Tous les deux, nous voulons mieux connaître les arbres, leur biologie, leur culture. Nous sommes comblés car nous allons passer plus de trois ans dans la collection de ligneux la plus importante en Europe, à l’époque. Cet attrait pour la dendrologie nous rapproche et nous formons, quelques mois après la rentrée, le premier couple de l’école (en 1974 ce n’est que la troisième promotion où les filles sont admises).
Bien sûr, dès l’année 1975, nous commençons à faire des semis de graines d’arbres et d’arbustes, des récoltes de jeunes plants et côtoyons les chercheurs du CEMAGREF dont l’un des Centres de Recherche Forestière est installé sur le Domaine des Barres.
Le Directeur de l’Ecole (Daniel Aubertin) remarque assez vite ces deux élèves, un peu atypiques, qui sont fascinés par la diversité végétale des lieux : le domaine couvre quasi 200 ha dont 30 véritablement gérés en Arboretum de collection. Ainsi, en fin de deuxième année (nous sommes en 1976), nous devons trouver un sujet de stage à caractère scientifique et(ou) technique.
Le Directeur nous propose alors de refaire le catalogue de l’Arboretum (le dernier date des années 50) en commençant par les conifères. C’est la première fois à l’Ecole qu’un mémoire de troisième année sera fait simultanément par deux personnes.Le sujet nous emballe tellement que nous ne prenons qu’une semaine de vacances début juillet, pour démarrer le plus tôt possible cette étude approfondie des conifères de l’Arboretum des Barres. Nous avons sur place, à la bibliothèque de l’Ecole et dans les archives de l’Arboretum, toute la bibliographie mondiale de l’époque sur le sujet. De plus nous prenons rapidement contact avec l’Université de Toulouse où le professeur Gaussen (le pape des révisions des genres de gymnospermes au 20ème siècle*), malgré son grand âge, est toujours présent dans les locaux du Laboratoire Forestier où Mademoiselle De Ferre a pris sa succession.
Nous décidons d’attaquer par les Pinacées, famille de conifères la plus représentée dans le monde et dans l’Arboretum. Nous commençons par les ABIES et décidons de mettre au point un système nous permettant d’être exhaustifs dans l’examen et la description de tous les principaux organes de chaque espèce (feuilles, rameaux, bourgeons, fleurs, fruits, écorce, etc.).
Nous localisons aussi précisément tous les arbres inventoriés. Et nous prenons d’innombrables photos pour illustrer le catalogue et pour les archives de l’Arboretum.
Le genre PINUS est ensuite étudié : 45 espèces et variétés sont présentes sur le Domaine des Barres. Bien sûr, nous récoltons des cônes pour contrôler l’appartenance de chaque arbre à une espèce précise et parallèlement nous intensifions nos semis d’espèces en tout genre. Évidemment, comme tout le monde, nous nous apercevons que ces ‘bébés arbres’ deviennent vite encombrants. Mais, coup de chance, les parents de Geneviève viennent d’acheter 1 ha de terrain pour revenir habiter à la campagne. Ainsi, nos premières plantations en Deux-Sèvres (79) datent de l’hiver 75-76. Cependant, l’année 1976 avec sa météo très sèche, sera bien compliquée. Mais nous ne nous décourageons pas et continuons les plantations jusqu’à fin 1977, date à laquelle nous nous envolons pour un an et demi en Guyane pour exercer notre métier d’Ingénieur des Eaux et Forêts.
Mais revenons au catalogue des conifères : ce sont les pins qui nous fascinent le plus et compte tenu de notre surface potentiellement plantable, l’idée d’une collection de pins commence à germer dans nos têtes.
Durant l’été 77 nous rencontrons, dans l’Arboretum des Barres, Monsieur et Madame de La Rochefoucauld (Arboretum des Grandes Bruyères dans le Loiret) qui nous font connaître quelques mois plus tard les membres d’une toute jeune association, celle des Parcs Botaniques de France (APBF).
Ainsi quand nous revenons de Guyane en 1979, nous avons :
– de bonnes connaissances dendrologiques sur les conifères et en particulier sur les pins,
– des connaissances techniques liées à notre formation d’Ingénieur des Eaux et Forêts,
– une surface pour planter.
