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« Peut-on comparer la liberté de vivre hors du village, et la liberté de continuer à parler romanche ?
– Justement, c’est vraiment un problème pour moi.
Si je parle romanche, on va facilement me dire, « tu es un extrémiste ». Et je n’aime pas ça. C’est pourquoi je préfère m’éloigner un peu, tu as raison. Je l’ai souvent pensé mais jamais mis en mots. Je n’aime pas être traité d’extrémiste.
– Est-ce que toi aussi, quand tu parles romanche, même un autre idiome, tu te sens chez toi ?
– Oui plus ou moins. Car c’est tellement exclusif dans le monde. On se sent à la maison, en famille, quand on entend parler romanche. Pour moi c’est peut-être uniquement avec le romanche d’ici. Si j’entends du « surlivan » c’est plus éloigné.
– Quand tu dis « le romanche d’ici », c’est celui de Samedan, ou de toute l’Engadine ?
– Justement, c’est la question. Cela a changé au cours de ma vie.
Au début, c’était seulement avec le romanche de Pontresina. Et celui de Pontresina est très différent de celui de Samedan.
– À quelle distance est Pontresina de Samedan ?
– Cinq kilomètres. »
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« Quand je parle romanche tout le monde sait d’où je viens.
Ma langue est comme un costume. Elle me donne une identité qui est très claire aux yeux des autres, mais que moi-même je n’arrive pas à définir.
La langue semble fragmentée par les montagnes. Chaque romanche est comme un ruisseau qui épouse les vallées. Il change tellement qu’on ne se comprend pas d’une région à l’autre.
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« Si on dit, « le mieux serait que tous les hommes parlent anglais, et qu’il n’y ait plus d’autre langue », ce serait vraiment un appauvrissement. On deviendrait plus pauvres car il y aurait moins de moyens de s’exprimer. Et beaucoup de sentiment ou de manières de voir les choses disparaitraient, et ça serait une perte pour toujours.
Le romanche pour moi c’est cette langue qui est dans ces recoins, qui me plaisent. Sur la roche, dans les forêts, ou au-dessus des forêts, dans les arbustes de myrtilles. Spécialement dans la roche. Dans ces lieux qui me plaisent, où je me sens le plus chez moi. Je m’y sens plus chez moi que dans une ville, c’est très en lien avec la nature.
Mais c’est une projection, ce n’est pas le romanche en tant que tel. J’utilise le romanche pour parler et pour communiquer et non pas aller sur la roche ou dans la forêt. »
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Resuns, 2014
un film documentaire de Céline Carridroit & Aline Suter
HD – couleur – 52min. – VO romanche – SST français / anglais / italien / allemand
une production – EARTHLING PRODUCTIONS
En coproduction avec RTS • RTR • SRF • RSI
Pour en savoir plus sur le film http://www.earthling-prod.net/Resuns.html