Au fil de leurs expériences, avec des paysagistes la plupart du temps, ils ont créé une œuvre unique, toujours renouvelée, où s’invente les structures en fonction des situations. En février 2013, dans le cadre d’un projet d’espace public pour la commune de Mirabel, les Simonnet nous accueillaient dans leur atelier, une ancienne ferme au milieu des champs de blés qui domine la vallée du Loing, transformée en atelier/ laboratoire et peuplée de leurs sculptures multicolores, joyeuses et libres. Nous avons prolongé cette rencontre en octobre 2014, lors d’un entretien à Paris, dans nos locaux, où nous avons évoqué avec délice leur démarche, la relation de leurs objets à l’espace public, le jeu, la forme, la couleur, leur récente exposition à Metz ou leurs dernières sculptures sur le parvis de la Major à Marseille.
Rémy Turquin : La première idée qui me vient quand je pense à votre travail, c’est un souvenir d’enfance, à Laon, où j’ai passé des heures à jouer sur l’une de vos sculptures. Elle est jaune et bleue et évoquait pour moi un cheval. Mais je me demande si c’était finalement une sculpture ou bien un jeu ?
Marthe Simonnet : C’est un PT 15, une sculpture-jeu.
Jean-Marie Simonnet : Nous sommes volontairement ambigus sur certaines sculptures. C’est assez récent qu’elles soient acceptées comme jeux.
Grégoire Bassinet : Pouvez-vous nous raconter le processus qui vous a fait passer de l’architecture à la sculpture, quand vous étiez à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris ? Comment cela a-t-il démarré ?
JM : Nous avons tous les deux une formation d’architectes. Et, en architecture à l’époque, on n’avait le droit de jouer qu’avec des parallépipèdes… Moi j’étais intéressé par des formes beaucoup plus libres, par Gaudi… nous passions pour des farfelus, des indisciplinés ! Nos études étaient assez desséchantes du point de vue formel. Et c’est pour cela qu’en parallèle on faisait autre chose : de la peinture, de la sculpture…
En fait, nous avons très peu fait d’architecture. Notre première commande, c’était de la sculpture. On a commencé à faire des objets en papier collé sur des ballons de baudruche de trois dimensions différentes (des ovales, des sphères, des tubes). Nous avons joué avec ça pendant un certain temps, fait une exposition, et puis comme nous nous sentions un peu limités, nous sommes passés au plastique. Nous n’avions aucune pratique de sculpteurs, alors on a expérimenté, on a fait des reliefs et petit à petit on a fait du monumental.
RT : Votre première sculpture monumentale est celle de Port Barcarès ?
JM : Oui, les Polymorphes, en 1970. C’était Le sénateur-maire de Perpignan de l’époque qui voulait faire un Musée des Sables sur la plage, pour agrémenter un peu cette cité balnéaire. Et quand on nous a exposé le problème, au lieu de mettre une seule sculpture comme le faisaient tous les autres sculpteurs, nous en avons proposé une douzaine !
M : Ce n’était pas un jeu du tout, mais ça a tout de suite été pris comme tel par les enfants. Ils montent dessus et le grand défi c’est, malgré la plateforme de béton tout autour, de pouvoir passer d’une forme à l’autre sans mettre le pied au sol. Ils prennent le risque ! Ils se photographient tout en haut des polymorphes et le partagent sur internet ! Là, les gens se donnent rendez-vous « aux Simonnets », ils ne se rendent pas compte que les Simonnet c’est nous et non pas les formes !
RT : Et quelle est l’histoire de ces formes ? On a pu découvrir, en visitant votre atelier, que vous expérimentez aussi des formes plus complexes, sur des objets plus sculpturaux que ludiques… Vous montez vos projets avec des maquettes au 1/10 de vos modules et vous faites des tests d’assemblages. La conception en elle-même est quelque chose d’assez ludique : il faut mélanger, malaxer les matières, des fois l’assemblage rate, il faut retomber sur ses pattes,…
JM : L’idée du modulaire est arrivée dès le départ, avec cette première commande à budget limité. Nous avons commencé par gâcher du plâtre sur 3,50 m de haut, et le soir même nous nous sommes dit que nous n’y arriverons jamais… C’est ainsi qu’on a pensé aux modules ! Nous avons acheté des blocs de mousse polyuréthanne dans laquelle nous avons fait des modules, avec des sections circulaires hautes et basses, inclinées, formant un angle. On a fait des petites maquettes. Ça se taille très facilement au couteau. Après, il y a un travail d’injection, de pistolage, de polissage…
M : Nous avons tout de suite vu l’intérêt de ces modules : avec 5 modules pour tout le chantier, nous avons pu faire une multitude de formes différentes. Entre le moment des premiers Polymorphes et maintenant, on voit la dextérité avec laquelle on parvient à manipuler les modules pour faire des formes, comme pour la série du Nœud rouge (2013). Dans cette série, il y a une douzaine de modules. Demi sphère, 3 modules de courbures différentes en 50 à 2 sections, des modules à 4 sections, 6 sections… Ils ont des noms de code : LA 3, PT 4… ça donne un côté scientifique à la production, mais c’est surtout pour pouvoir communiquer entre nous.