Et nous connaissons déjà plusieurs membres de cette petite communauté des «fous des arbres» avec qui nous allons pouvoir échanger. De plus, la fête des plantes de Courson vient de démarrer. Toutes les conditions sont donc réunies pour que nous ébauchions un début de collection. Les conifères sont privilégiés mais aussi des arbustes, des arbres fruitiers, etc.
L’hectare initial est vite rempli et en 1989 nous acquérons 1 ha et demi de plus. Mais c’est un terrain difficile, humide et peu fertile. Toutefois comme toujours, les difficultés ont des vertus pédagogiques et nous mettons au point des techniques améliorant la circulation de l’eau sans assécher le sol en profondeur pour l’été. Et puis tout s’accélère puisque en 1991 nous passons à 14 ha et un peu plus tard à 15. Là, les choses deviennent sérieuses et le parc ainsi créé prend le nom d’Arboretum de la Croix Verte (nom du carrefour le plus proche).
La collection de pins
Le genre Pinus, comme beaucoup d’autres genres d’arbres, présente une grande diversité d’habitats, d’adaptation climatique et de morphologie :
– en termes d’habitats, du front de mer aux limites supérieures extrêmes de la végétation d’altitude (à la limite des neiges éternelles), et des stations quasi marécageuses aux conditions les plus arides. Si l’on prend l’exemple du pin Sylvestre, on constate qu’il peut survivre dans les conditions les plus arides alors qu’il est également présent dans les marécages de Sologne ;
– en termes de climat, du boréal au tropical et équatorial mais quasi exclusivement dans l’Hémisphère nord. Toujours à propos du pin sylvestre, on va pouvoir le trouver dans des conditions peu lumineuses et plutôt tempérées comme par exemple en Écosse, ou au contraire dans des conditions très lumineuses et très froides, comme en Mongolie ;
– en termes de morphologie, des ports rampants voire prostrés, aux ports les plus altiers, soit de 50 cm à plus de 50 m de hauteur.
En bref, la variabilité est considérable.
Le genre Pinus est ancien, très ancien. Il dérive des premiers arbres, ce caractère est particulièrement marqué sur le plan architectural, souvent très symétrique et étagé, mais il a su résister assez vaillamment à l’arrivée en force des feuillus.
Il faut savoir que les aiguilles des pins, qui sont d’ailleurs groupées, selon les espèces, par deux ou trois ou quatre ou cinq, ne sont que la troisième expression des feuilles de pins ; on les appelle d’ailleurs des pseudophylles situées au sommet d’un minuscule rameau nommé lui brachyblaste ,comme illustré ci-dessous :
Au niveau du feuillage et de la physiologie générale cela se traduit par des évolutions adaptatives assez significatives à l’intérieur de la même espèce. Ce constat peut être fait pour un grand nombre d’espèces, bien que certaines soient géographiquement très limitées.
Ce bref tour d’horizon nous permet de comprendre qu’il y a une large matière à découvrir avec une multiplicité de caractères particuliers, très intéressants à observer. C’est plutôt cet aspect des pins qui a motivé Alain pour lancer cette collection et c’est plutôt l’aspect esthétique qui émerveille Geneviève : la grande diversité de couleurs et de formes au niveau de l’architecture, du feuillage, des écorces, des cônes. Et la gourmandise aussi, même s’il faut aimer le gout résiné des graines.
On peut également être charmé par les fleurs mâles et surtout les femelles. Les jeunes cônelets sont très colorés, du vert au rouge, au bleu, au violet, et peuvent prendre plusieurs années pour faire un cône mature. Ces derniers peuvent atteindre des tailles incroyables : plus de 50 cm de long pour le Pinus lambertiana Dougl. ou plusieurs kilos pour le Pinus coulteri D. Don.
Sur le plan olfactif, car il y en a un, qui n’a pas été charmé par la douce odeur de la litière du pin, notamment lors des chaleurs d’été ou par le moelleux si particulier aux pieds lorsque l’on se promène sur ce matelas d’aiguilles sous l’ombrage léger de ces arbres. Quand on a vécu son enfance au bord de la mer, comme c’est le cas d’Alain, on associe aux pinèdes, la joyeuse ambiance des vacances d’été. Et depuis, que d’images encore d’arbres magnifiques, l’une des plus récentes étant celle d’un très gros pin parasol sur l’île de Porquerolles.
