– Un ordinateur avec écran 24 pouces,
– une imprimante A3 laser recto-verso (pour faire croire que l’on fait des économies de papier, alors que la technologie d’impression laser est de loin la plus dégueulasse)
– une connexion internet, qui paradoxalement est excellente dans ce coin très reculé et isolé :
voilà les trois éléments indispensables pour quelque concepteur qui travaille à domicile.
Ah non, j’oubliais : un carré de jardin et trois éléments hérités des cinq années à la Grande École :
– du calque,
– des crayons de bois et des feutres Artline®,
– une bibliothèque.
Trois choses essentielles que j’ai eu du mal à faire entrer dans les ateliers lors de mes deux années d’assistance d’enseignement à l’Ecole d’Ingénieurs de Lullier, devenue en cours de route la Haute Ecole du Paysage, d’Ingénierie et d’Architecture, par fusion (phagocytage?) avec l’Ecole d’Ingénieurs de Genève. Les paysagistes noyés dans une grande fondue de compétences, une institution énorme où se mélangent entre autres domaines les télécom, l’informatique, le génie civil, l’architecture et l’agronomie. Si des passerelles théoriques existaient entre le paysage, l’architecture et la gestion de la Nature (autre domaine enseigné à la HEPIA), la pratique fut tout autre. A mon grand regret, beaucoup d’échanges, pour les étudiants, se limitèrent à des surveillances communes de travaux de fin de semestre, et pour moi, à des excursions de courtoisie dans des bureaux déclarés ‘ennemis’ par mes collègues enseignants et assistants. Ennemis parce que habités par des enseignants ou des chercheurs d’une autre filière que la nôtre.
J’ai donc travaillé deux ans au sein d’une grande institution d’enseignement très hiérarchique. Le jour de mon arrivée, dans le bureau des assistants -l’ancienne salle de maquette située au sous-sol-, un collègue m’a remis solennellement un DVD du film Brazil de Terry Gilliam. ‘Pour info’ m’a-t-il dit. Science fiction qui s’avèrera bouleversante de réalisme dans mon cas.
Au plus bas de l’échelle (mais également, sans aucune responsabilité, un luxe rapporté au salaire horaire), le rôle de l’assistant est d’être un intermédiaire entre étudiants, enseignants et direction. J’ai pris la suite d’un ancien qui avait suivi la même formation que moi, et qui donc n’était pas issu du même moule que les collègues assistants. Toutes et tous étaient directement passés de la case ‘diplômant’ à la case ‘assistant’ après seulement deux mois de liberté en dehors les murs d’une école, temps passé pour se reposer d’un cursus de trois ans. Cette période d’été (diplôme en Juin, poste en Septembre) leur avait permis de passer du vouvoiement entre professeur et étudiant au tutoiement de rigueur au sein de l’institution HEPIA. Les étudiants de Juin étaient devenus les enseignants de Septembre. Avec mes 5 ans à Blois, mes deux ans d’expérience en agences privées en Alsace en plus des stages à l’étranger, j’arrivais avec un bagage différent, et des étudiants qui ne me connaissaient pas. La tâche me fut donnée de prendre en main la moitié des 2ème année (les AP2) (une petite vingtaine) et de seconder les enseignants de technique (réseaux, voiries).
C’est dans ces rôles, allant de professeur en professeur que j’ai pu constater la personnalité de chaque enseignant et par conséquence de chaque enseignement, les uns tachant de se montrer aux autres plus forts, de parler plus haut, de se reposer sur plus petit que soi. La liberté d’action était donc toute relative, malgré la bonne ambiance de façade. Je ne parle pas d’enseigner librement quoi que ce soit ; à 27 Ans, on n’a pas grand chose à dire ; je parle de la liberté de poser devant les étudiants d’autres points de vue, de leur proposer des idées, de les encourager et de les rassurer, bref de les assister de la manière la plus positive possible.
