En permaculture, est mise en avant la notion de « lisière » : une lisière est une interface entre deux milieux, par exemple entre la terre et la mer, entre une rivière et la prairie. Ces milieux sont écologiquement extrêmement riches : ils bénéficient des espèces végétales et animales d’un biotope, marin par exemple, mais également des espèces du milieu terrestre, avec en supplément, des espèces qui lui sont inféodées. Ainsi, dans la nature, les récifs de la lisière corail-océan et les mangroves (interface terre-eau) sont parmi les écosystèmes les plus productifs du monde.
Ces lisières, que le design permaculturel va faire en sorte de multiplier, sont autant de transitions paysagères d’un écosystème à un autre. Et une fois que l’on observe les choses ainsi, il est permis de voir sur le terrain un nombre important de transitions.
Ces transitions-lisières peuvent être perçues comme des limites, et donc être jugées comme handicapantes, ou, si l’on chausse d’autres « lunettes », être perçues comme un déploiement de richesses, source de rencontres et de dialogue entre deux espaces.
Bill Mollison, un des deux pères fondateurs de la permaculture observe : « Dans les sociétés traditionnelles, l’homme ne s’installait de manière durable que sur ces jonctions entre deux économies naturelles : ici à la rencontre du bas de la colline avec la forêt et la plaine, ailleurs à la limite entre plaine et marais, terre et estuaire ou sur toute autre combinaison géographique. Ces territoires de lisière sont beaux et intéressants. Ils sont la base même de l’art de la conception paysagère. Et sans conteste, la multiplication de ces lisières est une composante essentielle de paysages productifs. »1
Le trait de côte du littoral, dont on suit le dessin sur une carte de géographie, prend toute son épaisseur sur le terrain : ce sont la lande dans l’ouest de la France, la garrigue méditerranéenne, les dunes, ou encore le maquis. Cette transition maritime s’orchestre sur une épaisseur plus ou moins importante selon la topographie, les vents et la nature du sol. Parfois, la terre rencontre la mer, à la faveur d’un estuaire ou d’une baie et deux écosystèmes se côtoient.
Une autre transition se trouve à la lisière d’un bois, celle-ci forme une bordure entre forêt et prairie. On y repère des espèces végétales qui ne pourraient pas se déployer au cœur de l’obscurité du boisement, et qui peuvent prendre à son orée leurs aises au soleil, tout en bénéficiant de la tempérance de la futaie.
La transition paysagère peut aussi se lire à diverses échelles, macro ou microscopiques.
Si l’on prend un peu de hauteur, une transition se joue tout autour du globe terrestre, avec l’atmosphère.
En nous approchant davantage, comme nous l’avons déjà vu, une transition importante se joue entre continent et océan (voir à ce sujet le texte de Suzon Jammes pour plus de détails), ou encore entre cours d’eau et terre (les ripisylves sont un exemple continental de forêt alluviale).
Il me semble nécessaire de mettre aussi en avant les transitions que nous autres humains mettons en œuvre, de manière assez sauvage finalement, entre ville et campagne, avec toutes ces zones industrielles ou d’activités qui servent d’entrée de ville et standardisent le paysage français. Ces ensembles font malheureusement bien transition entre la densité du bâti urbain et la campagne, en jalonnant la périphérie des cités de « boîtes à chaussure » baignées dans des flaques de parkings bitumés. Ces « zones » contiennent un bâti, mais massif et laid, planté au milieu d’espaces ouverts… aux voitures. La campagne française étant, dans la plupart des cas, elle aussi un espace ouvert aux vents, où arbres, boisements ou autres haies se font rares, tandis qu’ils constituaient jadis de bien belles transitions…
Et si nous zoomons davantage, on peut découvrir d’autres transitions qui se jouent par exemple sur le bombé d’un rocher, avec une végétation qui se protège sur son flanc, ou encore au pied d’une clôture, là où ni tondeuse, ni ruminant ne passent.
« Il est commun que la lisière agisse comme un filet ou un tamis : les énergies et les matériaux s’y accumulent. Par exemple, lors de grands vents, la terre et les débris s’amoncellent au pied d’un grillage ; à la plage, les coquillages roulent jusqu’à former une ligne qui délimite la hauteur de la marée ; en ville, les feuilles s’accumulent dans les caniveaux. »1 Bill Mollison
Ces transitions et bordurent se jouent aussi entre les hommes : lorsque deux cultures se rapprochent, ou encore lorsque des personnes issues de « milieux » différents s’associent…
Ces lieux et espaces transitoires sont à développer, au lieu de les percevoir comme des limites, voyons les comme autant de chances à saisir pour un avenir plus riant et fécond.
1 : in Bill Mollison, Introduction à la permaculture, Éditions Passerelle Éco