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Le paysage vu par l’écologue

Le paysage est une notion fortement polysémique et utilisée dans de nombreux domaines. Le géographe ou le sociologue s’intéresse à la perception et aux émotions que suscite l’appréhension d’un paysage par ses usagers. Le paysagiste se focalise sur les ambiances générées par un paysage et cherche à articuler les usages des différents espaces. L’écologue, lui, s’attache à évaluer comment l’hétérogénéité du paysage influence les processus écologiques.

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En milieu agricole, cette hétérogénéité est perceptible à plusieurs échelles. A l’échelle de la parcelle, elle se manifeste à travers la variété de pratiques utilisées par les agriculteurs comme le choix d’une culture, l’intensité du travail du sol ou la fréquence des passages de pesticide. A l’échelle de l’exploitation, l’hétérogénéité se retrouve dans la répartition spatiale des différentes cultures autour du siège d’exploitation (assolement). Un éleveur laitier peut par exemple faire le choix de garder ses vaches sur des prairies autour de la ferme pour un accès rapide à la salle de traite. En revanche, il fera des cultures qui nécessiteront moins d’interventions sur des parcelles plus éloignées du siège d’exploitation. Enfin, l’hétérogénéité peut être appréhendée à l’échelle d’un territoire. A cette échelle, les différents objectifs de production (grandes cultures, lait, viande, …) des exploitants induisent des usages des sols différents (parcelles cultivées, prairies, haies, …), créant une mosaïque d’occupations des sols.

Structure du paysage et biodiversité

L’écologue se réfère souvent au concept de structure du paysage (Figure 1). Le terme structure comprend d’une part la notion de composition. La composition représente la diversité des différentes occupations du sol du paysage et influence fortement la répartition des espèces. Un paysage agricole très ouvert composé de grandes cultures sera par exemple favorable aux populations d’alouette des champs. Cette espèce d’oiseau nichant sur le sol apprécie les paysages ouverts de façon à facilement appréhender les prédateurs. En revanche, la grive musicienne, une espèce nichant dans les arbres, sera plutôt présente dans les massifs forestiers. D’autres espèces ont besoin de plusieurs habitats et d’un paysage hétérogène pour trouver toutes leurs ressources (nourriture, refuge, site de reproduction, etc). Le bruant jaune est ainsi une espèce nichant dans les haies qui pourra trouver des graines pour se nourrir dans les plantes cultivées et les adventices des cultures et des insectes dans les prairies (Figure 2). De nombreuses études ont mis en avant l’importance des éléments semi naturels (bois, haies, prairies permanentes) dans le paysage. Ces éléments pérennes et peu fréquemment perturbés servent de refuge pour de multiples espèces. De nombreux auxiliaires qui se nourrissent des ravageurs présents dans les cultures au printemps et en été passent l’hiver dans des éléments semi-naturels telles les lisières forestières ou les strates basses des haies.

Figure 1 – Structure et dynamique du paysage. Ce paysage se caractérise par sa composition (surface totale en cultures, surface bâtie, surface boisée, linéaire de haie) et sa configuration (par exemple les haies ne sont pas toutes connectées entre elles, les parcelles cultivées ont des tailles et des formes différentes). Les composantes de ce paysage ont des dynamiques différentes, avec des changements rapides dans les cultures par rapport aux éléments plus pérennes comme les bois et les haies. Tous ces éléments paysagers vont influencer la présence, les déplacements et la pérennité des populations d'espèces végétales et animales en fonction de leurs caractéristiques biologiques et écologiques.
Figure 1 – Structure et dynamique du paysage. Ce paysage se caractérise par sa composition (surface totale en cultures, surface bâtie, surface boisée, linéaire de haie) et sa configuration (par exemple les haies ne sont pas toutes connectées entre elles, les parcelles cultivées ont des tailles et des formes différentes). Les composantes de ce paysage ont des dynamiques différentes, avec des changements rapides dans les cultures par rapport aux éléments plus pérennes comme les bois et les haies. Tous ces éléments paysagers vont influencer la présence, les déplacements et la pérennité des populations d’espèces végétales et animales en fonction de leurs caractéristiques biologiques et écologiques. Photo : « Bocage boulonnais » par Matthieu Debailleul — http://aascalys.free.fr. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons
Figure 2 – Mécanisme de complémentation. Pour effectuer sa nidification et trouver ses ressources alimentaires, le bruant jaune doit disposer de plusieurs habitats.
Figure 2 – Mécanisme de complémentation. Pour effectuer sa nidification et trouver ses ressources alimentaires, le bruant jaune doit disposer de plusieurs habitats.

