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La ville biodiversitaire !

Le développement durable est un projet de société et un défi de qualité en voulant mettre au même niveau les développements économique, environnemental et social. On en est encore loin tant l’économie prédomine largement toute décision et planification. Pourtant un réel virage s’est amorcé notamment en tentant de développer la qualité sanitaire de l’environnement urbain et la présence d’une nature dans la ville.

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C’est la notion de biodiversité (définie par la variété en écosystèmes, en espèces et en gènes et par leurs interrelations) qui est au cœur de la problématique « nature en ville ». On peut définir cette biodiversité par rapport à des préoccupations de conservation de patrimoine, ou d’évolution mais en ville, où elle a été peu présente jusqu’à il y a peu de temps, c’est plutôt en tant que support de services qu’elle peut être désirée et contribuer à la durabilité du système. Suite au rapport du Millenium Ecosystem Assessment (Ecosystems and Human Well-being: synthesis. Island Press, Washington, DC., 2005), il a été reconnu que le bien-être de nos sociétés est directement dépendant du fonctionnement naturel. La biodiversité est source de services écosystémiques (on dit aussi écologiques) pour l’Homme : des services d’approvisionnement (fourniture de nourriture, matériaux, etc.), de régulation (purification de l’air, régulation des pollutions, etc.) et culturels (esthétique, éducation, etc.). Conserver une diversité en espèce est un gage de stabilité du fonctionnement des écosystèmes et donc des services rendus.

L’apparition d’une biodiversité urbaine est intimement liée à la dynamique de la ville. En effet tout a changé en un peu plus d’un siècle : les jardins publics présentent progressivement plus d’espaces naturels, maintenant gérés avec peu de pesticide ; les citadins appellent aujourd’hui de leurs vœux une nature de proximité et souhaitent arbres et animaux dans leur environnement quotidien ; certains animaux sauvages s’adaptent à ce milieu contraignant ; etc. Les recherches internationales soulignent que malgré une homogénéisation des faunes et des flores (mêmes espèces dans toutes les villes), des gestions plus écologiques des espaces entrainent l’installation de nombreuses espèces depuis les habitats naturels proches de la ville. Une nature locale peut donc s’installer en ville.

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Exemple de promenade plantée et gérée écologiquement à Bruxelles, ©P.Clergeau

Même si la nature en ville ne sera jamais celle de la campagne ou des zones plus « naturelles », plus on se rapproche d’un fonctionnement écologique, plus le milieu sera résistant aux agressions et aux contraintes de l’environnement. Nous supportons l’idée que des espaces verts plus naturels demandent aussi moins de gestion sur le terme, et donc moins de main-d’œuvre et de coût. Par exemple, c’est bien en ayant de nombreuses espèces dans les sols que ces derniers peuvent retrouver leur dynamique et leur stratification, et limiter la gestion des espèces envahissantes et les arrosages nombreux….

Nos travaux montrent cependant que la grande majorité des espèces qui s’installent sont des espèces mobiles et généralistes qui sont capables de s’affranchir des très nombreuses barrières entravant le déplacement des individus, comme les bâtiments. Pour tendre vers une biodiversité plus fonctionnelle (reconstitution des chaines alimentaires par ex.), il faut permettre à un maximum d’espèces de circuler dans les territoires. Un maillage vert (trame verte et bleue définie par le Grenelle de l’Environnement comme composée de réservoirs de biodiversité et de corridors les joignant) permettrait de maintenir une biodiversité ordinaire jusqu’au cœur de la ville. Un tel maillage, qui pourrait donc assurer une continuité entre campagne et ville, permettrait la présence d’une nature de proximité tant réclamée par les citadins et possiblement un changement d’appréciation de la ville elle-même. Un maillage de végétation offre beaucoup plus de zones de contact pour les habitants que quelques parcs dispersés.

SCHEMA
Schéma théorique d’une trame verte urbaine appuyée sur une ripisylve et un quartier de jardins à gestion écologique et reliant des sources d’espèces (noyaux primaires et secondaires) entre elles. Les corridors peuvent être des liaisons vertes présentant plusieurs strates (arbres, arbustes, herbes) le long de boulevards, bords d’infrastructures ferrées ou routières, etc. Une moitié de ville est représentée en gris, le périurbain rural ou naturel en blanc. ©P.Clergeau

En ville, les corridors sont peu nombreux. On pense bien sûr aux continuités possibles le long des routes ou des fleuves et canaux, mais les jardins privés peuvent aussi jouer un rôle dans les déplacements de certaines espèces. Cela est d’autant plus possible que la gestion des jardins privés évolue aussi. Ils sont passés du jardin-potager puis au jardin-détente (avec pelouse et saule pleureur) puis enfin certains deviennent jardin-nature. Ces derniers avec leur coin sauvage et leur gestion écologique deviennent de vrais relais de biodiversité. Il y a un enjeu énorme à motiver les jardiniers dans ce sens. Nous montrons que les jardins d’entreprise généralement localisés en périphérie de l’urbanisation pourraient aussi participer activement à ce maillage et aux relations écologiques ville-campagne. Dans toutes les villes, les espaces végétalisés privés sont très largement dominants par rapport aux espaces publics. L’instauration d’une nature dans la ville ne se fera qu’en cohérence avec une politique de communication à l’égard des citadins.

Dans la ville très dense, nous sommes aussi en train d’analyser les types de végétalisation des bâtiments à objectif de biodiversité. Ainsi toitures et murs avec des végétaux adéquats peuvent intégrer les différents objectifs d’esthétique, de gestion des eaux et de biodiversité. Nous montrons qu’un peu plus de substrat et qu’une palette plus importante de végétaux, intégrant des espèces locales augmentent significativement la présence d’espèces animales, insectes ou oiseaux.

L’expansion géographique régulière de la ville repose de plus en plus la responsabilité de ces acteurs dans la conservation de la biodiversité. Tout comme on a imposé à l’agriculture une série de contraintes environnementales, il faudra inclure dans les projets d’urbanisme des règles de protection de la nature. C’est déjà le cas dans de nombreuses chartes de l’environnement construites par les municipalités elles-mêmes. Mais il faudrait aller plus loin en intégrant le fonctionnement de cette biodiversité à toutes les échelles. Il faut dépasser la simple approche naturaliste et intégrer dans les projets urbains une dimension écologique fonctionnelle. La biodiversité ne doit pas être seulement un accessoire indispensable à l’urbanisme, comme l’éclairage public par exemple, mais un véritable élément de planification au même titre que la mobilité ! Les propositions concrètes que nous pouvons faire impliquent aussi bien les acteurs eux-mêmes (relations interservices, formation à l’écologie…) que les stratégies à développer (gestion adaptative du territoire, regroupement des communes…).

 

Note / Bibliographie :

Philippe Clergeau, Manifeste pour une ville biodiversitaire, éditions Apogée, 2015.

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Pour référencer cet article :

Philippe Clergeau, La ville biodiversitaire !, Openfield numéro 6, Février 2016