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Les champs urbains

Réinventer les mythologies urbaines

A en croire certains textes sacrés, les relations entre la campagne et la ville débutèrent assez mal. Le récit biblique du meurtre d’Abel par Caïn fonde certaines réalités déterminantes, dans l’histoire humaine, puisqu’il décrit l’apparition de la mort, mais aussi la naissance des villes, des arts et des techniques. Caïn, le meurtrier, dans sa fuite, est désigné par le texte génésiaque comme le fondateur de la première ville et se place donc à l’origine de la civilisation.

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Dans un paysage champêtre, Caïn le paysan tue son frère Abel le berger. Son sang se répand dans les sillons du champ qu’il venait de labourer et Dieu maudit les récoltes des champs. Caïn est condamné à une errance sans fin sur la terre. Il fonde alors la ville d’Hénoch, du nom de son fils qui sera le premier d’une longue lignée de bergers faute de ne pouvoir cultiver la terre.

Cain et Abel / Ivoire / Louvre (Paris)

 

Des références à la Bible pour traiter de paysage et d’urbanisme, c’est a priori aller chercher un peu loin dans la construction des relations entre villes et campagnes. Ne sous-estimons cependant pas l’influence des textes, des guerres et des techniques, tous ont participé au cours de l’histoire à certaines mutations paysagères. Quels sont les moteurs des rapports entre ces deux univers paysagers ? Quelles interrelations paysagères entretiennent-ils ? Qu’en est-il aujourd’hui des conceptions mentales et des nouvelles planifications mêlant villes et campagnes ? Dans un premier temps, nous continuerons à explorer le passé et la construction des villes anciennes, puis nous nous pencherons sur une initiative de l’agglomération rennaise, les « Champs Urbains ».

Sans vouloir en décevoir certains, Caïn n’a pas créé la première ville. Une chose est sûre, la sédentarisation de l’homme, datée du néolithique, marque le début d’un nouveau rapport au territoire. Finie la cueillette et la chasse, dès lors, c’est bien l’économie de moyen qui va mener l’homme à se regrouper et à spécialiser chacun des membres de la communauté afin de se libérer de certaines contraintes. L’apparition des formes d’habitats stables, la domestication d’animaux et de plantes a permis le développement des techniques hydrauliques (irrigation, terrassement, calcul de pente, gestion des crues…). La ville médiévale est l’une des premières formes urbaines établie et caractérisée par son caractère défensif. L’espace protégé qu’est l’Intra Muros est la tête d’un système dépendant des terres des paysans assujettis à de lourds impôts en échange de la protection apportée par le seigneur. Autour de la ville, l’ouverture du paysage est de bon aloi. La préciosité des ressources et les instabilités politiques permanentes avaient instauré un rapport de proximité unique entre ville et campagne malgré une séparation spatiale franche. On déboise pour cultiver au plus près des remparts, ce qui permet de se chauffer et de mieux voir arriver l’ennemi. Il faudra attendre le XVIIème siècle pour voir certaines villes occidentales démanteler leurs remparts et restructurer leurs tissus urbains.

En l’an mille, la population de l’Europe était de 75 millions d’habitants contre 503 aujourd’hui et les enjeux sont de toutes autres natures. Je n’évoquerai pas le chamboulement des deux révolutions industrielles, ni les deux guerres mondiales… je vous l’accorde, c’est un saut en avant un peu facile lorsque l’on débute avec le premier testament. Les fondements administratifs, la littérature et le progrès agricole font du Moyen-âge et de la Renaissance les deux époques fondatrices de ce que l’on pourrait appeler la grande armature paysagère française. Le défrichage, l’invention de la faux et du collier d’épaule dessinent les campagnes françaises que l’on imagine à l’image d’un grand manteau troué de clairières en réseau.

Les très riches heures du Duc de Berry / mois de Juillet

Les rapports entre villes et campagnes connaissent leurs plus gros bouleversements à la sortie de la seconde guerre.. La mécanisation a révolutionné les pratiques agricoles tout en soulageant l’homme de la pénibilité du travail. La chimie a permis des rendements supérieurs et des récoltes « propres » protégées des pestes. Instaurée depuis les années 1960, la politique agricole commune contribue à la séparation des raisons mêmes pour lesquelles les villes ont pris place géographiquement sur le territoire. Le rapport de la ville à son hinterland change d’échelle avec de surcroit la commercialisation des productions agricoles et son exportation à l’international. Le remembrement nécessaire à la mise en place de ce système a inévitablement eu un impact sur la manière dont l’urbanisation a investi les paysages ruraux en Europe. Dans les années 1960, les villes s’étendent essentiellement pour des raisons de production de logements… le constat est que de nombreux ensembles urbains ont perdu dès lors les limites de leur écrin logistique. L’urbanisation galopante que nous connaissons toujours depuis aurait-elle eu la même forme si l’échiquier parcellaire qui lui était offert avait eu une échelle bocagère ? La question vaut la peine d’être posée.

Quelles sont aujourd’hui les limites entre les mondes urbains et ceux des campagnes. Y a-t-il encore des campagnes ?

L’agglomération rennaise tente depuis près de quarante ans d’établir un consensus entre ville et campagne à travers l’organisation de la « Ville Archipel ». Déjà en 1967 le SDAU (schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme) prévoyait la préservation de grandes coupures paysagères et agricoles entre chaque commune de l’agglomération.

Voté en 2007, le SCOT (Schéma de Cohérence Territorial) du Pays de Rennes passe un niveau supérieur en prévoyant des espaces agronaturels et/ou forestiers intégralement protégés et qui ont vocation à le rester durablement. Les « Champs Urbains » ont pour vocation de « protéger les sites agricoles et naturels les plus convoités pour les pérenniser et les conforter dans leur espace et dans leurs fonctions ». Ils sont également supports « de loisirs verts intercommunaux de proximité, compatibles avec l’activité agricole et les enjeux écologiques ». Cette démarche novatrice dans les gouvernances publiques illustre quelques signes annonciateurs d’un renouveau des relations entre l’urbain et le rural.

Exemple de schéma de champs urbains ©AUDIAR

 

Les Champs Urbains sont aujourd’hui inscrits dans une démarche qui participe de l’identité de l’agglomération rennaise, mais leur statut est régulièrement remis en débat. Des terres agricoles aux portes de la ville… autant de belles feuilles blanches sur lesquelles il serait facile de dessiner de nouvelles formes urbaines. Mais depuis peu, c’est la question des vocations agricoles et de leurs échelles qui fait débat. Qu’est-il préférable de trouver aux portes de la ville ? des prairies, de l’élevage ou bien des maraîchers fournissant les circuits courts urbains ? Plus généralement, il serait bon de discuter de l’échelle de ce parcellaire aux abords de la ville. Quelles transitions spatiales entre le parcellaire urbain et celui des champs urbains ? Si l’on veut réellement réinventer certaines synergies entre ces deux milieux, il serait bon de faire dialoguer un peu mieux leurs formes et le passage de l’un à l’autre. Constat paradoxal ; aux temps des murailles, les villes étaient plus proches des champs.

Sous la contrainte de la raréfaction des ressources et les limites des schémas productivistes, l’aube d’un nouveau rapport aux territoires semble poindre. Aux abords des villes, les campagnes seraient-elle sur le point de réinventer les mythologies urbaines ?

Localisation des champs urbains autour de Rennes ©AUDIAR

 

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Pour référencer cet article :

Dimitri BOUTLEUX, Les champs urbains, Openfield numéro 2, Juin 2013