Ett år i Finnmark, norske Lappland, På tur rundt Storvannet, april 2017
28.04.2017, 16 h 45
C’est vendredi, je suis à l’agence et je termine de dessiner le terrain d’un site de projet sur ArchiCAD, un logiciel de modélisation 3D. Les fichiers sont trop lourds et l’ordinateur a déjà planté plusieurs fois dans l’après-midi. Je suis un peu agacée. Autour de moi, le bureau s’est déjà bien vidé. La patronne est rentrée chez elle. Ma collègue Diana est en Slovaquie pour une semaine de vacances. Manon, la stagiaire, a également vidé les lieux. Seule Lillian n’est pas encore partie et termine le design de la façade d’un bâtiment en bois. Quant aux architectes avec qui nous partageons les locaux, aucun d’eux ne s’est manifesté pour aller prendre un verre après le travail. Les clics lents et rythmés de la souris évoquent la fermeture d’un ordinateur. Plus loin dernière moi, quelqu’un range ses affaires. Chiffonnement des esquisses de la semaine qui n’ont pas abouti. Claquement des feutres dans le porte-crayon. Bruit caractéristique de la chaise à roulettes qui s’éloigne du bureau accompagné de celui de la fermeture éclair d’un sac à dos.
– Ha det Kerstin ! God helg1 !
– God helg !
C’est Franziska qui s’en va. Je sais qu’elle va faire un crochet par Lillian et moi avant de quitter la pièce. J’entends les pas mous de ses baskets sur le sol plastifié de l’agence. Elle s’arrête à l’angle de mon bureau :
– Hei !
Je décolle le nez de mon écran et lui rends son salut, sans grand entrain. Nous échangeons un sourire. Un vendredi soir ordinaire à Alta, en Laponie. Le paradoxe, c’est d’être dans ces paysages extraordinaires de documentaire TV et de rêver, certains weekends, d’être dans une grande ville. Elle s’adresse à moi en anglais :
– Do you have any plans for the weekend2 ?
Justement, je lui réponds que non.
– I plan to go hiking around a lake tomorrow. Would you like to join3?
Nous concluons un rendez-vous chez elle le lendemain matin. Je propose d’emmener Manon. Franziska acquiesce.
– Vi sees i morgen4 !
– Vi sees5 !
29.04.2017, 8 h 20
Un T-shirt, une paire de collants en laine, un sous-pull, un pull, et un pantalon de ski. Une seconde paire de chaussettes dans le sac à dos, toujours, au cas où. Une bouteille d’eau. Une thermos de thé. Une banane. Un paquet de cookies. Une part de quiche dans un Tupperware®. Il vaut mieux prendre un peu trop que pas assez. Et bien sûr, l’appareil photo.
Trépied à l’épaule, je claque la porte et fais quelques pas dans la neige. Mes yeux sont aveuglés par la blancheur de la poudreuse. Les lunettes de soleil. Je fais demi-tour, ne prends pas la peine de retirer les Caterpillar® et me précipite dans ma chambre. Des morceaux de neige tombent et commencent à fondre sur le carrelage. J’attrape mes lunettes et sors à nouveau.
Le soleil brille. C’est une belle journée d’hiver. Nous sommes fin avril. Mais sous ces latitudes, il n’y a que deux saisons, un long hiver et un court été. La température extérieure avoisine les zéro degré. Je remonte Brønnveien puis bifurque à droite, sur la petite sente qui descend vers le centre-ville. Je marche avec prudence sachant que la pellicule de neige fraîche cache en réalité, une épaisse couche de glace lissée par l’alternance gel-dégel. Le plus pratique est de marcher en bordure du sentier, là où la végétation pousse en été. À cette période de l’année, un trajet qui dure habituellement 5 minutes, peut facilement s’allonger de 15 minutes selon le degré de prudence que l’on s’autorise.
Arrivée au niveau de l’E6, la route principale qui traverse Alta, le sol est dégagé et recouvert de gravillons. Régulièrement raclé par la déneigeuse, l’asphalte de la route est à nouveau visible. Les bords de la voie sont très endommagés. Des morceaux de bitume sont déchaussés et se mélangent à la neige grisâtre ponctuée de graviers qui ont été écartés de la chaussée.
J’avance dans Åsveien jusqu’à la maison de Franziska. Elle habite le rez-de-chaussée d’une habitation qu’elle partage avec le propriétaire. Je descends la pente raide qui mène à l’entrée et sonne. Franziska ouvre la porte. Elle est en train de lacer ses chaussures de randonnée.
– Is Manon already here ?6 demandais-je.