M : Depuis notre séance de travail pour le jeu de la place de la mairie de Mirabel, notre fils a réalisé des modules plus petits par impression 3D. Ils sont aimantés, se pose facilement sur une plaque métallique c’est beaucoup plus souple pour jouer, rechercher, ça tient plus facilement tout seul. On essayera peut-être d’éditer un coffret un jour !
JM : Et les modules en 3D permettent d’expérimenter des arborescences proliférantes facilement ! On s’imaginerait bien quelque chose comme ça pour une Monumenta !
JM : On a beaucoup rêvé sur les sculptures d’André Bloc à Meudon et sur la maison Bulle d’Antti Lovag. Mais nous aurions aimé que ce soit modulaire. Tout ça, c’est fait en béton projeté… un sacré chantier !
RT : Vous parlez de dangerosité, du fait que ce ne soit pas du tout fait pour ces activités-là. Comment abordez-vous les règlements, les normes ? C’est vrai qu’on a un a priori : plus ça va et plus c’est réglementé, les jeux ne doivent pas laisser place au danger…
M : Nous ne recherchons pas à mettre les usagers en danger. Les normes sont assez strictes mais elles ne sont pas le moteur de notre conception. Nous les prenons en compte, mais on s’aperçoit qu’on passe facilement le filtre de la certification. Par ailleurs, notre expérience nous a appris à éviter certaines situations, comme par exemple le fait qu’un « enfant ne doive pas tomber sur une autre partie du jeu », règle de base des normes actuelles. Donc on évite finalement les jeux trop hauts. La demande nous a aussi canalisés vers des jeux plus bas.
JM : On a fait certifier quelques jeux au départ, et depuis on a plus aucun embêtement… On auto-certifie ce que l’on fait. Nous ne sommes donc pas obligés d’avoir des jeux certifiés par un organisme.
GB : Quelle commande vous a particulièrement intéressé dans sa relation avec le site, le paysagiste ou le commanditaire ? Où y aurait-il eu une sorte d’alchimie entre le lieu, la forme et le public ?
JM : Une des premières commandes, à Grenoble. Le bureau d’architecture de la ville a tout de suite vu le potentiel du côté modulaire de notre travail et a voulu jouer avec. Alors ils nous ont demandé des modules, on leur en a envoyé… Et puis finalement, ils ont fait un Simonnet ! Une des premières arborescences.
M : Ce sont eux qui nous ont fait aborder nos sculptures d’une autre manière : nous avions l’habitude de faire des sculptures assez hautes, et eux ont fait la première qui soit vraiment basse, un peu comme une « araignée ». Ils l’ont plus pensée comme jeu, pour les enfants qui n’y seraient alors pas en danger, alors que nous pensions plutôt sculptural. C’est là qu’ils nous ont mis sur une option très jeu. Face à la sculpture, il y a d’abord eu une levée de boucliers des gens du quartier, qui nous a conduits à la déplacer dans un autre quartier où il y avait beaucoup d’enfants. Et, à partir du moment où ils ont pris d’assaut la sculpture, il n’y avait plus de problème !
JM et M : On avait aussi vu ça au jardin du Luxembourg à Paris, où nous avions exposé des sculptures pendant un mois. Les enfants sont montés dessus, ne faisant pas la différence entre une sculpture-jeu et celles qui ne sont pas destinées à cela. Or, quand le public voyait l’objet tout seul, les gens avaient les réactions de rejet : « ils n’auraient pas pu faire ça plus petit, moins rouge… ». Et dès qu’ils voyaient des enfants dessus : « Hop ! C’est génial ! ». A partir du moment où l’on joue, l’adhésion est emportée. C’est comme s’il y avait un élément rationnel qui n’est plus discutable.
