets. Chaussures à la main, j’essaie de ne pas perdre l’équilibre.
Nouvelle pause au bord de la rivière, sur les roches plates et inclinées de la berge. Les chaos rocheux, les rivières aux eaux limpides et l’absence de présence humaine lui donnent des allures fantastiques. Je n’ai aucun mal à imaginer des créatures fantastiques dévaler les pentes des collines ou apparaître soudainement de derrière un rocher. De l’autre côté de la rive, un randonneur et son chien cherchent un passage pour traverser. Autour de la berge, des bouleaux maigres et rabougris témoignent de la force du vent et des conditions climatiques difficiles. Les saules arctiques, bouleaux nains et genévriers rampants couvrent le sol lorsque la roche est absente. Plus en amont, d’épais blocs de neige coincés entre les rochers subsistent encore alors que nous sommes à la fin du mois de juin. Le soleil n’a pas tout à fait réussi à faire fondre toute la masse blanche. Aujourd’hui, il fait une quinzaine de degrés. La température dépasse rarement les 15-20 degrés en été. Cependant, les épisodes de canicule sont de plus en plus présents et perturbent considérablement la faune et la flore inadaptés aux fortes chaleurs.
Lorsque nous reprenons la marche, nous apercevons le canyon se dessiner au loin. Un tapis moelleux d’arbustes miniatures nous sépare d’une forêt de bouleaux rabougris. Le bord de la falaise semble très proche et pourtant, j’ai l’impression de ne pas réussir à m’en approcher. Les notions de distance et d’échelle sont trompeuses dans ces vastes paysages qui offrent peu de repères.
Nous pénétrons dans la petite forêt de bouleaux. Le vent diminue et le calme se fait entendre. Nous marchons sur le flanc de la montagne dont la pente abrupte rend la marche peu agréable. D’un côté, la forêt de bouleaux descend à pique vers le canyon et il est trop risqué de s’approcher du bord. De l’autre, le sommet du plateau. Soudain, une nuée de moustiques arrive de nulle part. Leurs bourdonnements nous sifflent aux oreilles. Ils sont si nombreux qu’ils forment un petit nuage au-dessus de nos chacune de nos têtes. Le bruit qu’ils produisent est impressionnant. Je sens des piqûres au niveau de mes bras et à travers mon jean. Nous avons beau agiter les bras ou vouloir en écraser, ils sont bien trop nombreux. J’en écrase quelques-uns avec le plat de ma main mais c’est peine perdue. Ils nous assaillent de toute part et se posent sur nos vêtements, sur nos sacs à dos. Nous gesticulons du mieux possible, mais rien ne semble les dissuader. Je sors un spray répulsif de mon sac à dos. Je m’en asperge allégrement les bras et les jambes avant de le passer aux autres tout en marchant.
Au milieu des bouleaux, un lavvo2 rafistolé avec une bâche nous fait oublier les moustiques l’espace d’un instant. Il a l’air abandonné. Peter appelle et demande s’il y a quelqu’un. Aucune réponse. Nous nous empressons de poursuivre notre route sans oser nous en approcher. La présence des moustiques finit par nous désorganiser totalement. Nous sommes comme fous. Sans nous en rendre compte, nous accélérons considérablement le pas afin de fuir l’assaut des moustiques. Rapidement, je perds Peter de vue. Diana est à plusieurs mètres devant moi. Je me retourne pour voir où en sont Franziska et Nevena. Loin derrière. Je leur demande si ça va, mais n’obtiens pas de réponse. Il m’est impossible de rester sur place pour les attendre. Les assauts des moustiques semblent moindres lorsque je suis en mouvement. Malgré l’insecticide, les piqûres continuent sur les épaules. J’agite en rythme un T-shirt que je ne porte pas pour tenter de les éloigner. Je rejoins Diana en courant, espérant semer mes assaillants. Leur vrombissement siffle toujours à mes oreilles. Le sac à dos et le T-shirt de Diana en sont couverts. Leurs pates graciles et courbées soutiennent leurs corps noirs couverts de quelques poils. Au printemps, la fonte des neiges forme de petites mares dans la topographie chaotique du plateau. Ces flaques sont réchauffées par les rayons du soleil. Elles deviennent de parfaites couveuses pour les larves de moustiques. Le sol spongieux conserve l’eau plusieurs semaines permettant le développement des insectes et la survie de la végétation rase.
J’ai finalement une idée :
– Il faut quitter la forêt, dis-je à Diana. Ils ne nous suivront pas sur le plateau à cause du vent.
Diana acquiesce et crie à Peter que nous rejoignons le plateau. Je passe le message aux filles derrière nous. Pas de réponse. J’en informe Diana qui n’a pas l’air de s’en inquiéter. Le problème urgent à résoudre est de se débarrasser de cette nuée de moustiques, après nous pourrons réfléchir.
Nous gravissons le coteau. La végétation basse est plus fournie que sur le plateau. Mon sac s’accroche aux branches tortueuses. Nous esquivons quelques ruisseaux à peine visibles dans le couvert végétal. Mes pieds s’enfoncent dans la tourbe.
Comme par magie, les moustiques disparaissent lorsque nous émergeons de la forêt. Enfin. Les bourrasques se font à nouveau ressentir. Nous retrouvons Peter. Il ne pensait pas trouver autant de moustiques par ici. En Sibérie, l’infestation des forêts par les moustiques est telle que les bucherons travaillent avec des moustiquaires afin de se protéger des insectes.