Parce que les étudiants sont la base d’une école (outre un pool de vieilles têtes pensantes respectables qui vivent vraiment pour l’institution)! Souvent, j’ai senti le manque d’attention aux futurs professionnels qui auront largement le temps de se poser des questions purement terre-à-terre une fois dans la vie active. Pas de place pour l’expérimentation, pour la différence. Mes tentatives d’apport de nouveauté dans la pédagogie (ce pour quoi j’ai été engagé, sur le papier), ont été vaines, sauf avec quelques enseignants, souvent des vacataires, avides de se positionner comme indépendants vis-à-vis de l’enseignement obligatoire dans l’Ecole.
Le revers de la médaille, c’est que ces mêmes enseignants n’avaient pas forcément conscience de la lourdeur administrative et bureaucratique de l’Ecole, et qu’il fallait, pour le coup, les assister au sens premier du terme, avec gestion des agendas, des salles de cours, des photocopies et des pauses café…
Mais le tableau n’est pas noir, bien au contraire! Cela fait parti des diverses tâches à effectuer, avec pour moi, la carotte de pouvoir consacrer 25% de mon temps de travail (soit 9 heures/semaine) à une formation »personnelle ». J’ai pu profiter de ce système pour voyager, en échange d’une valorisation auprès des étudiants et de l’institution. Malheureusement, les retours ont été plus que discrets dans la hiérarchie. Ne restait donc plus qu’a s’investir au maximum dans les ateliers, auprès des étudiants très demandeurs de conseils, de méthodes et de critiques. Le plus dur, dans tout cela, c’est de rester assez neutre, de ne pas être trop directif, mais de lancer des pistes, et d’inciter à aller au delà de la réflexion première. Dans le cadre d’une assistance sur la forme, il faut savoir montrer une technique de dessin, et sans cesse rappeler qu’un outil, s’il n’est pas maitrisé, ne sert pas à grand chose… Ainsi, combien de fois des projets ont été entièrement conçus directement sur Autocad, au petit bonheur la chance de trouver LA ligne qui colle, sans réfléchir…
»Je ne vais pas gaspiller du calque tout de même »
Et moi de répondre – Si, et en plus, tu va pouvoir dépenser double d’énergie pour finir ton projet pour après-demain et justifier ton dessin dans ses moindres détails »…
Grande partie de plaisir que de suivre les ateliers. Un entrain sans cesse renouvelé semaine après semaine, parce que cela fait réfléchir aussi, en faisant travailler l’esprit critique et en engendrant réciproquement pas mal de connaissances, jusqu’à un certain niveau de savoir. Il faut savoir dire des choses justes, mais surtout savoir les expliquer, et être sûr de ce que l’on dit.
Il existe assez peu de contrôle des enseignements, et j’ai pu entendre des monstruosités ou des vérités ne pouvant pas ouvrir à réflexions ou esprit critique chez les étudiants. On se base sur les ‘références’ ou l’expérience » théorique, sans se préoccuper vraiment de la Nature Humaine avant de confier un enseignement. Au final, la note donnée à l’étudiant est souvent la seule réponse offerte, sans rapport avec sa démarche, mais qui peut avoir de lourdes conséquences dans son futur.
Pour faire court, comme une conclusion des deux ans, et surtout conclure sur mon expérience d’enseignement- assistant :
– ne pas avoir assez d’expérience professionnelle peut être un handicap dans les interventions que l’on mène ou les questions que l’on va nous poser,
– avoir de l’expérience, pour un enseignant, semble inciter à ‘faire’ ses étudiants à son image, à les formater et à ne pas SE poser les bonnes questions. Je le constate ces jours, alors que MES AP2 viennent juste de recevoir leur diplôme papier en grande pompe. Certains m’ont envoyé leur mémoires de diplômes, exsangues de pensée critique ou personnelle. Des réflexions lisses et consensuelles. Quelques questions donc :
– doit-on élever au rang de modèle un apprentissage, ou pire, un enseignement, voir un enseignant ? – La diversité des cursus -en plus de la curiosité- n’est-elle pas une solution pour se construire une vraie identité professionnelle ?
– Comment se construit-on réellement dans notre métier?