La configuration est l’autre composante de la structure des paysages et représente l’agencement spatial des différentes occupations du sol (Figure 3). Par exemple, une même surface de bois peut être agencée différemment dans le paysage, avec des taches de bois de surfaces et de formes variées et plus ou moins isolées. Cette notion de configuration est en lien étroit avec des questions appliquées d’aménagement. Par exemple : pour favoriser la biodiversité forestière, vaut-il mieux mettre en place de nombreux petits bosquets répartis dans le paysage ou quelques gros massifs boisés ? Plusieurs bosquets permettent une meilleure répartition des espèces forestières dans tout le paysage, ce qui facilite les déplacements des espèces entre ces habitats. De gros massifs forestiers permettent en revanche d’abriter des espèces spécialistes nécessitant de grandes étendues de forêt pour perdurer. Cependant, ces gros massifs risquent d’être trop isolés pour permettre les déplacements des espèces entre massifs. Une alternative peut être d’opter pour une solution intermédiaire en aménageant des massifs assez grands pour abriter des espèces spécialistes et de connecter spatialement ces massifs par plusieurs petits bosquets que les espèces pourront emprunter pour se déplacer. Les réponses à ce type de question dépendent souvent du contexte paysager, des espèces d’intérêt et de leurs capacités de déplacement.

Figure 3 – Configuration. Ces deux paysages virtuels ont des compositions identiques mais des configurations différentes.
Figure 3 – Configuration. Ces deux paysages virtuels ont des compositions identiques mais des configurations différentes.

Une caractéristique importante des paysages est la connectivité, c’est à dire les continuités physiques et la proximité entre des habitats de même nature. Le degré de connectivité entre les habitats va faciliter ou non les déplacements des espèces dans les paysages. Ces déplacements peuvent se faire quotidiennement et à courte distance (exemple d’un papillon qui se déplace de fleurs en fleurs pour s’alimenter en nectar dans une prairie) ou alors sur des périodes saisonnières et des distances plus longues (exemple d’un amphibien qui se déplace entre un habitat forestier pour passer l’hiver et un habitat humide pour se reproduire). Les multiples connectivités paysagères vont influencer de manière différente les espèces en fonction de leurs comportements et de leurs régimes alimentaires. Le déplacement d’un insecte marcheur forestier (par exemple un carabe) va être favorisé par la présence d’un linéaire de haies continu entre massifs forestiers. En revanche, ces haies peuvent représenter des barrières au déplacement d’un papillon associé aux espaces ouverts prairiaux. Les effets des actions visant à modifier un paysage pour accroître la biodiversité seront donc différents en fonction des espèces considérées, ce qui implique de faire des choix sur les espèces que l’on souhaite promouvoir. La connectivité du paysage influence également de manière très différente les espèces en fonction de leur capacité de déplacement. Le territoire d’un insecte marcheur n’est pas le même que celui d’un cervidé : la connectivité du paysage à mettre en place pour favoriser les déplacements de ces deux espèces ne se raisonnera donc pas aux mêmes échelles.