Notre objectif pour la collection est d’atteindre une centaine d’espèces et sous-espèces et quelques variétés. Nous y sommes presque et sous notre climat océanique, c’est certainement atteignable. Ainsi quel plaisir de passer du pin des hautes montagnes d’Europe (Pinus cembra L.) à un pin des bords de mer de l’Ouest américain (Pinus radiata D.Don), du pin rouge d’Écosse (Pinus silvestris L. var rubra) au pin blanc du Mexique (Pinus ayacahuite Ehrenb.), d’un pin de chez nous (Pinus pinea L.) à un pin japonais (Pinus densiflora Sieb. et Zucc.), d’un pin à croissance plus que lente comme le pin aristé (Pinus aristata Engelm.) – qui passe les millénaires comme nous les décennies – à celui, plus que rapide, comme l’hybride entre le pin de Monterey (Pinus radiata D.Don) et le Pinus attenuata Lemm.
Toutefois nous n’avons pas une obsession du nombre : on essaie, on en perd, on réessaie. Nous en trouvons toujours de nouveaux et avons quelques vedettes vraiment particulières. Au premier plan (les deux compères sont d’ailleurs tout près l’un de l’autre dans le parc), on adore le pin apache (Pinus engelmannii Carrière) et le pin rude du Mexique (Pinus rudis Endl. en photo ci-dessous) qui rivalisent de beauté et d’originalité : un port tout en boule, une architecture de branches extravagantes, un feuillage exubérant et une taille (au sens volumétrique) tout à fait gérable avec tout à hauteur des yeux. En termes d’élégance totale, la palme revient à deux mexicains : Pinus pseudostrobus Lindl. pour Alain et à Pinus patula Schlechtend et Cham. pour Geneviève. On pourrait ainsi continuer à faire le tour du parc, on les aime tous, même le pin noir d’Autriche si souvent critiqué.
Le maître mot : il faut leur laisser de la place et leur donner beaucoup de soleil et, le plus souvent, éviter l’excès d’eau.
Enfin, il faut surtout les planter très jeunes, sinon on se retrouve avec de gros problèmes de stabilité : leur système racinaire ne supporte pas les déformations.
Quant à leur défaut annoncé d’acidification des sols : c’est le grand débat. Débat majoritairement infondé. En effet, en sol calcaire, l’apport de la litière de pins est plutôt bénéfique. En sol neutre ou peu acide, si acidification il y a, l’échelle est séculaire et elle est parfaitement réversible. En fait, il n’y a que sur les sols franchement acides qu’il peut y avoir au bout de quelques décennies une tendance à un excès d’acidité. Cela dépend de ce que l’on veut faire du sol en question, puisqu’il y a beaucoup de plantes qui aiment ces conditions. Là encore, c’est facilement réversible à l’échelle d’un jardin. En ce qui concerne les forêts, c’est un autre problème. D’ailleurs, le pin a maintenant beaucoup moins la cote en foresterie, eu égard aux problèmes d’incendie et de chenilles processionnaires. Les forestiers pratiquent actuellement des rotations, des mélanges. La monoculture de pins est de l’histoire quasi ancienne, sauf dans les Landes de Gascogne.
Les chenilles sont aussi pour nous un ennui, car elles causent des dégâts et nécessitent une surveillance permanente pour éviter les inflations de population avec son cortège de désagréments à la fois sur les pins et sur les humains. Il y a diverses méthodes de lutte, la plus simple étant l’échenilloir dans la première voire la seconde décennie du développement du pin. Avec une collection de notre ampleur cela devient quand même gênant, surtout lorsque nos sujets prennent de l’âge et de la hauteur. D’autres maladies, notamment fongiques commencent à faire quelques dégâts et nous craignons l’évolution climatique.
En conclusion, vous avez compris que nous aimons les pins et que l’on trouve particulièrement injuste de les mésestimer ou de leur trouver des défauts qu’ils n’ont pas. Notre collection de pins mérite le détour sur le plan esthétique de chaque individu et sur le plan paysager global qu’offre maintenant une population aussi diversifiée. C’est un voyage surprenant à travers la diversité botanique planétaire pour qui y regarde de près et dont, nous, nous ne nous lassons pas.
* la Faculté des Sciences de Toulouse a publié en 50 ans (fin des années 20 à fin des années 70) plus de 20 ouvrages comprenant d’une part une quinzaine de fascicules (de 100 à plus de 300 pages chacun) nommés ‘les gymnospermes actuelles et fossiles’ et d’autre part des publications de révision de genre.