– No, you’re the first.7
Pour pouvoir partir, il faut maintenant déneiger et dégivrer la voiture. À l’aide de la brosse d’un vieux balai, Franziska retire l’épaisse couche de neige qui recouvre le véhicule. Un vieux 4×4 réapparaît.
– I didn’t use it this week so it’s quite a lot of snow accumulated8 !m’explique-t-elle.
Il faut maintenant gratter les vitres. Par chance, le propriétaire de la maison a déjà déneigé le sentier en pente qui mène à la route. Je n’ai qu’à pelleter la neige qui entrave le véhicule. Franziska démarre la voiture. Le pot d’échappement crache une fumée grise. Je m’écarte pour ne pas respirer les gaz. Manon nous rejoint, cachée derrière ses lunettes de soleil.
La voiture est enfin prête. Nous jetons les sacs à dos et la peau de renne dans le coffre. Je guide Franziska pour faire la manœuvre puis monte dans le véhicule. Il fait aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le 4×4, dont le moteur est encore froid, se fraye difficilement un chemin dans la montée. Nous voilà parties.
Le lac n’est pas loin d’Alta, une vingtaine de minutes en voiture. Nous serpentons autour des maisons de bois. Le véhicule s’insère sur l’E6. Le paysage commence à reprendre quelques couleurs. Les froides journées successives de soleil et de ciel bleu commencent à avoir raison de la neige. Les arbres sont à nouveau visibles. La roche affleurante émerge de sa couverture blanche. Des emballages plastiques et autres déchets dissimulés refont également surface. Les tas de neige accumulés ces derniers mois s’affaissent peu à peu. Par endroit, la végétation rase réapparaît jaunâtre et grise. Après quelques ronds-points, le véhicule dépasse le quartier de Bossekop et le musée d’Alta. Nous longeons le fjord qui se trouve en contrebas de la route. Il fait beau et la vue est incroyable. La base des montagnes laisse poindre un dégradé de brun. L’eau est d’un bleu marine éclatant. Nous passons une succession de tunnels creusés à même la roche. Au lieu de descendre vers Kvenvik, nous bifurquons vers la gauche en direction du lac. Une piste couverte de neige et de glace se dessine. Après plusieurs minutes, nous débouchons sur un groupe de bâtisses de bois rouge. Nous voilà au point de départ de la randonnée. Franziska se gare à côté de quatre autres véhicules, probablement d’autres marcheurs.
Nous commençons notre excursion. Des pins encadrent le sentier en pente. J’ai rapidement trop chaud, mais je décide d’attendre un peu avant de retirer mes couches de vêtements. Finalement, je craque et demande l’arrêt du convoi. Manon et Franziska en font de même, également surprises par la chaleur. Nous sommes étrangement trop couvertes et les rayons du soleil sur la neige sont trop forts. Nous débouchons sur le lac. Gelé et recouvert de neige, nous embrassons cette plaine blanche d’un seul regard. Des coteaux rocheux encadrent le lac. L’étendue d’eau à proprement parler est invisible. On devine les berges par l’implantation des pins qui longent la rive.
Je plisse les yeux derrière mes lunettes de soleil. Et dire que j’ai failli les oublier. La réflexion des rayons du soleil sur la surface plate et blanche du lac est surprenante. Nous continuons de retirer nos couches de vêtements. Malgré la neige et la glace, il fait paradoxalement vraiment très chaud.
L’itinéraire de la randonnée se dessine de lui-même. Nous allons longer les rives du lac pour suivre les traces des motoneiges et des skieurs de fond. Le paysage est uniforme. Après quelques heures, nous décidons de nous arrêter pour déjeuner. Nous sommes arrivées à l’extrémité sud du lac. Sur la rive légèrement surélevée se dessinent des bouleaux rabougris aux branches nues. La neige a ici disparu et rendu visible la couche moelleuse d’arbrisseaux rampants qui recouvre le sol. Franziska déplie la peau de renne et la dispose sur la poudreuse. Nous nous asseyons dessus.
Deux attelages de chiens de traineaux se détachent de l’horizon. Excitées, nous nous levons pour les voir arriver. Depuis ce matin, nous n’avons croisé personne. Je sors l’appareil photo et me prépare à prendre quelques clichés. L’une des mushers, emmitouflée dans sa doudoune nous fait signe. Nous lui rendons son salut.
Une fois le repas terminé, nous repartons. La peau de renne est secouée, roulée et rattachée au sac à dos. La longue période hivernale augmente la surface de sol. La glace qui a recouvert la surface du lac permet de le traverser et de profiter d’une surface supplémentaire pour les friluftsliv9. Pourtant, le réchauffement climatique perturbe et il faut être prudent lorsque les températures se réchauffent. La glace pourrait céder plus facilement par endroit. Il arrive parfois qu’un traineau ou un scooter des neiges accroche la surface de l’eau à la fin de l’hiver, lorsque l’épaisseur de glace est devenue trop fine.