Dynamique du paysage et réponse des espèces

Dans les paragraphes précédents étaient présentées des caractéristiques spatiales du paysage. Sa dynamique temporelle est également très importante pour la biodiversité (Figure 1). Cette notion de temps peut être appréhendée au cours d’une année avec la croissance saisonnière des cultures et les pratiques culturales successives des agriculteurs (travail du sol, semis, passages de pesticides, récoltes, …). Le temps peut également se penser à moyen terme sur quelques années, avec les rotations culturales (succession de plusieurs cultures sur une même parcelle) ou encore avec les pratiques de gestion des éléments plus pérennes du paysage comme la taille d’une haie ou la coupe d’un bois. A plus long terme, sur quelques dizaines d’années, le paysage peut également évoluer suite à des changements d’objectifs de production. L’intensification agricole et le remembrement ont par exemple engendré sur les terres les plus fertiles une augmentation de la part des terres cultivées aux dépens des éléments plus naturels comme les prairies ou les haies.

Ces différents changements ont des conséquences importantes sur les processus écologiques. Les continuités écologiques présentées plus haut sont notamment très variables dans le temps. Un insecte marcheur qui se déplace de manière préférentielle dans les habitats couverts de végétation sera influencé par la variabilité des hauteurs des cultures au cours de l’année. Au printemps, ses déplacements pourront être facilités dans les parcelles de blé tendre bien développé à cette saison, mais seront limités dans les parcelles de maïs qui viendront juste d’être semées. En revanche, en fin d’été les déplacements ne seront plus possibles dans les champs de blés qui auront été moissonnés, mais seront favorisés dans les maïs qui se seront développés.

Suite à un changement dans le paysage, les espèces répondent de plusieurs façons. Dans le cas de la disparition d’habitats favorables, les espèces peuvent se déplacer et aller coloniser d’autres habitats favorables dans d’autres paysages. Elles peuvent également s’éteindre s’il est trop difficile pour elles de se déplacer ou si les nouveaux habitats à coloniser sont trop loin. Enfin, elles peuvent rester dans les paysages en s’adaptant aux nouveaux habitats créés. Encore une fois, ces réponses seront très dépendantes des espèces considérées. Un oiseau forestier aura beaucoup plus de facilité à coloniser de nouveaux massifs forestiers qu’un insecte forestier à la mobilité plus réduite. D’autre part, les réponses des espèces sont rarement synchronisées avec les modifications paysagères mais se manifestent souvent quelques temps après ces changements. Par exemple, une espèce de plante forestière ne s’éteindra pas de manière brutale suite à la fragmentation d’une forêt. Les capacités de reproduction de la plante (par exemple la production de graine) diminueront progressivement entraînant une diminution du nombre d’individus, de la taille des populations puis une extinction de l’espèce dans ce massif forestier. On parle de dette d’extinction pour expliquer le fait que suite à des changements d’habitat, l’extinction d’une espèce ne s’observe pas immédiatement mais plus tard. Au contraire, dans le cas d’une restauration écologique, comme par exemple des plantations de haies dans un grand openfield, la colonisation de ces nouveaux habitats par des espèces provenant de paysages environnants peut s’effectuer sur le temps long. Dans ce cas, on parlera de crédit de colonisation.

La structure du paysage et sa dynamique influencent donc de manière importante la répartition et les déplacements des organismes dans les territoires. Face aux enjeux de conservation de la biodiversité et de maintien des services écologiques, les différents éléments présentés sont à considérer dans les aménagements et les actions de gestion des paysages. Dans nos paysages très anthropisés, il est également nécessaire de prendre en compte le fonctionnement des activités humaines. Les approches écologiques présentées dans cet article sont donc à coupler à des approches sociales et économiques, en vue d’aménager des paysages multifonctionnels et durables.

 

Note / Bibliographie :

Burel, F., & Baudry, J. (1999). Ecologie du paysage. Concepts, méthodes et applications. Editions Tec & Doc
Fahrig, L. (2003). Effects of habitat fragmentation on biodiversity. Annual review of ecology, evolution, and systematics, 487-515.
Turner, M. G., Gardner, R. H., & O’neill, R. V. (2001). Landscape ecology in theory and practice: pattern and process. Springer Science & Business Media.

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Pour référencer cet article :

Sébastien Bonthoux, Le paysage vu par l’écologue, Openfield numéro 6, Février 2016