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Léna Soffer

Léna Soffer est paysagiste et cherche dans le cadre de la Villa Le Nôtre à définir un nouveau moyen de planter Paris. En partant du sol, elle souhaite mettre en pratique des principes de plantation de cœur d’îlots.
Guillaume Portero s’entretient avec elle, à travers ce numéro d’Openfield sur l’écologie.

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Guillaume Portero : pouvez-vous restituer le contexte de vos travaux à la Villa Le Nôtre?

Léna Soffer : À mon arrivée à Paris il y a déjà vingt ans j’étais en tant qu’architecte sensible à l’espace de la cour et l’îlot. Ces espaces qui ont traversé l’histoire de la formation des villes depuis de temps anciens. Un espace entre privé et public très souvent délaissé, mais qui peut devenir merveilleux dès qu’il est investi.

Suite à mes études de Paysage à l’ENSP de Versailles et le travail dans de grands projet urbains, je suis sensibilisée aux questions de la nature et la perméabilité des sol, j’ai compris les enjeux et le potentiel des cours pour l’environnement, le climat et l’écologie urbaine. Suite à la prise de conscience sur le changement climatique je trouve indispensable d’investir dans l’espace de la cour. Un sujet qui me passionnait depuis des années, et auquel en revanche, il m’a été difficile de dédier du temps à la démonstration de ses bienfaits environnementaux. La possibilité d’un séjour à la Villa le Nôtre représentait l’opportunité d’approfondissement que je souhaitais. La Villa Le Nôtre à Versailles, est une résidence internationale pour les paysagistes. L’environnement du Potager du Roi et la proximité de l’Ecole Nationale Supérieur du Paysage font de la résidence un lieu, privilégié pour mettre en avant la réflexion et la recherche sur le projet du paysage et ses liens avec la ville.

L’hétérogénéité des sols est une caractéristique du milieu urbain. Elle constitue un énorme défi dans la végétalisation de la ville. Comment avez-vous pris en compte cet attribut dans votre travail de cartographie ?

L’objectif des recherches consiste à aboutir à la réalisation de cette cartographie à partir des cartes géologiques, d’études de pédologie, de l’histoire de l’utilisation des sols dans la ville, de la toponymie des rues, des lieux. Cette approche permet de relier des quartiers par la logique des caractéristiques du sol plutôt que par celles des limites administratives. Elle crée des nouvelles solidarités et un nouveau paysage au cœur des îlots par de nouvelles plantations. Une poétique de la terre en milieu urbain est possible, car la ville s’étend sans limites et on oublie trop souvent le sol qui la porte. La topographie et la qualité des sols conduisent le développement des villes. On peut différencier les quartiers par la nature de leur sous-sol et la présence de l’eau. Contrairement au végétal institutionnel du système de plantations d’Haussmann où la même palette végétale s’étale dans tous les quartiers parisiens, l’idée serait de donner à chaque quartier son caractère particulier.

Comme substrat de croissance, cette diversité édaphique se traduit par une diversité végétale. L’articulation de votre travail à l’échelle d’une métropole ne peut-elle pas profiter des réseaux de trames vertes déjà existants dans Paris, en l’occurrence des promenades plantées ?

Je voudrais travailler plutôt dans Paris intra-muros, où les îlots de chaleur sont des plus importants. C’est dans la ville dense que la plantation des arbres est nécessaire pour lutter contre le changement climatique et c’est dans les cours d’immeubles où les habitants peuvent apporter leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Les responsables politiques ne peuvent aujourd’hui agir que dans l’espace public. Les nouvelles plantations vont constituer de nouveaux corridors écologiques qui seront complémentaires des trames déjà existantes.

Quelles typologies de plantation des cours d’îlots avez-vous développées ?

La recherche est en cours. Paris est une ville dont le sol est surtout calcaire, et il n’y a pas de lieu ou planter des essences pour terre acide ou terre de bruyère. Par ailleurs, à Paris il y a parfois une grande épaisseur de remblai ou des parcelles et des quartiers dont le sol d’origine se maintient jusqu’à nos jours, comme certains quartier du XIème ou du VIIème arrondissement. Le cimetière du Père Lachaise est considéré comme la forêt urbaine avec la plus importante biodiversité de Paris car il est installé sur un terrain argileux qui maintien l’eau…

Le retour de la nature en ville est indispensable, encore faudrait-il qu’il soit accueilli positivement par les habitants. En quoi la végétalisation des espaces semi-privés peut-être un moteur dans un changement de mentalité ?

Il faut amorcer un changement de mentalité pour planter les cours, les habitants sont écartelés entre l’adhésion intellectuelle au projet et la réalité des conseils syndicaux, des problèmes de maintenance et des réseaux existants. Le passage à la réalisation est semé d’embuches. Il y a des villes comme Berlin et Copenhague où l’importance de la plantation des cours est une évidence pour les habitants.

À travers ce changement dans la strate végétale, pensez-vous que de nouveaux paysages urbains peuvent émerger dans un contexte dense et fermé comme celui de la vieille ville européenne ? Trouvez-vous des exemples de telle évolution dans d’autres pays, d’autres cultures ?

Bien sur. Il s’agirait d’un paysage intime et secret, derrière les portes cochères qu’on trouve dans d’autres villes d’Europe. Mais la face cachée de cette couverture végétale fonctionne comme un enrichissement de l’idée de ville dense. Un nouveau paysage c’est aussi une nouvelle représentation partagée de la ville à venir.

À Moscou les grands îlots au cœur du centre ville abritent de vastes jardins, de vrais espaces forestiers que le passant des grandes artères ignore. A Montréal le souci de créer une forêt urbaine dispersée répond au désir d’améliorer l’indice de canopée en ville. La cour est un lieu qui réconcilie le local et l’universel, le plaisir du végétal et la lutte contre le réchauffement de la planète.

Panneau pour l’exposition « Jardin Demain » à Paris en 2009
 

 

Note / Bibliographie :

Léna Soffer est architecte et paysagiste concepteur franco-venezuelienne, lauréate de la Villa Le Nôtre. Elle travaille à diverses échelles entre le territoire et la parcelle.

Lien vers la Villa Le Nôtre : http://www.ecole-paysage.fr/site/ensp_fr/Residence-internationale-de-paysagistes.htm

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Pour référencer cet article :

Guillaume Portero, Léna Soffer, Openfield numéro 6, Février 2016