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Lettre d’Armande Jammes

Je vous écris depuis Saint-Ouen, dans le 93. C’est là que je me suis finalement arrêtée et installée pendant l’hiver 2007.
Juin 2006. J’avais quitté la ville de mes études un peu inquiète, mais à bien y regarder, je trouvais plutôt rassurant de changer d’air après ces cinq années qui pour avoir été essentielles, nous avaient tous, je m’en rendais bien compte, conditionné à cette école.

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Il nous restait chacun, à devenir ce que nous pouvions, car rien n’était fait, tout était plutôt à défaire. Et j’ai donc vu chacun partir dans une direction, certains d’emblée quittèrent la France, d’autres, un certain nombre, allèrent à Paris. Les derniers s’éclatèrent aux quatre coins de France, retournant pour certains dans leurs campagnes, qu’ils n’avaient finalement jamais quittés, ou s’essayant à l’exploration de territoires plus inconnus. Une année passa, chacun d’entre nous en pleine tentative, s’essayant à ce métier pour lequel nous avions été formés.

Septembre 2007.

J’avais décidé de reprendre pour un temps la route d’une école, non pas que mes expériences professionnelles fussent désastreuses, disons plutôt que quelque chose d’insatisfait m’était resté. Il y avait une dimension que je ne voulais pas abandonner, tout du moins pas encore. J’avais depuis longtemps hésité entre une formation en art et une autre en paysage, et pressentant sans doute le trop grand vide que me laisserait un passage aux beaux-arts, je m’étais tournée vers cette chose appliquée, et donc, me semblait-il, concrète qu’est le paysagisme. Et les premières années d’études m’avaient donné raison, car j’avais l’impression que mes deux aspirations pouvaient s’y réunir assez facilement. Et je ne sus pas voir, au cours des dernières années, que l’art perdait peu à peu sa place, tout du moins de la façon dont je l’envisageais. Je ne l’ai compris que plus tard, sans doute au terme de ces deux années passées à l’école d’art de Cergy, deux années pendant lesquelles l’art et le paysage étaient côte à côte, puisque je continuais à travailler en agence, mais n’était pas liés. Et je me rassurais de l’un avec l’autre, quand l’un me semblait trop contraint, trop ingrat, je pensais que j’avais l’autre et quand celui-ci m’exaspérait de son monde clos, de son égocentrisme, j’étais bienheureuse de pouvoir travailler à autre chose, à des projets qui me tournaient vers d’autres préoccupations. Ainsi l’art et le paysage ne pouvaient donc pas converger ? Il me semblait que quelques fondamentaux les séparaient. Ce que je cherchais par l’art était plutôt de questionner, de raconter des histoires. Le métier de paysagiste me demandait au contraire de trouver des solutions, qui pour essayer d’être les meilleurs sont souvent au dessous d’un monde fantasmé, et au croisement des tiraillements que sont l’ensemble des parties qui gravitent autour du projet. Je me disais aussi que le plus grand mal que je pouvais faire au paysage était de me prendre pour une artiste, que cela n’avait pas de sens, que c’était placer dans l’espace public et imposer aux autres, une vision trop chargée de ma propre sensibilité.

Novembre 2011.

Je me demandais désormais si le plus grand mal que l’on pouvait faire au paysage ce n’était pas d’être paysagiste. Au tout début de ce métier il y avait les jardiniers et l’art des jardins est, quoiqu’on en dise, quelque chose de réjouissant (entre autre parce qu’il est circoncit dans une pratique et sait exactement où se situer). Mais petit à petit, je crois, le métier à migré vers autre chose. En tentant de se faire une place au milieu de la jungle des architectes, des urbanistes et des bureaux d’études, il en a trop fait pour se faire remarquer. A force d’être dessiné, l’espace tendrait plutôt à s’appauvrir en même temps qu’à se remplir jusqu’à saturation. Il se charge de mobilier, de matériaux, de bordures, de sens et de détails. Est ce que le vide, parfois, ne lui irait pas mieux ? Il me semble que les lieux qui ne sont pas ou peu déterminés gardent une étrangeté et sans doute une poésie, ils éclairent mieux ce qui les borde ou les entoure par leur propre modestie. La place Bellecour était pour moi la plus belle place de Lyon, elle était vaste, donnant aux promeneurs le temps poétique d’une traversée, une pause d’un bord à l’autre. Peu importe la ligne d’enrobé rouge qui la traverse de part en part, mal fichue et dégueulasse. En Octobre 2010 j’étais dans un café à Roanne, la télé était allumée sur les actualités, je regardais des images de la place Bellecour enfumée par les lacrymogènes, pleine de CRS et de jeunes en furie et me disais que ces grandes places vides sont les derniers champs de foires, ceux des émeutes, des fêtes foraines, des foires au vins et au bétail, qu’elles sont les places populaires. Je ne connais pas le projet à venir et peut-être sera t’il juste mais qu’avait on besoin de refaire Bellecour ? Il y a des commandes publiques malheureuses, et puisqu’il y a commande il faut qu’il y ait projet. Car quel paysagiste peut se permettre de rendre copie presque blanche à son commanditaire ? Surtout quand beaucoup d’argent est en jeu. De la même façon quel paysagiste face à un architecte peut se permettre de proposer de ne rien faire, car dans le combat qui souvent les oppose la tendance serait plutôt à la surenchère.

Juillet 2012

Tout ce cheminement de pensée peut sembler pessimiste mais demeure aujourd’hui encore l’impression que c’est un peu comme si on essayait d’inventer et de trouver une place au chausse pied à une profession dont on se passait bien auparavant, et que cela engendre beaucoup de gesticulation, d’incompréhension de tous les côtés et d’habitudes bousculées, sans pour autant que l’évidence de cette profession ne soit encore parfaitement formulée. Mais à force de la pratiquer, même si mon expérience est encore jeune, je crois désormais que c’est au paysagiste de chercher et trouver l’endroit juste où se situer, trouver l’intensité et la force exacte avec lequel il doit agir sur l’espace, se rendre ainsi nécessaire sans trop en faire.

 

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Pour référencer cet article :

Armande JAMMES, Lettre d’Armande Jammes, Openfield numéro 1, Janvier 2013