Ceci dit, partant de constatations scientifiques récentes et de l’importance grandissante, voire incontournable, des données environnementales en pratique forestière quotidienne, il est loisible de rappeler ou suggérer ici quelques moyens, pour favoriser de manière globale l’accueil, et donc le rôle, de cette avifaune bienvenue, tous moyens qui par ailleurs jouent grandement sur les paysages forestiers ;
S’intéresser à l’oiseau n’est pas considérer un élément mineur de l’écosystème, déconnecté de la sylviculture ; c’est au contraire, à partir de la chaîne trophique en forêt, comprendre le mécanisme interne de l’équilibre biologique et tenter de s’en servir, comme auxiliaire et comme allié, j’allais dire, « gratuit »…
Le pic noir, par exemple, peut consommer en une journée près de 1000 scolytes, amis notoires des forestiers… certains auteurs, comme L. Russias (1) citent le nombre de 90 000 scolytes consommés sur une période estivale de 2 mois, période d’élevage des jeunes. S’il est entendu que nous n’arrêterons pas une attaque massive de ces charmantes bestioles avec un ou deux pics (eu égard à leur très grand territoire, plusieurs centaines d’hectares), qui donc pourrait négliger un tel appui ? De même, la petite et si gracieuse mésange bleue, pour un poids considérable de 11 g environ, ingère journellement 8 g d’insectes… alors que la mésange charbonnière détruit près de 25 000 goûteuses chenilles pour rassasier ses jeunes (2).
Parmi les techniques ou recommandations sylvicoles à prendre en faveur de l’avifaune, les suivantes sont aisées à mettre en œuvre :
– La conservation d’arbres à cavités ou morts, à terre et sur pied, le traitement des lisières, intérieures ou extérieures, en structures étagées laissant passer les vents forts tout en les ralentissant, assure également un rôle nourricier par tous les insectes accueillis, ainsi que celui de lieu de nidification et de reproduction. Citons par exemple le massif de Moulière en Vienne qui fait l’objet d’aménagement de lisières favorables à l’Egoulevent d’Europe, et indirectement à la Fauvette à tête noire… Lisières ondulées et non pas droites, semi-perméables et non opaques.
– Le maintien, la création, ou encore le développement, d’une diversité maximale de strates : chacune d’entre elles étant le support de niches écologiques variées et précises, recherchées par telle ou telle espèce : le merle et le Pouillot siffleur s’intéressent à la strate herbacée, le premier pour se nourrir, le deuxième pour nicher ; les gobemouches fréquentent surtout la strate arborescente, alors que les mésanges aiment tout autant la strate arbustive… la Sittelle torchepot anime troncs et vielles branches, le Pipit des arbres le feuillage alors que le troglodyte apprécie mousses et lichens des bas étages… Cette hétérogénéité spatiale est essentielle.
Autrement dit : le sous-étage est bon pour l’humus, très bon pour le gainage de nos essences de production excellent pour limiter l’appétit des ongulés, parfait pour nourrir, dissimuler, loger les oiseaux (chacun appréciera les contraintes, par ailleurs évidentes, liées à la lutte contre l’incendie ou l’efficience de la régénération).
Les stades de régénération de la futaie régulière sont particulièrement favorables aux fauvettes, hypolaïs, bruants… le taillis simple, pratiquement non stratifié, n’est guère accueillant pour la gente ailée, sauf pour la construction d’aires de rapaces, comme l’épervier… ou pour la Bécasse des bois, qui fréquente les taillis d’une quinzaine d’années. De même, le perchis en futaie régulière n’est guère favorable : mais il s’agit en fait de considérer la biodiversité avienne non pas à l’échelle de la parcelle, mais bien du massif : c’est l’alternance de milieux ouverts, fermés, semi-fermés, leur rotation en quelque sorte, qui permet un accueil optimum des oiseaux (3).
Le taillis avec réserves constitue, quant à lui, l’habitat privilégié du Pic mar (4) et de très nombreux passereaux.
En montagne, la futaie jardinée, riche en sous-bois à base de noisetiers, ronces, cornouillers, sorbiers, est une expression sylvicole particulièrement favorable aux galliformes (Gélinotte des bois, le Grand tétras) mais aussi au Casse-noix moucheté, à la Chouette de Tengmalm, toutes espèces qui sont considérées comme en régression, voire en danger.
– L’installation d’îlots de vieillissement, où l’on peut aller jusqu’à doubler l’âge moyen d’exploitation, dans une proportion qui doit rester acceptable pour l’économie de nos massifs ; il faut rappeler qu’ils doivent être de suffisante dimension (pas inférieure à l’hectare, idéalement de 5 hectares) : Pics cendrés, mar, gobe-mouches, en tirent grand parti… la conservation de « sur-réserves », arbres individuels maintenus le plus longtemps possible, est une autre solution intéressante. (cas de la forêt domaniale du Romesberg, en Lorraine). Dans le Jura, les îlots préconisés pour la conservation de la Chouette de Tengmalm sont de 1 à 3 ha, à raison d’un îlot par 100 ha… (Joveniaux, 1999).