JM et M : Nous avons également vu, dans le cadre d’une exposition que nous avons faite à La Hague, que les gens ne lisent pas le modulaire. Nous y sommes allés un jour, et avons trouvé beaucoup de monde autour de trois Polymorphes. Alors nous les avons fait décrire les sculptures, pendant près d’une heure. Il a bien fallu 20 minutes pour qu’ils découvrent le modulaire dedans, et nous avons dû insister !
RT : Le rapport direct des usagers avec l’objet vous fait-il penser à d’autres formes, d’autres assemblages ?
JM : Nous avons un peu travaillé avec les enfants, comme lorsqu’on leur a fait dessiner un jeu de billes pour une sculpture-jeu destinée à la mairie de Paris, mais c’est plutôt eux qui s’approprient nos œuvres. Le jeu ça se résume, de manière un peu simpliste, à monter sur un objet ou bien à rentrer à l’intérieur. Une fois, il y avait un gamin perché en haut d’une sculpture sur laquelle on travaillait, et il me demande : « C’est quoi ton métier ? » Je lui ai répondu que c’était moi qui mettais les nuages, puisqu’il regardait vers le ciel. Il m’a demandé en retour si j’avais également mis le soleil !
M : Et puis ce n’est pas seulement les enfants : quand je vois les gens réjouis par ce qu’on fait, c’est merveilleux. Un des conseillers du village où nous avons installé une sculpture avait pour habitude de se promener avec son beau-père âgé qui était heureux de voir ce jeu et les enfants jouer dessus. C’était son plaisir à chaque fois qu’il sortait de la maison de retraite. Dans le même ordre d’idées, nous avions installé un jeu assez grand à côté de Lyon. Un soir, alors que nous finissions de le monter, une femme est venue nous trouver et nous a dit cette phrase, qui était sublime je trouve : « c’est gentil de nous apporter une sculpture ». Elle le disait comme ça. Elle savait que c’était une sculpture pour les enfants, mais elle le prenait aussi comme ça, pour elle.
De même, à St Quentin en Yvelines, nous avons installé une grande sculpture rouge « l’arborescence polymorphique », que les habitants ont rebaptisée « les spaghettis ». Nous y sommes retournés 20 ans après, et quelqu’un est venu me dire « Ah madame Simonnet, je suis content de vous voir ! Ça fait 20 ans que je passe tous les jours en bicyclette sous votre sculpture et je suis toujours aussi ravi ! »
Nous savons bien que les enfants s’approprient les sculptures, il y a souvent des objets qui restent au sol et qui leur servent à les escalader. Mais qu’adultes et personnes âgées s’y retrouvent aussi, c’est important et formidable !
JM : Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui se soient intéressés au jeu. On a bien connu l’Atelier Delaunay, sculpteurs sur bois. Mais chez eux, il y a un peu distinction entre les formes-sculptures et les jeux. Souvent, ils proposaient une animation auprès des enfants pour leur faire dessiner l’aire de jeux.
GB : Et le rapport au site ?
M : Il y a quand même un élément fondamental dans notre travail, c’est que l’élément que nous créons doit être pour le jeu mais aussi sculpture, visuel. Nous avons toujours besoin que cela fasse une masse, on n’aime pas trop être discrets, je crois !
JM : Cela renvoie un peu au problème de l’intégration, qui perdure depuis des années. J’ai rarement entendu des propos justifiés par les options prises. Nous on est très présents… alors quand les gens choisissent l’option Simonnet, ils mettent le paquet, ils veulent toujours du rouge ! On ne devrait pas systématiquement avoir à disparaitre et s’excuser dans l’espace public.
GB : Quelle serait la commande que vous rêveriez de faire ? Ou celle que vous n’avez pas encore faite ?
JM : Il y a des projets que l’on poursuit. Il y en a un, c’est un puzzle à 3 dimensions. C’est une bonne synthèse de notre démarche puisqu’elle est à la fois baroque, libre et structurée.
M : Par contre, il y a un projet que nous avions et que nous avons abandonné, c’est de faire nous-mêmes notre architecture en plastique. On avait le terrain, mais à cause d’une association de voisins qui nous a amenés au tribunal, nous avons dû faire marche arrière et on a mis une chaise blanche de 4 m 50 de haut sur le terrain à la place. Alors il y a eu deux procès : nous avons été accusés de « construction sur un espace boisé protégé » et « reconnus coupables de grandeur et de blancheur, qui constitue une rupture dans l’environnement » !
Les Simmonet, sculpteurs
Les Chesneaux 45210 GRISELLES
02.38.96.74.58 /
www.lessimonnet.fr