Plus loin, une famille s’est installée pour pêcher. Deux trous ont été sciés dans la glace et des petites cannes à pêche plantées dans la neige attendent le poisson. Sur la berge, le père de famille allume un feu. La mère est installée sur un tapis de sol, un livre à la main. Elle relève la tête en nous apercevant. Deux petites filles glissent sur leurs skis. Elles doivent avoir entre 5 et 10 ans. J’envie leur aisance sur la neige.
Les heures s’allongent et le paysage varie peu. Après une pause, Franziska déplie une carte. Nous longeons, à présent, ce qui doit être en été, une zone humide attenante au lac. Le paysage est moins vaste et notre regard est stoppé par un coteau couvert des pins. Nous avançons en file indienne. Au fur et à mesure de la journée, la qualité de la neige et de la glace a changé sous la force des rayons du soleil. La fine couche de glace lisse située à la surface de la neige est devenue friable. À chaque pas, la glace résiste un instant, nous donnant une illusion de stabilité. Puis, lors du transfert du poids du corps sur l’autre pied, la fine pellicule cède et nous nous enfonçons soudainement, parfois jusqu’à mi-mollet. Nous essayons de marcher avec précaution sur la surface. C’est une surprise à chaque pas. Ces irrégularités rendent la marche fatigante. J’essaie de marcher dans les traces de Franziska, ce qui m’évite ainsi la secousse provoquée par le craquement de la glace. Derrière, Manon fait de même. Notre étrange convoi progresse lentement sous le soleil. Par endroit, la neige a suffisamment fondu pour laisser apparaitre l’eau et des joncs séchés et jaunis de l’été passé. Par prudence, nous décidons de nous rapprocher de la berge, au cas où l’épaisseur de glace serait trop fine pour supporter notre poids.
Nous passons une petite colline et débouchons sur un autre bras du lac. L’ombre des pins est rafraichissante. À l’horizon, je distingue une silhouette. Je plisse les yeux pour mieux voir. Un homme est assis près d’une tente. Il pêche, probablement. Il est déjà 17 h et Franziska nous propose de prendre un raccourci. Nous ne nous attendions pas à progresser si lentement à cause de la qualité de la neige. Mes pieds sont trempés. La neige a fini par s’infiltrer dans mes chaussures. Je change de paire de chaussettes tandis que Franziska consulte la carte avec Manon. Une petite araignée noire qui court sur la neige attire notre attention. Nous la regardons filer, perplexes de trouver de la vie sur cette surface inhospitalière.
Nous quittons le coteau ombragé pour suivre à nouveau la berge du lac. Notre point de départ doit se trouver derrière la colline que nous longeons à présent. De ce côté, la neige a fondu un peu plus et s’est transformée en glace pilée. À chaque pas, nous nous enfonçons jusqu’à la cheville. J’ai l’impression de marcher dans la glace que le poissonnier dispose pour vendre ces poissons, à la différence que celle-ci est grisâtre. Une fois la colline contournée, un soulagement nous envahit à la vue des bâtiments de bois rouges qui entourent le parking. C’est l’effusion de joie malgré le chemin qui nous reste à parcourir. J’ai bien trop chaud et mes pieds sont à nouveau trempés. Je me retourne et constate que les filles sont loin derrière. Tant pis. Je souhaite arriver dès que possible au parking. Le soleil va bientôt tomber derrière les montagnes. Je passe à côté d’une autre famille en sortie pour la journée. Je recompose un sourire sur mon visage fatigué et échangeons un Hei10 ! de politesse.
1« Au revoir Kerstin ! Bon weekend ! » en norvégien.
2« Est-ce que tu as quelque chose de prévu ce weekend ? » en anglais.
3 « J’ai prévu d’aller marcher autour d’un lac demain. Est-ce que tu voudrais venir ? » en anglais.
4 « On se voit demain ! » en norvégien.
5 « À plus tard ! » en norvégien.
6 « Est-ce que Manon est déjà là ? » en anglais.
7 « Non, tu es la première. » en anglais.
8 « Je ne l’ai pas utilisé cette semaine alors il y a beaucoup de neige qui s’est accumulé ! » en anglais.
9 Terme norvégien qui désigne les activités physiques en plein air (par exemple, la randonnée, le ski, le chien de traîneau, etc.). Illustre le rapport particulier qu’ont les norvégiens avec la nature et leur environnement.
10 « Salut ! » en norvégien.