L’allongement des âges d’exploitation, l’adoption d’une sylviculture proche de la nature de type Pro Silva (5) sont également favorables à l’avifaune ; mais les réponses forestières doivent être variées, diversifiées, non exclusives.
– Gérer et ne surtout pas éliminer ronces, friches, lierres : ce sont d’excellents abris pour la faune, des gîtes d’espèces prédatrices de parasites nombreux, des supports de nidification et des garde-manger à ciel ouvert : les pigeons colombins ou ramiers le savent bien, ainsi que la grive mauvis ou la musicienne, en leurs pérégrinations migratrices… Rappelons que le pigeon colombin, strictement forestier, a vu ces dernières années ses effectifs nicheurs chuter de moins 20 à moins 50 %.
– Dans toute la mesure du possible, programmer les travaux sylvicoles pour éviter les périodes de reproduction, de nidification, de mise bas, de la gent animale ; les oiseaux sont particulièrement vulnérables lors des dégagements de semis, des gyrobroyages, voire de la coupe des arbres. Les mois d’Avril à Juillet sont particulièrement sensibles….
– Conserver des vides, (clairières, trouées, landes) dont la nature, disait-on, avait horreur et dont le forestier, sans nul doute, n’apprécie guère le symbole : pourquoi diable s’intéresser à des espaces sans arbres ? Ce sont pourtant des milieux fort nourriciers, des zones de chasse, des réfectoires pour nos alliés de plumes…
– Traiter les talus et bords de chemins, de la plus douce façon possible : préférer les traitements mécaniques aux produits chimiques, jamais innocents en forêt comme ailleurs, et en respectant certaines périodes : la fin de l’été et le début d’automne sont favorables à cette éco-gestion.
– Favoriser, réintroduire, étendre, le mélange des essences, aussi bien dans l’étage dominant que dans l’étage dominé. À tous égards : paysager (et pourquoi pas ?) ; biologique (résistance aux aléas climatiques et biologiques, meilleure résilience), voire économique : bien malin qui prédira le cours des essences dans 50 ans… en attendant les oiseaux en sont les bénéficiaires immédiats : les forêts feuillues ou mixtes sont souvent bien plus riches en espèces d’oiseaux et nombre d’individus par espèces que les peuplements monospécifiques résineux ; avec des exceptions : une châtaigneraie, une hêtraie pure ne sont guère hospitalières, notamment dans leur jeune âge. D’autre part, la couleur des feuillus en automne compose d’admirables tableaux…
– Éviter d’exploiter dans un certain périmètre, autour des aires de grands rapaces ou de cigogne noire, pour ne citer que certaines de nos espèces forestières prestigieuses… c’est au gestionnaire, au propriétaire d’en décider, selon ses propres contraintes et obligations ; il est déjà si difficile de vivre de sa forêt… pour autant, la réflexion n’est certes pas inutile…
– Conserver, respecter les milieux naturels associés aux forêts : certains ont déjà été cités, rajoutons les zones humides comme les mares, tourbières, ruisseaux, voire même les fossés : accueillant odonates et amphibiens mais encore abreuvant au fil des saisons les oiseaux, qui ont par ailleurs besoin de « salles de bains ».
Dans sylviculture, il y a culture, dans les deux sens principaux du terme… l’approche environnementale, l’évolution des pratiques dans le sens d’une meilleure compréhension des mécanismes du vivant, voici l’avenir. Les oiseaux sont des bio-indicateurs de l’état du milieu ; sachons bien nous servir d’eux pour mieux servir notre métier.
Si la pose de nichoirs artificiels est une possibilité parfois avancée pour pallier au manque de sites de nidification, elle ne doit être que transitoire et exceptionnelle. Ce sont les traitements forestiers qui doivent apporter la réponse aux problèmes éventuels.
Les mesures forestières subventionnables, attendues sur les sites Natura 2000, vont dans le sens de cet article : création ou rétablissement de landes et clairières, de mares forestières, travaux d’irrégularisation de peuplements, favorisation des bois sénescents…
(1) Laurent Russias, in Oiseaux et forêts, 1985
(2) Blondel, in Biogéograhie, approche écologique, 1995
(3) travaux de Avery et Leslie, ornithologues de la RSPB
(4) Michel Cuisin, in Les oiseaux d’Europe,
(5) Pro Silva : association de propriétaires forestiers promouvant la futaie irrégulière, soit une sylviculture sans coupes rases
– Atlas et nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France, Société ornithologique de France
— La forêt naturelle, A.Persuy, 2008, Belin/Eveil nature
— Le forestier et l’oiseau, ONF/LPO ; 1997
— Oiseaux menacés et à surveiller en France, SOF et LPO, 1999
— Nos forêts en danger, AC Rameau, Atlande, 2017A la découverte de la France sauvage, A.Persuy, le sang de la Terre, 2013