Nous appelons Franziska et Nevena qui finissent par émerger du bois. Elles nous rejoignent et poursuivons ensemble notre ascension.
En direction du plateau de Grønnåsen, 13h49
Pendant ce temps, les nuages se sont accumulés dans le ciel. Au loin, une traînée grise descend vers la terre, toujours plus sombre. Nous devinons la pluie. À peine ai-je le temps de le dire aux autres, que plusieurs gouttes rafraîchissent déjà nos bras. Une fois de plus, nous avons le réflexe de courir. C’est inutile puisqu’il n’y a pas d’abri. La pluie se met à tomber avec force. Je laisse les autres me distancer le temps de laisser passer l’orage. Accroupie, je range mon sac à dos et mes genoux sous mon K-way. Je m’appuie contre une pierre et attends. L’eau ruisselle entre les pierres. Je m’écarte pour laisser se former les rigoles qui descendent du plateau. Des éclairs blancs traversent le ciel. Je compte les secondes entre l’apparition de l’éclair et le coup de tonnerre. 10 secondes. L’orage est à approximativement trois kilomètres. L’eau ruissèle sur moi. La position est inconfortable.
La pluie cesse. Je rejoinds le groupe au sommet du plateau. La plupart d’entre nous sont trempés intégralement. Au minimum, les pieds et le bas du pantalon. L’orage a échauffé les esprits. Nous marchons depuis plus de deux heures et aucun panorama en vue. Nevena et Franziska sont en désaccord avec Peter quant à la direction à suivre. Peter insiste, montrant la carte et le point bleu qui indique notre position sur son téléphone. Je les laisse discuter. Je n’ai aucune idée de là où nous nous trouvons. Finalement, les deux filles refusent de suivre Peter. Elles veulent continuer sur le plateau tandis que Peter veut longer le bord du canyon jusqu’au panorama. Je commence à en avoir assez. Je suis forcée de choisir un camp. Au hasard, je décide de suivre Diana et Peter. Nevena et Franziska partent de leur côté. Je trouve tout cela idiot car l’une des règles en randonnée est de rester ensemble du début à la fin, surtout que nous sommes venus à une seule voiture. Heureusement, c’est la période de l’été polaire3, la nuit ne risque pas de nous surprendre et le paysage presque dépourvu d’arbres permet de nous repérer de loin. L’absence de réseau téléphonique ne nous permet pas d’utiliser nos mobiles.
Nous nous enfonçons à nouveau au milieu des bouleaux. L’enfer des moustiques recommence. Je m’asperge une nouvelle fois d’anti moustique avant de passer le spray à Diana. Peter est déjà plusieurs mètres devant, persuadé d’être dans la bonne direction. Je suis fatiguée et prête moins attention à l’armée d’insecte qui nous escorte à travers le bois. J’espère trouver le panorama rapidement, faire mes photos et repartir.
Sur notre gauche, le canyon se dessine à travers les troncs gris et filiformes des bouleaux. Je m’approche du bord tout en restant à une distance raisonnable du gouffre. La forêt et son couvert moelleux tombent à pic dans le vide. Nous sommes à environ 400 mètres au-dessus de la rivière d’Alta. La profondeur du paysage est saisissante.
Forêt de bouleaux, au bord du canyon Sautso, 14h54
Toujours pas de panorama en vue. Nous finissons par convaincre Peter de rebrousser chemin et de rejoindre les filles sur le plateau. Nous sommes fatiguées. Nous n’avons plus d’eau ni de nourriture. La randonnée n’était pas censée durer si longtemps. Cela ne sert à rien de s’acharner. Le chemin jusqu’à la voiture nécessitera encore deux bonnes heures de marche. À deux contre un, Peter accepte à contrecœur.
Une fois sur le plateau, nous apercevons le manteau rouge de Nevena. Elles aussi ont fait demi-tour. Franziska nous fait des grands signes avec les bras. Je lui réponds en agitant les miens. Elles n’ont pas trouvé le point de vue et ont aussi décidé de faire demi-tour.
Gargia Fjellstue, le 02.07.2016, 17h16
Nous regagnons enfin la voiture. Pour une randonnée qui devait durer seulement trois heures, nous avons mis le double et n’avons jamais trouvé le panorama. Avec du recul, cette randonnée cumule toutes les choses à éviter. Partir sans suffisamment d’eau ou de nourriture, sans pantalon de pluie et se séparer au milieu de la randonnée. Dans ces paysages grandioses et isolés, la nature vous réserve toujours des surprises. La météo peut changer complètement en un clin d’œil.
1« Morceaux » dont est composée la croute terrestre et qui parfois s’entrechoquent, provocant, par exemple, des séismes ou la formation de montagnes.
2 Tente traditionnelle utilisée par les Samis, peuple nomade vivant de l’élevage des rennes en Laponie. Le lavvo ressemble aux tipis amérindiens, à la différence qu’il est plus large à la base afin de faciliter son ancrage au sol et de résister aux vents violents des plateaux.
3 Période de l’année où le soleil ne se couche pas (de la mi-mai à début août pour les latitudes au niveau d’Alta)